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Une seconde captation sous le signe des problématiques environnementales

énergétique à l’environnement, des intérêts mouvants pour la synergie

B. Une seconde captation sous le signe des problématiques environnementales

Au début des années 2000, des réflexions sont engagées, tout d’abord par Dalkia en tant que concessionnaire puis par le SICURD, quant à la manière d’augmenter le taux d’énergies renouvelables et de récupération dans le mix énergétique du réseau de chaleur. La raison en est en particulier une anticipation d’une densification77 du réseau à plus ou moins long terme, et donc d’une augmentation de la consommation. Si le discours accompagnant cette recherche est marqué par un souci de développement durable78, s’y cache également un intérêt pour la

sécurisation du taux de TVA appliqué à la vente de chaleur aux clients du réseau. Une

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Christophe Defeuilley explique ainsi que dans les contrats de concession, « la durée du contrat, la sécurité d’approvisionnement, les modalités de renouvellement, la rémunération, et l’évolution du contenu du service » (Defeuilley, 1996, p. 88) sont précisément construits pour inciter les entreprises à investir. En outre, ces dernières se placent dans « une stratégie industrielle qui se base sur la recherche d’exploitations nouvelles, l’élargissement du périmètre d’activité, et la consolidation des positions acquises » (Defeuilley, 1996, p. 135). 77

C’est-à-dire la connexion de nouveaux consommateurs sur des tronçons déjà existants du réseau. Il s’agit donc d’une forme de croissance du réseau qui ne s’appuie pas sur une extension spatiale. Nous y revenons au chapitre 7.

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Mémoire présenté pour le réseau de chauffage urbain de Dunkerque en 2009 pour les « Global District Energy Awards » à Copenhague.

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réglementation découlant des lois grenelle permet en effet l’application d’un taux de TVA largement réduit, passant de 19,6% à 5,5% pour la vente d’une chaleur distribuée par un réseau de chauffage approvisionné au moins pour moitié par des ENR&R.

Dalkia, qui connaît les installations d’Arcelor, propose l’extension de la captation à la seconde chaîne d’agglomération pour augmenter cette part en limitant les investissements, puisqu’elle ne nécessiterait ni la construction d’une nouvelle centrale, ni la transformation des centrales au fioul ou au gaz. En outre, l’exploitant du réseau voit en la chaleur fatale une source de chaleur à la gestion matérielle aisée puisque la production n’a pas à être gérée par ce dernier.

« La récupération, c’est un excellent produit. C’est simple, on a une très grande souplesse. Une fois que ça fonctionne, il faut surveiller mais c’est automatique. Pour nous c’est super. C’est vraiment une bonne idée. »

Entretien avec le responsable de l’exploitation du réseau – EGL – 03/02/2015

Le SICURD accueille cette proposition de manière positive et donne son aval, nécessaire au lancement de l’opération : « on a adhéré et puis on a donné notre accord, surtout que nous on participe [aux investissements] à hauteur de 50%. Parce que nous, enfin c’est Dalkia qui avance les fonds, mais quelque part, nous on se doit d’être garant des investissements qu’ils font, par rapport à la collectivité » (Entretien avec le directeur du service énergie de la ville de Dunkerque – 15/04/2015).

À la même période, Arcelor se pose la question du traitement des poussières qui émanent des chaînes d’agglomération. Leur production en grande quantité et leur diffusion dans l’atmosphère pose des problèmes environnementaux au sujet desquels l’entreprise fait l’objet de remontrances régulières de la part de la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement), antenne régionale des services de l’Etat. La problématique est importante pour l’industriel, d’autant plus qu’elle connaît par sa visibilité (au sens propre) une notoriété locale plus forte que celle des autres polluants émis : le site d’Arcelor est proche d’habitations appartenant aux communes de Saint Pol et de Grande- Synthe qui reçoivent ses poussières, parfois de manière spectaculaire79

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« Arcelor […] c’est quasiment en ville, il y a des maisons qui sont juste à côté. Bon, ben les riverains, l’été ils ne mangent pas dehors, quoi. »

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Par exemple, une personne interrogée nous a raconté avoir vu dans son enfance à Grande-Synthe les draps blancs étendus dans le jardin devenir gris et la table du jardin se couvrir de poussières foncées. On trouve également de nombreux articles de presse relatant des expériences similaires.

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Entretien avec le responsable de l’exploitation du réseau – EGL – 03/02/2015

« On est énormément suivis, contrôlés par la DREAL, qui fait des mesures au niveau de nos cheminées. Et puis également il y a des tables à poussière qui sont un peu partout. »

Entretien avec un responsable opérationnel – ArcelorMittal – 16/04/2015

Les discussions fréquentes entre le SICURD, Dalkia et Arcelor font apparaître cette conjonction d’intérêts et le président du SICURD fait savoir par un courrier officiel adressé au directeur du site industriel, dès 2004, qu’une étude a été confiée à un bureau d’études par EGL pour analyser la faisabilité technico-économique d’une deuxième captation. On peut ainsi y lire que « ce projet permettrait, en accompagnement, de réduire vos émissions de poussières et d’améliorer vos rejets dans l’atmosphère qui sont particulièrement sensibles dans l’opinion publique ». L’étude qui s’appuie sur des informations fournies par Arcelor conclut en mars 2004 à la faisabilité technique d’une récupération sur la deuxième chaîne d’agglomération du site, la chaîne n°2.

L’accord de principe est donné par Arcelor à la suite de ces résultats. L’entreprise s’engage à prendre en charge la moitié des investissements dans l’infrastructure de captation commune de chaleur et de poussières. Les intérêts des acteurs à s’engager dans cette seconde captation sont alors explicitement rappelés dans les documents qui se rapportent à sa mise en œuvre, et nous l’ont également été dans les entretiens que nous avons réalisés. On peut ainsi lire dans un extrait du registre aux délibérations du SICURD datant du 24 janvier 2005 que « les sociétés EGL/Dalkia et Arcelor Sollac se sont associées pour réaliser conjointement ce projet car chacune d’elles a sa propre motivation : un intérêt énergétique par la récupération thermique pour EGL et un intérêt environnemental par la réduction des émissions de poussières pour Arcelor ».

« Et donc le partenariat qu’il y a eu c’est, nous on récupère la chaleur […] et en même temps on va aspirer leur poussière et la priorité c’est refroidir cette chaleur en dessous de … c’est 115° C si je ne dis pas de bêtise, pour que cette chaleur soit filtrée. Comme ça, toute la poussière passe dans des filtres à manches, plus ou moins. Et Arcelor, après, le réinjecte dans son process. Donc non seulement ça ne va pas sur le réseau mais eux le réutilisent pour le process d’agglo. »

Entretien avec le responsable de l’exploitation du réseau – EGL – 03/02/2015

La Figure 4.11, extraite d’un rapport d’exploitation du réseau de Dalkia, rend compte du fonctionnement technique de cette intégration de la récupération de poussière et de chaleur.

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Figure 4.11 : Schéma de fonctionnement technique de la deuxième récupération de chaleur fatale – Source : Rapport technique de l’exploitation du réseau pour l’exercice 2008, consulté aux archives de la CUD

En somme du côté des acteurs publics comme privés et dans les deux étapes, l’intérêt affiché à s’engager dans la synergie n’est pas directement lié à l’aspect « gagnant-gagnant » de cette dernière, conformément à ce que nous avons supposé : son intérêt technico-économique propre n’intervient qu’à la marge dans la justification de sa mise en œuvre. Au contraire, des justifications d’ordre supérieur – indépendance énergétique, ancrage territorial, absence d’inconvénient, logique d’entreprise, maintien d’un taux suffisant d’ENR&R, action environnementale – viennent appuyer l’implication des acteurs. En outre, ces intérêts ne sont pas figés dans le temps puisque nous avons vu que l’industriel et l’exploitant du réseau construisent des modes de justification de la synergie différents d’une étape à l’autre. D’une première émergence principalement guidée par la volonté de la collectivité qui entraîne les deux autres acteurs derrière elle, on passe en effet à une concordance d’intérêts lors de la deuxième étape.

En revanche, contrairement à l’une des sous-hypothèses que nous avons formulées, on n’observe pas une opposition franche entre une logique publique et une logique privée, en

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particulier parce que l’acteur industriel ne se place pas dans une logique de « marché » pour la vente de l’énergie : le prix de cette dernière n’est pas calculé en fonction des tarifs d’autres types d’énergie mais simplement pour éviter que la synergie ne représente un coût pour ce dernier. Aussi, si les intérêts des collectivités sont clairement associés à la question de la fourniture d’un service public essentiel, il n’existe pas de confrontation a priori avec les logiques de fonctionnement de l’industriel, sans pour autant que cela ne soit sans incidence sur le fonctionnement de l’échange, comme nous le montrons dans ce qui suit.

III. Interpénétrations des systèmes techniques et équilibre

métabolique du réseau

Au-delà des logiques d’action, qui se cristallisent principalement dans des éléments de discours, la construction de la synergie passe par la confrontation de systèmes sociomatériels hétérogènes. L’enquête de terrain montre que cette confrontation donne lieu à deux formes d’interdépendances entre ces systèmes qui engendrent autant de tensions dans la construction et l’exploitation de la synergie. Nous les abordons successivement dans ce qui suit. En premier lieu, nous montrons que la récupération de chaleur sur le site d’ArcelorMittal se traduit par le partage d’un système technique pour mener des activités différentes, qui conduit à des interdépendances dans l’organisation des acteurs (A). En second lieu, nous mettons au jour les relations entre la dépendance du réseau aux flux d’énergie fatale, l’équilibre technique et économique du système et sa traduction spatiale (B).

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