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LE SECOND EMPIRE ET LA LOI FALLOUX LA GUERRE DE 1870

LES JÉSUITES DANS LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE

5. LE SECOND EMPIRE ET LA LOI FALLOUX LA GUERRE DE 1870

Nous avons signalé dans le chapitre précédent la large tolérance dont jouit en France, sous Napoléon III, la Société de Jésus, bien qu'elle fût toujours officiellement interdite. Il ne pouvait en aller autrement, du reste, sous un régime qui devait son existence même - au moins pour une large part - à l'Église romaine, et auquel l'appui de celle-ci ne manqua jamais, tant qu'il dura. Mais ce tic fut pas sans qu'il en contât fort cher à la France.

A vrai dire, les lecteurs du «Progrès du Pas-de-Calais», organe dans lequel le futur empereur publia divers articles en 1843 et 1844, ne pouvaient alors le soupçonner de faiblesse à l'égard de «l'ultramontanisme», à en juger par des passages tels que celui-ci: «Le clergé réclame, sous le nom de liberté d'enseignement, le droit d'instruire la jeunesse.

L'État, de son côté, réclame pour son propre intérêt le droit de diriger seul l'instruction

publique. Cette lutte vient nécessairement d'une divergence d'opinions, d'idées, de sentiments entre le gouvernement et l'Église.

Chacun voudrait, à son profit, influencer en sens contraire les générations qui naissent.

Nous ne croyons pas, comme un illustre orateur, que, pour faire cesser cet état de diversion, il faille briser tous les liens qui rattachent le clergé au pouvoir civil.

Malheureusement les ministres de la religion en France sont en général opposés aux intérêts démocratiques; leur permettre d'élever sans contrôle des écoles, c'est leur permettre d'enseigner au peuple la haine de la révolution et de la liberté».

Et plus loin: «Le clergé cessera d'être ultramontain dès qu'on le forcera à s'élever, comme jadis, dans les sciences, et à se confondre avec le peuple, en puisant sa propre éducation aux mêmes sources que la généralité des citoyens». Se référant à la façon dont étaient formés les prêtres en Allemagne, l'auteur précise ainsi sa pensée: «Au lieu

d'être, dès l'enfance, séquestrés du monde, et de puiser dans les séminaires un esprit hostile à la société au milieu de laquelle ils doivent vivre, ils apprennent de bonne heure à être citoyens avant d'être prêtres».(34)

Voilà qui n'annonçait pas le cléricalisme politique chez le futur souverain, alors

«carbonaro». Mais l'ambition de monter sur le trône allait bientôt l'inciter à plus de docilité envers Rome. Celle-ci ne l'a-t-elle pas aidé puissamment à gravir le premier échelon ?

«Nommé président de la République le 10 décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte s'entoure de ministres parmi lesquels on remarque M. de Falloux. Qu'est-ce que M. de Falloux ? Un instrument des Jésuites... Le 4 janvier 1849, il institue une commission chargée de préparer «une large réforme législative sur l'enseignement primaire et sur l'enseignement secondaire»... Au cours de la discussion, M. Cousin prend la liberté de faire remarquer que l'Église a peut-être tort de lier son sort à celui des Jésuites. Mgr Dupanloup

défend énergiquement la Société, de Jésus...

On prépare une loi sur l'enseignement qui sera une «réparation» aux Jésuites. On a autrefois défendu l'État, l'Université contre les envahissements des Jésuites; ou a eu tort, on a été injuste; on a exigé du gouvernement l'application des lois vis-à-vis de ces agents d'un gouvernement étranger; on leur en demande pardon. Ce sont de bons citoyens qu'on a méconnus, calomniés; que peut-on bien faire pour leur témoigner l'estime et le respect auxquels ils ont droit ?

Leur livrer l'enseignement des jeunes générations. «Tel est, en effet, le but de la loi du 15 mars 1850. Cette loi institue un conseil supérieur de l'Instruction publique où le clergé a la haute main (art. 1er); elle rend le clergé maître des écoles (art. 44); elle reconnaît aux associations religieuses le droit de fonder des écoles libres, sans s'expliquer sur les congrégations non autorisées (Jésuites) (art.

17, 2); elle porte (art 49) que les lettres d'obédience tiendront lieu de brevet de

capacité. En vain M. Barthélémy Saint-Hilaire démontre à la tribune que le but des auteurs du projet est d'arriver à la constitution d'un monopole en faveur du clergé, que la loi porterait une atteinte funeste à l'Université...

En vain, Victor Hugo s'écrie - «Cette loi est un monopole aux mains de ceux qui tendent à faire sortir l'enseignement de la sacristie et le gouvernement du confessionnal».(35)

Mais l'Assemblée reste sourde à ces protestations. Elle préfère écouter M. de Montalembert, qui s'écrie: «Nous serons engloutis si nous ne remontons pas d'un bond vigoureux le courant du rationalisme, de la démagogie. Or, vous ne le remonterez qu'avec le secours de l'Église». «Comme s'il craignait de n'avoir pas suffisamment caractérisé l'esprit de la loi, M. de Montalembert ajoute ces mots:

«A l'armée démoralisatrice et anarchique des instituteurs, il faut opposer l'armée du clergé».

La loi fut votée. Jamais en France les Jésuites n'avaient obtenu un triomphe plus complet. M.

de Montalembert le reconnaissait hautement...

Il disait: «Je crois défendre la justice en soutenant de mon mieux le gouvernement de la République, qui a tant fait pour sauver l'ordre, pour maintenir l'union des Français, et qui, surtout, a rendu à la liberté de l'Église catholique plus de services qu'aucun des pouvoirs qui ont régné en France depuis deux siècles».(36)

Tout cela, qui date de plus de cent ans, ne fleure-t-il pas un certain parfum d'actualité ? Mais voyons comment agissait, sur le plan international, la «République» présidée par le prince Louis-Napoléon. La révolution de 1848 avait, entre autres répercussions en Europe, provoqué le soulèvement des Romains contre le pape Pie IX, leur souverain temporel, et celui-ci avait dû s'enfuir à Gaëte. La République romaine était proclamée. Par un scandaleux paradoxe, ce fut la République française qui, d'accord avec les Autrichiens et le roi de Naples, se chargea de rétablir sur son trône l'indésirable souverain. «Il fallut l'intervention d'un corps français, qui vint mettre le siège

devant Rome et emporta la ville le 2 juin 1849, pour restaurer le pouvoir pontifical. Encore celui-ci ne se maintint-il que grâce à la présence d'une division d'occupation française, qui n'abandonna Rome qu'au lendemain des premiers désastres de la guerre franco-allemande de 1870.»(37)

Ce début était prometteur. «Le coup d'État (2 décembre 1851) s'accomplit, l'Empire est proclamé. Louis-Napoléon, président de la République, avait favorisé les Jésuites de toutes ses forces. Devenu empereur, il n'a rien à refuser à ses alliés et complices. Le clergé déverse abondamment ses bénédictions et ses «Te Deum» sur les massacres et les proscriptions du 2 décembre. L'auteur de cet abominable guet-apens est, à ses yeux, un sauveur providentiel: «L'archevêque de Paris, Mgr Sibour, qui a eu sous les yeux les massacres du boulevard, s'écrie: «L'homme que Dieu tenait en réserve a paru jamais le doigt de Dieu ne fut plus visible que dans les événements qui ont amené ce grand résultat.»

L'évêque de Saint-Flour dit en pleine chaire:

«Dieu a montré du doigt Louis-Napoléon; il l'avait nommé d'avance empereur. Oui, mes très chers frères, Dieu l'a sacré d'avance par la bénédiction de ses pontifes et de ses prêtres; il l'a acclamé lui-même. Pourra-t-on ne pas reconnaître l'Élu de Dieu ?» L'évêque de Nevers salue dans le parjure «l'instrument visible de la Providence». «Ces misérables adulations, dont il serait facile de multiplier les échantillons, méritaient une récompense. Cette récompense fut une liberté complète laissée aux Jésuites pendant toute la durée de l'empire. La Société de Jésus fut véritablement maîtresse de la France pendant dix-huit ans...

elle put s'enrichir, multiplier ses établissements, accroître son influence. Son action se fait sentir dans tous les événements 'importants du règne, et notamment dans l'expédition du Mexique et la déclaration de guerre de 1870.»(38)

«L'empire, c'est la paix», avait proclamé le nouveau souverain. Mais, deux ans à peine

après son accession au trône, éclatait la première de ces guerres qui allaient se succéder tout au long du règne, au gré d'inspirations qui paraîtraient incohérentes aux regards de l'Histoire, si l'on ne distinguait pas ce qui en fait l'unité: la défense des intérêts de l'Église romaine. La guerre de Crimée, première de ces folles entreprises qui nous affaiblissaient sans aucun profit national, est caractéristique à cet égard.

Ce n'est pas un anticlérical, c'est l'abbé Brugerette qui écrit: «Il faut lire les discours que le célèbre théatin (le Père Ventura) prêcha à la chapelle des Tuileries, pendant le carême de 1857. Il y présentait la restauration de l'Empire comme l'œuvre de Dieu... et louait Napoléon III d'avoir défendu la religion en Crimée et fait ainsi resplendir une seconde fois en Orient les beaux jours des Croisades... La guerre de Crimée fut regardée comme le complément de l'expédition romaine... Elle fut célébrée par tout le clergé, plein d'admiration pour la ferveur religieuse des troupes qui

assiégèrent Sébastopol. Et Sainte-Beuve raconta avec attendrissement l'envoi par Napoléon III d'une image de la Vierge à la flotte française.»(39)

Que fut cette expédition qui déchaînait ainsi l'enthousiasme des cléricaux. M. Paul Léon, membre de l'Institut, va nous le dire: «Une simple querelle de moines réveille la question d'Orient: elle est née de rivalités entre latins et orthodoxes pour la garde des lieux saints. A qui appartiendra la surveillance des églises de Bethléem, la possession des clefs, la direction des travaux ? Qui peut penser que de si minimes intérêts opposeront deux grands empires ?... Mais, derrière les moines latins, nantis d'anciens privilèges, s'agite le parti catholique en France, appui du nouveau régime; derrière l'exigence croissante des orthodoxes, de plus en plus nombreux, se devine l'influence russe.»(40)

Le tsar invoque la protection des orthodoxes qu'il lui appartient d'assurer, et pour la rendre