• Aucun résultat trouvé

Seconde hypothèse : les formes d’appropriations politiques

Dans le document Cyberespaces et médiatisation des cultures (Page 115-119)

Plusieurs recherches ont démontré que les actions des mouvements autochtones se sont internationalisées dans les années 1970, 1980 puis 1990 (Forest et Rodon 1995 ; Frideres 1993 ; Salé, Field et Horn-Miller 2004). Avec l’arrivée des TIC et le développement de leur accessibilité, les actions se sont modifiées en se tournant vers l’usage de ces technologies, ce qui laisse donc supposer qu’il est possible de s’approprier politiquement les communautés virtuelles.

Les communautés virtuelles politiques créent un espace virtuel international dans lequel elles se développent (Niezen 2005). Elles se caractérisent également par le fait que, dans le monde dit « réel », les communautés physiques revendiquent des droits similaires dans leurs États respectifs. La formation de communautés virtuelles leur permet donc de sortir l’action du cadre étatique pour la rejouer dans l’univers virtuel, de façon à créer une pression politique extérieure plutôt qu’intérieure aux frontières étatiques (Niezen 2005).

La création de telles communautés n’est cependant pas sans conséquence. On peut imaginer, en effet, qu’en agissant ainsi se dessine une nouvelle géopolitique en vertu de laquelle les États se doivent de composer avec des mouvements à la fois intérieurs et extérieurs à leurs frontières. Ils ne peuvent donc plus se permettre de contenir les mouvements autochtones à l’intérieur de leur juridiction, ils doivent aussi se justifier sur le devant de la scène internationale (Forest et Rodon 1995). En esquissant ce nouveau type de géopolitique, les communautés virtuelles autochtones sont susceptibles de créer une situation relativement inconfortable pour les gouvernements étatiques.

Niezen (2005) démontre que les communautés politiques virtuelles autochtones ont des caractéristiques qui les distinguent d’autres communautés virtuelles. Elles émergent tout d’abord d’un mouvement mondial, nouveau sens commun au caractère autochtone cherchant à définir une identité transnationale. Ces communautés se définissent en effet par leur attachement au droit international, à l’élaboration de normes légales, à la négociation formelle et surtout aux représentations politiques auprès des organismes internationaux. Et bien qu’elles soient des communautés globales, elles défendent surtout des intérêts locaux : économies locales, productions technologiques locales, etc. Ensuite, ces communautés revendiquent un droit à l’autodétermination conçu comme un ensemble de droits collectifs et une forme de décolonisation de l’État-nation. Enfin, les communautés virtuelles autochtones se servent de l’espace international dans lequel elles s’inscrivent pour combattre la discrimination à l’encontre des peuples autochtones et développer un discours de victimisation. Ce discours est important dans la mesure où il a contribué à élargir la base des membres de la communauté virtuelle autochtone, permettant ainsi à des groupes d’Asie et d’Europe du Nord de se définir comme « autochtones » :

The Internet, then, is able to give shape and substance to political relationships that might otherwise be only fleeting, and even, […] to define alliances that exist only as ideas rather than as personally negotiated realms of common experience and interest. (Niezen 2005 : 545)

McNutt (2008) et Rethemeyer (2007) pensent quant à eux que les communautés politiques virtuelles peuvent avoir différents effets sur le jeu politique et sur les processus de politiques publiques. Ces communautés pourraient permettre d’élargir la participation du nombre de citoyens dans les réseaux ou les sous-systèmes politiques. Elles pourraient aussi donner une plus grande force aux mouvements de la base (grass root) et contribuer à redéfinir les domaines politiques en insufflant notamment de nouvelles idées (Rethemeyer 2007). On peut enfin penser que les communautés virtuelles politiques pourraient avoir une importante influence sur les relations politiques entre les élus et la société civile, raison pour laquelle ces communautés sont souvent perçues comme les agents d’une nouvelle démocratie plus participative (George 2008), qui ne soit pas uniquement un apport plus efficace à l’action collective. L’instauration de communautés virtuelles permettrait ainsi une participation qui développerait le sens de l’intérêt public et la démocratisation des décisions publiques. En un mot, les communautés virtuelles permettraient la création d’une nouvelle démocratie fondée sur un nouveau civisme (George 2008).

Mais ces modes d’appropriations politiques des communautés virtuelles présentent également des limites dont il faut être conscient. Concernant l’idée d’une nouvelle démocratie, il est tout d’abord primordial de tenir compte des inégalités d’accès aux communautés virtuelles (nous l’invoquions précédemment) qui rendent impossible la participation de plusieurs collectivités autochtones de régions isolées.

Ensuite, McNutt (2008) souligne qu’il n’existe pas de véritable indépendance de l’univers virtuel par rapport à l’univers du « réel ». Il serait donc illusoire de penser que les communautés virtuelles puissent être les instigatrices d’une nouvelle démocratie, puisque le désengagement des individus observé dans l’univers réel serait exacerbé dans l’univers virtuel. Il y aurait donc toujours une importante correspondance entre cet univers réel et l’univers virtuel. Les configurations sociopolitiques propres à l’univers réel auraient très souvent tendance à se reproduire dans l’univers virtuel. À cet égard, plusieurs études ont démontré qu’il se fait peu de rencontres nouvelles dans l’univers virtuel. Au contraire, les liens

que l’on retrouve dans les communautés virtuelles seraient une reproduction des liens investis dans l’univers réel. Internet permettrait donc plutôt de solidifier et d’augmenter les échanges entre individus, sans nécessairement créer de nouveaux liens (McNutt 2008 et Rethemeyer 2007). L’action politique virtuelle autochtone relèverait dans cette perspective presque d’un paradoxe : l’action est globale dans le but de défendre et de protéger des intérêts locaux. L’énergie des communautés autochtones virtuelles est dérivée des groupes locaux, elle n’est pas produite par la communauté virtuelle elle-même. Cette dernière est donc perpétuellement enracinée dans les communautés locales « réelles » qui utilisent l’univers virtuel pour mieux définir leur identité politique et intensifier la recherche d’autonomie (Niezen 2005).

Rethemeyer (2007) conclut enfin dans son étude que les réseaux virtuels ne contribuent pas à élargir les réseaux de politiques publiques, puisqu’ils ne sont pas utilisés pour créer de nouvelles relations au sein du réseau. L’univers des politiques publiques semble en cela demeurer un univers encore bien « réel » et très peu virtuel. Rethemeyer précise même qu’il n’existe aucune communication uniquement virtuelle dans les réseaux de politiques publiques, Internet étant simplement considéré comme un moyen de communication multiplexe. Selon l’auteur, les usagers principaux des réseaux virtuels seraient les membres des réseaux politiques déjà influents et bien situés structurellement dans le réseau de politiques publiques. Les membres du noyau central du réseau mettraient en place, consciemment ou inconsciemment, des obstacles pour empêcher les membres marginaux d’avoir accès à la partie virtuelle du réseau. L’utilisation des réseaux virtuels pour mobiliser une masse de citoyens ne serait donc pas liée à la position des acteurs au sein d’un réseau de politiques publiques, et n’aurait qu’un effet minime sur l’influence des acteurs (Rethemeyer 2007). Autrement dit, les acteurs de pouvoir dans les réseaux de politiques publiques ne perdraient que très rarement l’influence de leur position consécutivement à une mobilisation virtuelle.

Malgré tout, on peut penser que les réseaux virtuels demeurent des ressources susceptibles d’être traduites en influences politiques. Les réseaux virtuels pourraient influencer les dynamiques dans les réseaux politiques et de politiques publiques, mais ils ne créeraient pas de nouvelles forces sociales et se conformeraient aux réseaux préexistants. Au bout du compte, Internet pourrait servir à mobiliser ou à influencer, mais ne constituerait pas pour autant une communauté en soi. Serait-ce donc que les appropriations politiques des

communautés virtuelles créeraient surtout des groupes marginaux ayant peu d’effet sans l’appui des communautés réelles ?

Dans le document Cyberespaces et médiatisation des cultures (Page 115-119)