• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Cadre théorique

2.5 La théorie de l’enquête de John Dewey

2.5.3 Le schème de l’enquête

Dewey distingue cinq phases14 à l’enquête et donc, à la pensée réflexive qui se produit à travers

elle : 1. La reconnaissance du problème, 2. L’institution du problème, 3. La suggestion de solutions possibles, 4. Le raisonnement et 5. La concordance d’une idée et formation d’une opinion15 (Tsuin-

Chen, 1958; Deledalle, 1967; Dewey, 1910/2004; Dewey, 1916/1990; Pépin, 2015). Il est important de souligner que ces phases ne sont pas linéaires et qu’il est possible de revenir aux phases dites précédentes, comme le démontre la Figure 2.2.

14 La terminologie pour dénommer ces cinq phases ne fait pas l’unanimité des auteurs. En effet,

Deledalle (1967) les nomme des opérations, Fabre (2006) des composantes, Pépin (2015), des

traits généraux et Dewey (1910/2004) des étapes. Notons ici que, peu importe la nomenclature

Figure 2.2. Les phases du schème de l’enquête

1. La reconnaissance du problème

Premièrement, la reconnaissance du problème est « induite par la perplexité, la confusion, le doute dus à l’implication dans une situation incomplète dont le caractère n’est pas entièrement déterminé » (Pépin, 2015, p. 71). Cette situation indéterminée, définie comme une situation douteuse posant un problème (Deledalle, 1967), représente le fondement et le point de départ de l’enquête de Dewey. Bien que cette phase s’enclenche par le ressenti, les sentiments de l’individu face à une situation (Dewey, 1910/2004), cette dernière est objectivement incertaine puisque ces éléments constitutifs ne s’emboitent pas et qu’ils obligent l’individu à se questionner (Deledalle, 1967). Ainsi, il y a rupture dans la continuité entre l’homme et l’environnement. L’enquête doit donc être amorcée afin de rétablir l’équilibre.

L’enquête selon Dewey

Corrélation

Enquête

Biologique Culturel Organisme - environnement Comportement défini dans des schèmes spatial et temporel

Langage

Sens commun Scientifique

Schème de l’enquête 1. La reconnaissance du problème 2. L’institution du problème 3. La suggestion de solutions possibles au problème

Observation des faits

Détermination des éléments du problème Suggestions d’idées et de significations

4. Le raisonnement

5. La concordance d’une idée

et la formation d’une opinion Faits Idées

Expérience Discontinuité Références = faits Inférences = idées Jugement prouvent et éprouvent Transaction Logique Discipline progressive Discipline opérationnelle Formes logiques = Matériel, Instrumentalité, Outils,

Techniques

Théorie naturaliste

= postulats de et pour l’enquête = conditions de découvertes = moyens et conséquences Discipline sociale Autonome Sujet Prédicat Corpule - jugement pratique - jugement moral - jugement d’appréciation - jugement de valuation Évaluation

2. L’institution du problème

Deuxièmement, dans l’institution du problème, l’individu détermine si la situation douteuse est problématique (Deledalle, 1967). Pour ce faire, il observe systématiquement les aspects de la situation indéterminée afin d’en faire ressortir les causes et les éléments distinctifs16 (Pépin, 2015).

Ici, le terme systématiquement est primordial puisque les éléments constitutifs de la situation indéterminée représentent le matériel sur lequel l’enquête s’appuie – ce qui est présent, connu et les

contraintes à considérer (Fabre, 2006). C’est ce que Dewey nomme les références. Celles-ci

entament une réflexion critique dont « l’essence […] est représentée par la suspension du jugement17

et l’essence de cette suspension consiste dans la recherche qui doit permettre de fixer la nature du problème avant qu’aucune tentative soit faite pour le solutionner » (Dewey, 1910/2004, p.102). La nature même de cette étape est de conceptualiser la situation elle-même en observant ses éléments constitutifs afin de la déclarer problématique, et ainsi, faire un premier pas vers dans le processus d’enquête (Deledalle, 1967).

La déclaration d’une situation problématique est une étape cruciale puisqu’elle permet la détermination de sa nature propre et influence nécessairement le reste du processus d’enquête. « La façon dont le problème est conçu décide des suggestions spécifiques qui seront acceptées et de celles qui seront rejetées; du choix et du rejet de telle ou telle donnée; c’est le critère de la propriété ou de l’impropriété des hypothèses et structures conceptuelles » (Deledalle, 1967, p. 172-173).

3. La suggestion de solutions possibles au problème

Troisièmement, l’individu doit énoncer des solutions possibles au problème déterminé dans la phase précédente afin que celui-ci ait une signification (Deledalle, 1967). La suggestion de solutions possibles requiert une déduction d’éléments – le statut possible – à partir des faits connus de la situation (Fabre, 2006). C’est ce que Dewey nomme les inférences. « Comme l’inférence dépasse le présent actuel, elle suppose un bon en avant, un saut dans l’inconnu, dont la portée ne peut être

évaluée avec précision » (Dewey, 1910/2004). Ces inférences deviennent des idées18, c’est-à-dire

une possibilité de solutions, lorsqu’elles sont mises à l’essai comme moyen de résoudre la situation (Deledalle, 1967). Évidemment, plusieurs idées différentes peuvent émerger à cette étape. Cette multiplication de suggestions possibles favorise une bonne activité de pensée (Pépin, 2015).

4. Le raisonnement

Quatrièmement, la phase de raisonnement représente la mise à l’épreuve – validation ou invalidation – des idées véhiculées précédemment comme solution à la problématique. Pour ce faire, les implications et les conséquences des idées sont analysées sous la loupe des relations symboles- signification dans la situation dont elles font partie (Deledalle, 1967). Celles-ci peuvent représenter une étape intermédiaire dans le processus de résolution de problème (Dewey, 1910/2004) puisqu’« à travers une série de significations intermédiaires, on atteint enfin une signification qui convient plus clairement au problème en question que l’idée d’abord suggérée » (Deledalle, 1967, p.177).

Ainsi, cette étape implique la mise à l’épreuve théorique, c’est-à-dire sans une expérimentation proprement dite, des inférences qui, lorsqu’elles sont invalidées, impliquent de retourner vers les références – et donc la phase d’institution du problème – afin de se représenter la problématique à la lumière de cette nouvelle expérience. « Les références et les inférences interagissent : l’accumulation de références suscite des inférences, lesquelles produisent de nouvelles références et ainsi de suite en une dialectique d’indices et de preuves » (Fabre, 2006, p. 20) visant la transformation de la situation indéterminée en une situation déterminée.

5. La concordance d’une idée et formation d’une opinion

Cinquièmement, la phase de concordance d’une idée et formation d’une opinion implique une opérationnalisation des idées afin de vérifier qu’elles correspondent aux résultats rationnellement ou théoriquement déduits (Dewey, 1910/2004). Pour ce faire, l’individu doit observer l’expérimentation de cette idée dans les significations existantes de la situation afin d’amener de nouveaux faits –

références – en lumière, comme le démontre la Figure 2.3.

18 Dewey utilise également les termes supposition, conjoncture, présomption, hypothèse et théorie

Figure 2.3. Processus de mise à l’épreuve des idées

« On éprouve [les faits], on les “prouve” pour s’assurer de leur fonction de preuve, exactement comme on éprouve les idées (hypothèses) pour s’assurer de leur fonction de “résolution”. La force opérative des idées et des faits est pratiquement reconnue dans la mesure où ils sont liés à l’expérimentation. » (Deledalle, 1967, p.179)

L’enquête prend fin lorsque les faits éprouvés peuvent former une unité capable de déterminer la situation de départ. Ainsi, lorsque les résultats sont positifs, la conclusion de l’enquête est la formation d’une opinion sur la problématique (Pépin, 2015), un jugement de cette idée, « qui équivaut à une conclusion [et] clôt le débat » (Dewey, 1910/2004, p. 142).

Le jugement

Dewey distingue plusieurs caractéristiques au jugement. D’abord, le jugement final est individuel, c’est-à-dire qu’il réfère à une enquête spécifique dans un système de significations donné et défini par des schèmes spatial et temporel. Ainsi, il n’est pas généralisé et pourra être soumis à une nouvelle épreuve dans un autre contexte (Deledalle, 1967).

Ensuite, la structure du jugement se décompose selon une correspondance sujet – prédicat, comme le présente la Figure 2.4.

Figure 2.4. La structure du jugement

D’une part, le sujet du jugement est existentiel et représente le problème, le matériel de l’enquête. D’autre part, le prédicat du jugement représente « les solutions suggérées comme solutions possibles [au sujet], qui sont donc utilisées pour diriger de nouvelles opérations d’observation expérimentale » (Deledalle, 1967, p. 199). Le prédicat est donc la méthode pour en arriver à la solution et non la solution en elle-même. La correspondance réciproque entre le sujet et le prédicat est nommée corpule et exprime la transformation de la situation douteuse et indéterminée en une situation déterminée et finale (Deledalle, 1967).

L’enquête selon Dewey

Corrélation

Enquête

Biologique Culturel Organisme - environnement Comportement défini dans des schèmes spatial et temporel

Langage

Sens commun Scientifique

Schème de l’enquête

1. La reconnaissance du problème 2. L’institution du problème 3. La suggestion de solutions possibles au problème

Observation des faits

Détermination des éléments du problème Suggestions d’idées et de significations

4. Le raisonnement

5. La concordance d’une idée

et la formation d’une opinion Faits Idées

Expérience Discontinuité Références = faits Inférences = idées

Jugement

prouvent et éprouvent Transaction

Logique

Discipline progressive Discipline opérationnelle Formes logiques

= Matériel, Instrumentalité, Outils, Techniques

Théorie naturaliste

= postulats de et pour l’enquête = conditions de découvertes = moyens et conséquences Discipline sociale Autonome Sujet Prédicat Corpule - jugement pratique - jugement moral - jugement d’appréciation - jugement de valuation Évaluation

Le jugement, dans cette structure, se forge tout au long du processus d’enquête. Il représente la fin de la résolution de problème où l’évaluation du processus et des connaissances générées à travers celui-ci est effectuée. « Car pour Dewey (1916/1990) l’expérience se doit d’être réflexive, de faire intervenir la pensée, à travers des observations qui entraineront un jugement par rapport aux moyens à prendre en fonction de fins en vue choisies » (Pépin, 2015, p. 75). En ce sens, le jugement est l’évaluation finale du processus d’enquête.

Documents relatifs