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UN SECOND FOYER DE DÉVELOPPEMENT ET D’INSTITUTIONNALISATION DU SPORT : LA FRANCE Ŕ PIERRE DE COUBERTIN, UN HOMME ET UN PROJET Ŕ

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UN SECOND FOYER DE DÉVELOPPEMENT ET D’INSTITUTIONNALISATION DU SPORT : LA FRANCE Ŕ PIERRE DE COUBERTIN, UN HOMME ET UN PROJET Ŕ NAISSANCE D’UNE IDÉOLOGIE SPORTIVE Ŕ ESPRIT SPORTIF ET OLYMPISME

En tant qu'activité, le sport est donc principalement lié à la Révolution industrielle pour ce qui est de l'histoire, à l'Angleterre pour ce qui est de la géographie. Dans une première séquence historique, le sport se présente comme une activité d'épanouissement de la personne, et de défoulement des pulsions, et ceci dans un état d'esprit de désintéressement matériel (il n‟y a alors pas d‟enjeux compétitifs et pas de recherche de récompenses autres que purement symboliques), d‟entre-soi social. Il faut relever encore que ces activités s‟accomplissent hors réglementation stricte, hors codification précise. D'abord réservé aux couches sociales les plus aisées, et d'ailleurs inventées par celles qui disposaient de temps libre pour les loisirs de l'existence, et des réserves d'énergie physique non dépensée, le sport en a d'abord reflété les idéaux aristocratiques, ainsi que l'organisation hiérarchique et le système de valeurs. Aussi ces premières pratiques sportives ont-elles été les activités qu'affectionnait la noblesse foncière et campagnarde: équitation, chasse, tir, patinage, canotage, escrime…

En un deuxième temps, ces premières pratiques campagnardes, relevant de la gratuité propre aux passe-temps des classes oisives vivant sur leurs terres, n'ont pas tardé à se laisser infiltrer par un autre idéal, par d‟autres types de pratiques, issus cette fois d‟une autre classe sociale : la bourgeoisie entreprenante du début du XIXe siècle, bien typée par des auteurs tels que Marx, Max Weber ou par Sombart, bourgeoisie du travail et de la production, bourgeoisie du commerce, de la valeur ajoutée, et du profit. Une bourgeoisie qui ne verra plus dans l‟activité physique le remplissage du temps libre ou la rencontre mondaine, mais une valeur, les rouages d‟un modèle éducatif fondé sur l‟engagement du corps, sur la dépense d‟énergie, sur l‟affrontement volontaire d‟obstacles ou de difficultés, sur la compétition, sur la recherche de l‟amélioration des performances, tous ces éléments devant concourir à la formation du caractère et des aptitudes physiques. Activité à forte majorité masculine convoquée comme moyen d‟établir ou de renforcer les identités sexuées traditionnelles. Comme l‟écrit Eric Dunning (1998), le sport constitue donc historiquement une

« enclave légitimant une libre expression de l‘agressivité masculine et le développement d‘habitus masculins traditionnels, incluant l‘usage et le déploiement de force et d‘exploits physiques et donc comme un vecteur primaire d‘expérience validatrice de masculinité et comme un bastion protégeant de la féminisation et de l‘émasculation ».

Autrement dit, si le sport première phase historique disait la virilité dans le loisir de classes sociales oisives, le sport deuxième phase, approprié par une bourgeoisie fortement marquée par une morale de l‟effort et du dépassement de soi, produit une autre image et une autre éthique de l'activité physique, qui se confond progressivement avec celle d'une véritable gestion du corps réalisée selon

Prof. Christophe Jaccoud, Centre international d’étude du sport/ Université de NeuchâtelPage 152 les préceptes et les principes d'une économie, ou d'un entraînement, le plus favorable au travail, à la production, à l'enrichissement et à l'amélioration des performances120.

A cet égard, si l‟Angleterre reste le creuset originel du sport et des transformations qu‟il a subies, l‟approche « configurationnelle », empruntée à Norbert Elias, qui lie le processus de sportivisation à des configurations historiques particulières (le parlementarisme et la Révolution industrielle pour l‟Angleterre), conduit à mettre en relief le rôle de la France dans ce que l‟on peut décrire comme une seconde institutionnalisation du sport. Dernier pays dans lequel on peut distinguer une seconde configuration, qui a lié cette fois le développement du sport à la Troisième République et à un certain nombre d‟enjeux politiques et économiques qui s‟y rapportent .

Le rôle de Pierre de Coubertin

Il faut donc se déplacer vers la France, et ceci d‟autant plus qu‟elle est aussi la terre natale de ce personnage essentiel qu‟est Pierre de Frédy, baron de Coubertin (1863-1937), lequel a joué un rôle-clé dans la mise en forme de cette seconde configuration, et ceci pour cinq raisons au moins.

Première raison : son apport éducatif contrebalance et vient percuter l‟héritage militaire et hygiéniste des anciennes gymnastiques. A leur rigueur, à la raideur des mouvements dont la gymnastique suédoise est un exemple, il oppose le jeu, l‟émulation compétitive, l‟initiative personnelle, mais aussi l‟esprit de record121. A l‟intérieur des activités physiques qui ont pour

120 Un bémol toutefois. Si le sport et l‟entraînement sportif seront de plus en plus associés à des moyens de dépassement de la perfectibilité humaine, ils ne cesseront pas pour autant, à travers une pratique bourgeoise, d‟incarner une nouvelle éthique et une nouvelle esthétique du plaisir, de l‟hédonisme et du souci de soi, faces aimables du dynamisme économique bourgeois. Comme l‟écrit André Rauch (2000), « progressivement un contraste s‘est imposé entre le prestige des charges professionnelles et la jouissance d‘un repos qui permet d‘affiner sa culture, de converser avec art ou de collectionner avec goût. Savoir insérer ces plaisirs individuels dans les rythmes de la vie sociale, c‘est montrer qu‘on appartient à l‘élite de la bourgeoisie (…). Bénéficier d‘un temps pour soi est le signe de l‘autonomie, la marque d‘une forte personnalité (…). A celui qui ne sait que faire en dehors de son travail ou de ses obligations familiales, manque une qualité essentielle, que vont renforcer les devises de chaque type de loisirs. La pêche (…), la chasse (…). Enfin (…),les amateurs de sport et de high-life préparent rencontres et compétitions sportives : dans les années 1890, le Rowing Club organise derby et championnats de France d‘aviron. L‘habileté à maîtriser la conduite et la vitesse d‘un engin révèlent l‘excellence : une Coupe de France de régates est créée en 1891 par le Yacht Club de France, avant que ne fleurisse la passion de l‘automobile puis de l‘aviation, comme il existe par ailleurs des compétitions de cyclisme ou d‘athlétisme. Ces loisirs ne sont pas des pratiques masculines en soi, par nature ; elles distinguent les hommes en ce sens qu‘elles sont exemplaires de leur manière de disposer librement de leur temps. Ces usages confèrent aussi à leurs adeptes le sentiment de faire partie d‘une société et sont aussi un mode de reconnaissance. Plus que d‘autres, les notables y trouvent une occasion de se valoriser. La passion pour le cheval rassemble les sociétaires du Jockey-Club, fondé en 1833 à Paris (…). Les parties de whist (…) animent le Cercle de l‘union, fondé en 1828 par le Duc de Guiche (…). Au cours du XIXe siècle, les notables, à l‘imitation du rentier qui cultive son oisiveté, prennent des dispositions pour leurs loisirs. Ils nourrissent des projets personnels, dont ils n‘attendent ni bien ni richesse, et cultivent l‘amateurisme. En se livrant à des activités qui les honorent sans entamer leur indépendance, ils cherchent à se montrer libres de leur temps. Les voilà attentifs à leur corps durant une partie de chasse, à leurs sens au cours d‘un voyage touristique ou d‘une excursion »

(Rauch, 2000).

121 Occasion de rappeler que, contre une idée reçue et bien ancrée, le sport, dans la vision coubertinienne, ne vise nullement la santé, cette tâche étant laissée à la gymnastique qui promeut la modération et un développement physique équilibré. Le sport coubertinien défend au contraire l’excès, l’incessant dépassement, la recherche de la performance. Se dépasser, battre son record, voilà le signe véritable de la santé : « Non, il ne faut pas parler de modération, il faut parler d’effort ! ».

Prof. Christophe Jaccoud, Centre international d’étude du sport/ Université de NeuchâtelPage 153 justification de développer la santé, la valorisation de la compétition sportive repose sur des valeurs simples. Le sport moderne se rattache à une théorie du progrès : l‟homme est lancé dans un processus indéfini. Il appartient aux générations nouvelles d‟aller en tous domaines plus loin que les anciennes, de courir plus vite, de sauter plus haut. Les records ne représentent pas des limites, ils constituent des jalons et indiquent une optimisation des capacités du corps humain.

Deuxième raison : Coubertin et les coubertiniens vont faire du sport une véritable anthropofabrique, le lieu de la production d‟un individu socio-moral fait de grandeur d‟âme et de simplicité, de don de soi et de modestie, de stoïcisme et d‟assurance de sa propre excellence : le sport est donc une excellence, portée par un homme nouveau. Il a les traits du sportif, le sportif a ses traits : énergie, courage, prise de risque.

Troisième raison : Coubertin est un sociologue et un philosophe. Il appartient, à sa manière et à travers son engagement, à la large cohorte des intellectuels de la fin du 19e siècle qui sont tout à la fois fascinés par la modernité, par une société qui se développe vite et inexorablement et qui, dans le même temps, s’inquiètent du catéchisme spirituel et idéologique qui accompagne ce développement : rationalisme, positivisme, évolutionnisme, sécularisation ( libération des croyances instituées, affranchissement de l’idée que l’homme ne saurait se passer de la religion et du fondement qu’elle est censée apporter à ses choix moraux, possibilité pour l’humanité d’améliorer sa condition historique sans le secours de la foi, délaissement du besoin de la référence à une transcendance pour savoir ce qu’il en est du Bien et du Mal…).

A partir de là, une large partie de l’intelligentsia –qu’elle soit catholique, socialiste, nationaliste, anarchiste…- va dire son inquiétude en face du progrès technique et de l’essor capitaliste, et proposer, selon des idéologies variables, un renouveau spirituel. Coubertin, au travers de la promotion de son projet sportif, appartient alors à cette galaxie d’intellectuels (Henri Bergson, Emile Durkheim, Edouard Rod…) qui se retrouveront autour d’un foyer de certitudes tournées vers l’idée que l’homme doit retrouver un élan vital et doit, par ses propres forces, se dégager du filet d’une société qui, certes, s’améliore, mais qui, dans le même temps, s’appauvrit spirituellement, toute tournée qu’elle est vers le progrès et la rationalité.

Quatrième raison : Coubertin a joué un rôle historique dans le processus de diffusion, de codification et d‟institutionnalisation du sport, à travers la rénovation des Jeux Olympiques modernes et, au-delà, à travers la création d‟une bureaucratie sportive internationale permanente, bien illustrée par la puissante institution qu‟est le Comité International Olympique.

Cinquième raison : Coubertin doit être considéré comme le fixateur idéologique du sport, c‟est-à-dire comme celui qui a fabriqué de toutes pièces une idéologie sportive, ce que le sport n‟était pas en Angleterre, où il servait pour l‟essentiel de pédagogie génératrice de force ou de cohésion sociales et de préparation empirique à l‟existence. Coubertin est donc l‟inventeur d‟une idéologie sportive, idéologie dont la finalité principale a été d‟encastrer le sport dans une armure de vertu, de grandeur et de moralité ; idéologie sportive aujourd‟hui encore très peu contestée, et dont on peut dire qu‟elle repose sur les principes suivants :

Sur le principe du sport éternel, principe selon lequel il est une constante culturelle et anthropologique, pérennité qui exprime les traits permanents de la nature humaine.

Sur le principe de la qualité essentiellement démocratique du sport, principe selon lequel, dans le sport, les différences de classe, de rang, de fortune disparaissent ; au sens également où le sport est un affrontement à chances égales, où seul le meilleur gagne. Dans cette perspective, le sport est un

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« renverseur de cloisons », une activité capable de faire l‟union de tous par-dessus les intérêts, donc un universalisme.

Sur le principe du sport comme Pharmakon, principe selon lequel le sport est l‟antidote à l‟entropie sociale, un cataplasme ayant la vertu d‟empêcher, ou tout au moins d‟enrayer, les crises sociales pour constituer un remède efficace contre les maux, les problèmes et les stridences de la vie en société.

Un personnage et une œuvre ambigus

Pierre de Coubertin, mythe indissociable de l‟histoire du sport, icône de la modernité sportive, rénovateur des Jeux Olympiques modernes, aristocrate de vieille souche monarchiste mais néanmoins républicain sincère, initiateur et inlassable propagandiste d‟un projet social et philosophique éducatif et pacifique ; mais aussi idéologue profondément réactionnaire, misogyne, racialiste et impérialiste, aux sympathies affirmées pour les régimes autoritaires corporatistes et fascistes des années 1930…..Coubertin est tout cela, et plus encore un personnage complexe dont les valeurs, la trajectoire comme l‟œuvre toute entière sont entrelacés de nombreuses ambiguïtés.

Coubertin s‟est senti toute sa vie interpellé par la « Question sociale », pour systématiquement évoquer et défendre le rôle que peuvent jouer les sports au sein de la civilisation moderne, en particulier comme remède à la lutte des classes122 ? Il croit en fait « fermement en l‘existence d‘une élite naturelle. Il concentra donc ses efforts sur les embranchements juvéniles de cette élite, autrement dit sur la jeunesse dorée de son pays. Dans cette entreprise, ses modèles étaient les élites sociales juvéniles de deux autres sociétés qui lui semblaient présenter nombre de traits de la perfection : en premier lieu, les ephêboi des cités grecques antiques, qui passaient une grande partie de leur temps dans les gymnases publics, où les activités et compétitions athlétiques et paramilitaires étaient ponctuées, pour ceux qui le souhaitaient, de conférences données par les philosophes et des orateurs de passage et plus encore, les élèves des public schools de l‘Angleterre contemporaine (…). L‘exercice physique et le sport, ne cessa-t-il d‘affirmer dans des discours et des articles (…), sont des composantes essentielles d‘un système éducatif digne de ce nom.

Favoriser une bonne condition physique, une saine émulation, un véritable amateurisme et un esprit sportif permettrait à l‘élite naturelle venue de l‘aristocratie et de la classe moyenne de donner à la France de nouveaux dirigeants brillants, à la fois en métropole et dans les colonies d‘outre-mer, et de contribuer à rendre à la nation sa fierté et son prestige anéanti par la guerre de 1870 »

Moses Finlay, HW Pleket (2004).

122 « Les progrès du sport irritent les partisans de la guerre des classes et intéressent sympathiquement ceux qui espèrent en des moyens plus doux pour amener les changements désirés par eux dans l‘organisation de la société. La pratique des exercices sportifs n‘égalise pas les conditions mais elle égalise les relations et il est probable qu‘ici la forme a plus d‘importance que le fond (…). Il détruit l‘envie par le fait de la justice absolue et quasi-mathématique dont il se réclame. Il chasse la mauvaise humeur en installant à sa place la joie de vivre. Il diminue les distances jusqu‘à parfois les anéantir, jusqu‘à parfois renverser le sablier social en portant un modeste artisan au-dessus d‘un prince»

Pierre de Coubertin (1913), « Le sport et la question sociale ».

Prof. Christophe Jaccoud, Centre international d’étude du sport/ Université de NeuchâtelPage 155 La pratique sportive, telle que l‟aime et la promeut Coubertin, dit-elle la libération des carcans, l‟hédonisme, le mérite individuel, la force de l‟énergie vitale ? La philosophie de Coubertin est en fait étroitement masculiniste et pudibonde. Pour lui, le sport est d‟abord appelé à construire un imaginaire de genre, il est le creuset dans lequel se construit l‟identité mâle, une enclave favorisant des expériences de validation de la masculinité. En outre, le sport a un rôle apaisant dans ce qu‟on pourrait appeler la question sexuelle : il est d‟abord l‟exercice d‟un plaisir masculin en quelque sorte auto-suffisant, puisque l‟homme n‟y affronte pas la différence sexuelle, mais réalise une virilité ramenée à la recherche du dépassement et de la performance, donc sur une forme d‟asexuation123. Coubertin estime d‟ailleurs à ce propos que seule l‟activité sportive bien comprise permet d‟éviter l‟apparition de la « préoccupation sexuelle », avec les aspects morbides qu‘elle revêt fatalement à l‘adolescence (…). Nous savons que ce qui provoque ou accentue ce travail de l‘imagination, c‘est la pornographie étalée sur les murs, répandue dans la presse, délayée dans le roman, colportée dans les conversations. Mais nous savons aussi ce qui le retarde et même le supprime : c‘est l‘activité musculaire dirigée et dominée par l‘émulation sportive. C‘est pourquoi il n‘est que juste de dire qu‘à défaut de la guerre, le sport permet d‘éviter la crise redoutable à laquelle est vouée toute la jeunesse non sportive (…). Seul, le sport donnera aux jeunes latins – comme il l‘a donné aux jeunes Anglo-saxons- la recette pour devenir homme sainement »

Pierre de Coubertin (1913), Essais de psychologie sportive.

Le sport est-il un projet civilisateur et réconciliateur, « l‘un des plus puissants éléments de paix, [ne devant pas] être réservé à certaines catégories sociales, mais étendu à tous et mis à la portée de tous sans exception » ? La philosophie sportive coubertinienne est une inquiétante machine

123A la suite d‟un certain nombre d‟auteurs, on peut rappeler ici, et la chose a également été commentée à propos de l‟Angleterre, que le sport installe ses quartiers dans la société française en un temps où se manifeste l‟évolution du rôle des femmes et une crise/recomposition de l‟identité masculine qui évolue progressivement dans le sens d‟une virilité associée à des critères de réussites professionnelle et familiale :

« La Révolution de 1789 et la révolution industrielle ont transformé les statuts et les rôles, bouleversé les valeurs, remodelé les identités : dès les années 1830, la question de la femme commence à se poser en référence à des comportements qui n‘engagent plus seulement quelques personnalités d‘exception. Les signes avant-coureurs se multiplient , qui annoncent cette période de 1871 à 1914, période de paix et de stabilité relatives, où les femmes vont engranger des avancées pratiques, symboliques et théoriques. (…). Contraint de se resituer relativement à une femme en mouvement qui bouscule les plus anciens repères, l‘homme se voit contraint de confronter sa propre praxis à la liste présupposée de ses mérites et de s‘interroger sur sa place dans le monde. Il n‘en vint pas pour autant à remettre en question sa prééminence (de 1871 à 1914, on le verra, l‘aversion vis-à-vis des émancipées constitue dans le sexe masculin la réaction dominante) (…) Et parmi ces pourfendeurs d‘émancipées, figurent des gens qui comptent, Proudhon, Barbey d‘Aurevilly, Maupassant, Zola, Anatole France, Mirbeau, Maurras…, ou qui comptaient alors : Marcel Prévost, Eugène Brieux, Emile Faguet, Henry Bataille, Henry Bernstein, Maurice Donnay (…). Cela dit, l‘ampleur du courant a pour contrepartie sa diversité. Les catholiques sont attachés à la conception chrétienne de l‘épouse-mère, gardienne sacrificielle du foyer, la bourgeoisie républicaine et anticléricale s‘inquiète de l‘influence de l‘Eglise sur les femmes, le mouvement ouvrier craint la concurrence faite aux hommes par la main-d‘œuvre féminine sous-payée (….). La question du travail féminin suscite elle aussi d‘étranges rencontres. Alors que les féministes avancent la revendication « A travail égal, salaire égal », dont le succès permettrait aux deux sexes de se présenter dans des conditions identiques sur le marché du travail, le mouvement ouvrier boude ce mot d‘ordre. Au Congrès de 1879, au congrès CGT de 1898, on le voit rêver plutôt du retour des femmes au foyer ; en avril 1913 encore, la Fédération CGT du Livre refuse l‘adhésion de la typographe Emma Couriau et exclut du syndicat son mari, coupable de l‘encourager ».

Maugue (1987).

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