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Encadré 2.1 – La métaphore du métabolisme

B. De l’écologie industrielle aux symbioses urbaines

Pour situer ces autres champs de recherche, nous pouvons repartir de la notion de métabolisme urbain. En effet, cette dernière n’est pas uniquement un concept utilisé par l’écologie politique urbaine comme support à une pensée politique des relations entre la ville et l’environnement. Elle possède une définition et un usage plus prosaïques dont Erik Swyngedouw fait une critique acerbe : “studies of urban metabolism have often uncritically pursued the standard industrial ecology perspective based on some input-output model of the flow of “things”. Such analysis merely poses the issue, and fails to theorize the making of the urban as a socio-environmental metabolism. While insightful in terms of quantifying the urbanization of nature, it fails to theorize the process of urbanization as a social process of transforming and reconfiguring nature” (Swyngedouw, 2006). Les études auxquelles l’auteur fait ici référence passent ainsi d’une écologie politique urbaine à une écologie urbaine, déjà évoquée dans le chapitre précédent et dans l’Encadré 2.1, dans laquelle le métabolisme équivaut à un bilan d’entrées et de sorties de matière ou d’énergie.

La référence à l’écologie industrielle peut ici surprendre, mais elle devient claire lorsqu’on se réfère à la généalogie les différents champs de l’écologie appliqués aux systèmes humains telle qu’elle est révélée par Sabine Barles (2010a). Comme nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre précédent, l’écologie urbaine, si l’on entend par-là la discipline qui vise à quantifier le métabolisme des villes45, apparaît de manière contemporaine à l’écologie dans son

ensemble : les systèmes urbains sont parmi les premiers auxquels les concepts qui naissent au sein de la discipline sont appliqués (Bai, 2007). Cette première mouvance, qui date des années 1960 disparaît toutefois au cours des années 1980, faute d’avoir produit des résultats mobilisables pour l’action, et face à la difficulté d’obtenir des données sur les flux urbains. De manière indépendante, se développe à partir de la fin des années 1980 une autre forme d’écologie appliquée à un système humain : l’écologie industrielle, sur laquelle, comme le relève Erik Swyngedouw (2006), s’appuient les travaux plus récents d’analyse des métabolismes urbains (Barles, 2010a). L’approche est toutefois quelque peu différente : si dans le premier cas la ville est considérée avant tout comme un système générateur d’externalités négatives pour l’environnement, dans le second, le métabolisme industriel n’est pas envisagé a priori sous un jour négatif et le champ n’a pas, dans sa généralité, d’ambition

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Nous entendons par-là que nous ne faisons pas référence au champ de l’écologie urbaine qui vise à penser l’application des principes de l’écologie naturaliste dans les espaces urbains (et non à l’étude des espaces urbains) (Berdoulay et Soubeyran, 2002).

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dénonciatrice. C’est que l’écologie industrielle, au-delà d’objectifs de quantification, s’accompagne d’une rhétorique normative et d’une dimension d’incitation à l’action : il s’agit d’évaluer le métabolisme du système industriel pour mieux comprendre comment le modifier afin de mener son fonctionnement vers celui d’un écosystème naturel (Diemer et Labrune, 2007). L’objectif est ainsi de réduire les prélèvements et rejets des industries depuis et vers l’environnement.

Dans une telle perspective, le champ prêche pour une réorganisation des flux au sein du système industriel et a pour cela développé un arsenal conceptuel permettant de la caractériser. La mise en application de l’écologie industrielle consiste ainsi à mettre en œuvre des « synergies éco-industrielles » : synergie de substitution dans laquelle un flux sortant d’une industrie est utilisé comme intrant d’une autre, et synergie de mutualisation, qui consiste à partager un flux entre deux industries (Beaurain et Brullot, 2011). Le stade « ultime » de l’écologie industrielle est alors la « symbiose », définie en ces termes par Marian Chertow : “industrial symbiosis engages traditionnally separate industries in a collective approach to competitive advantage involving physical exchange of materials, energy, water, and/or by-products” (Chertow, 2000). La mise en œuvre d’une symbiose industrielle consiste donc en la recherche systématique de synergies au sein d’un groupe d’industries dont les fonctionnements respectifs sont conventionnellement séparés.

En retour de ces préconisations pour l’action, le champ conduit l’analyse de ces systèmes que sont les synergies ou les symbioses. Dans ce cadre, on peut considérer qu’Erik Swyngedouw fait en partie fausse route dans sa critique des travaux plus récents d’écologie urbaine. S’il est vrai que la plupart d’entre eux se placent dans une perspective purement quantitative (Barles, 2002), cette restriction ne peut être totalement attribuée à leur filiation avec l’écologie industrielle. En effet, la révélation du caractère non purement matériel de la mise en œuvre des synergies ou des symbioses date des débuts même du champ (Anderberg, 1998 ; Boons et Howard-Grenville, 2009 ; Cohen-Rosenthal, 2000 ; O’Rourke, Connelly et Koshland, 1996). Toutefois, alors que l’approche de Darà O’Rourke et al. possède une visée explicitement critique, les autres restent dans le cadre normatif de l’écologie industrielle et visent à fournir les outils organisationnels qui facilitent sa mise en œuvre. Ainsi, si certains travaux se contentent d’appeler de leurs vœux des analyses qui intègrent les composantes sociales, d’autres visent à mettre au jour les organisations les plus « efficaces » pour qu’émergent des synergies éco-industrielles. Des travaux de thèse récents sur le sujet en font un inventaire exhaustif (Abitbol, 2012 ; Cerceau, 2013).

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Ainsi, les recherches qui analysent le versant social de l’organisation des flux dans les systèmes industriels ne sont pas inexistantes et, en particulier en France, elles se sont cristallisées dans le développement du champ de l’écologie industrielle et territoriale, désignation qui s’est toutefois jusqu’à présent peu diffusée au-delà des frontières françaises (Barles, 2010a). Par l’adjonction du territoire, la dénomination vise à traduire deux objectifs : d’abord, ne pas oublier les acteurs impliqués dans les synergies qui construisent et sont construits par le territoire et ensuite, ne pas restreindre l’analyse des flux aux activités purement industrielles (Brullot, Maillefert et Joubert, 2014).

Ce deuxième objectif s’appuie sur une volonté de renouer avec l’intention initiale du champ qui consistait à comprendre le métabolisme des sociétés industrielles et non simplement des secteurs industriels (Decouzon et Maillefert, 2013 ; Diemer et Labrune, 2007 ; Erkman, 1997, 2001, 2004 ; O’Rourke, Connelly et Koshland, 1996). Malgré cette volonté, les travaux du champ, quelle que soit la discipline à laquelle ils se rattachent, ont en effet concentré leurs efforts sur l’analyse des entreprises industrielles. Cette focalisation, tout comme l’approche normative, peuvent trouver une explication dans l’implication des industriels eux-mêmes dans les travaux de recherche, depuis l’origine, puisque le fondement du champ est daté à la publication de l’article « Strategies for manufacturing » dans la prestigieuse revue Scientific American en 1989 par deux employés de General Motors (Erkman, 2001). Une bonne partie du champ, dans ses pendants opérationnels tant qu’académiques, s’est d’ailleurs concentrée sur les parcs éco-industriels comme lieu privilégié de mise en œuvre et d’analyse, c’est-à-dire sur des zones spatialement délimitées accueillant des entreprises industrielles et dans lesquelles une réflexion spécifique sur les flux est menée (Curien, 2014 ; Lambert et Boons, 2002 ; Sterr et Ott, 2004).

Cependant, une caractéristique des travaux qui s’intéressent à l’écologie industrielle sous l’angle des sciences sociales est de ne pas emprunter une approche sociotechnique ou socioécologique. En d’autres termes, la lecture du champ montre une focalisation sur les interactions et coordinations entre acteurs (Abitbol, 2012 ; Beaurain et Brullot, 2011 ; Boons, Spekkink et Mouzakitis, 2011 ; Brullot, Maillefert et Joubert, 2014 ; Cerceau, 2013 ; Desrochers, 2002 ; Maillefert et Robert, 2014 ; Tudor, Adam et Bates, 2007), sans que la matérialité des échanges de flux et des techniques qui les sous-tendent n’entre dans l’analyse autrement que comme un élément de contexte. Ainsi, l’objectif de ces travaux est de comprendre ce qui facilite ou non l’émergence et la pérennité des démarches d’écologie sans

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que les spécificités matérielles et techniques de ces démarches n’entrent en compte comme paramètre explicatif.

Toutefois, des travaux anglo-saxons très récents revendiquent une approche qui dépasse cette limite sans pour autant repartir des travaux que nous venons de présenter mais en proposant de mener un rapprochement entre l’écologie industrielle et l’écologie politique urbaine (Cousins et Newell, 2015 ; Newell et Cousins, 2015). Constatant que la première s’intéresse majoritairement aux seuls bilans de matière et d’énergie tandis que la seconde oublie cette matérialité, les auteurs estiment que les deux approches peuvent se nourrir l’une de l’autre. Les fondements de ce rapprochement reposent en outre sur une investigation de leurs racines respectives : Joshua Newell et Joshua Cousins montrent ainsi que tant l’écologie politique urbaine que l’écologie urbaine et l’écologie industrielle utilisent la métaphore du métabolisme et tirent leurs concepts des travaux fondateurs d’Eugene Odum (1997). Dès lors, un dialogue entre ces champs n’apparaît pas artificiel. En outre, en France, des travaux d’écologie territoriale commencent à se développer, dont le but est de comprendre les transformations socioécologiques d’un territoire tant de façon quantitative, au travers de son métabolisme, que socioéconomique (Barles, 2014 ; Buclet, 2015). Moins centrés sur les enjeux politiques et conflictuels, ils ont davantage pour objectif de faire l’histoire de l’évolution du rapport d’un territoire donné à son environnement, mais en opérant également un rapprochement entre une entrée par le métabolisme d’un côté et par les systèmes d’acteurs de l’autre.

Le nombre de travaux relevant de ces courants reste toutefois très peu important et, comme en attestent les dates des publications citées, ils sont très récents. En outre, les échelles d’investigation ne sont pas spécifiquement urbaines (Baka et Bailis, 2014 ; Bergmann, 2013). De plus, puisque leur approche quantitative porte sur les flux, le pendant qualitatif de leurs recherches se centre également sur ces derniers et interroge peu les choix infrastructurels qui accompagnent les luttes ou conflits autour de leur gestion.

Cependant, on assiste récemment à un développement d’approches qui s’inscrivent explicitement dans le champ de l’écologie industrielle, sous l’angle des sciences sociales, mais qui prennent pour objet des systèmes non inclus dans le secteur industriel et même, plus précisément, des villes. Ces recherches considèrent ainsi des systèmes urbains comme des cas particuliers de démarches d’écologie industrielle ou de symbioses (Berkel et al., 2009 ; Dong et al., 2014 ; Lenhart, van Vliet et Mol, 2015 ; Lufkin, Rey et Erkman, 2015 ; Pandis Iveroth, 2014 ; Pandis Iveroth et al., 2013 ; Vernay, 2013). On parle alors parfois de « symbiose

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urbaine », en lui donnant des définitions diverses46, mais on cherche globalement à

comprendre comment les flux sont réorientés dans la ville, dans une perspective sociotechnique, qui fait d’ailleurs pour partie référence aux travaux de STS mentionnés au début de cette section (Vernay, 2013). Dans les faits, les études de cas menées au sein de ce champ naissant portent sur les formes de coordination entre différents services urbains.

Partant cette fois-ci de la question des réseaux et se plaçant donc dans la lignée des travaux de sociotechnique évoqués dans la section précédente, les travaux récents du projet de recherche français Syracuse47 peuvent achever de relier les champs (Lorrain, Halpern et Chevauché,

2017a). Le programme vise, en particulier, à analyser les symbioses possibles entre les infrastructures urbaines en réseau, c’est-à-dire entre les services urbains de l’eau, de l’énergie et des déchets (Curien, 2014). Le terme symbiose est donc ici appliqué à des rapports entre des systèmes techniques avant de l’être à des flux mais certains des objets analysés recouvrent finalement ceux du champ de l’écologie industrielle.

La boucle est ainsi bouclée. On assiste en effet à l’essor de travaux qui, d’une part, partent d’objets relevant de l’écologie industrielle et adoptent des approches relevant de l’analyse sociotechnique et, d’autre part, se placent dans la lignée de l’analyse sociotechnique des réseaux et caractérisent leurs objets dans les termes de l’écologie industrielle.

Le paysage qui émerge de l’exploration de ces différents champs, synthétisé schématiquement sur la Figure 2.1, est relativement morcelé mais il en ressort une dynamique de recherche qui vise à appliquer des approches sociotechniques ou socioécologiques à des systèmes urbains. Le travail que nous présentons dans cette thèse vise pleinement à s’y inscrire, comme nous le développons dans ce qui suit.

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La ville comme ressource pour l’industrie ou bien comme lieu des flux. 47

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Figure 2.1 : Représentation schématique des différents champs de recherche abordés et des liens qui les unissent - Réalisation personnelle

C. Un objet d’écologie industrielle et territoriale pour une approche

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