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Chapitre 2 : Cadre théorique

2.4 La théorie de l’expérience

La notion d’expérience, dans la doctrine pédagogique de Dewey, est cruciale. Tsuin-Chen (1958) la définit comme l’interaction (la transaction) entre le sujet et l’environnement. Deledalle (1965) ajoute une nuance en mentionnant que l’expérience s’applique à toutes situations où la transaction sujet- environnement provient dans l’optique de maintenir ou créer un équilibre préalablement perturbé par la croissance du sujet ou par un changement dans l’environnement.

L’expérience, telle que Dewey la conçoit, s’inscrit dans une éducation authentique4 où l’enfant

apprend à vivre à l’intérieur de son milieu social (Deladalle, 1965). L’expérience n’est donc pas commandée par l’éducateur, inversement, elle émerge des besoins de la personnalité de l’apprenant lui-même. À cet égard, elle se dégage de l’intérêt qui « n’est pas extérieur à l’individu, il est un jaillissement interne, une expression de sa croissance » (Deledalle, 1965, p. 46). Comme « l’intérêt

ou le désir doit être l’ultime ressort ou déclencheur de l’action à planifier puis à entreprendre » (Pépin, 2015), les actions dans lesquelles s’engagent les élèves sont des activités libres5 où l’enfant

a non seulement le pouvoir de choisir l’activité, mais également les moyens avec lesquels il s’y engagera (Deledalle, 1965). Dewey préconise que les enfants résolvent constamment des problèmes auxquels ils font face dans leur quotidien, leur réalité. Il recommande donc que la formation soit présentée aux élèves selon un problème réel, concret et à leur niveau, puisqu’il s’agit d’une façon naturelle pour eux d’aborder les apprentissages (Gauthier & Tardif, 2005).

Dans le même ordre d’idées, l’apprentissage, tel que conceptualisé par l’éducation progressive, est réalisé à travers les processus de continuité expérientielle et de transaction entre l’environnement et l’enfant. D’abord, la continuité expérientielle s’exprime par la relation entre l’individu et l’environnement. Elle prend ancrage dans les activités libres, mais également dans les aspects de l’environnement expérimentés par l’enfant, par exemple, les plantes, la température et l’électricité. C’est lorsque ces derniers sont en continuité avec le niveau de croissance de l’individu qu’il y a continuité expérientielle. « L’organisme et l’environnement ne se distinguent de l’un de l’autre que s’il y a conflit ou tension dans une situation, autrement dit, discontinuité. Mais la distinction n’est que pratique et temporaire. Elle disparait dès que la situation est résolue et que la continuité reprend ses droits » (Deledalle, 1965, p.28).

C’est lorsque cette continuité est compromise que l’enfant entre dans un processus de transaction avec l’environnement pour rétablir l’équilibre ou en créer une nouvelle. « Dès qu’il y a rupture de continuité entre l’activité et l’objet de l’activité […] commence la réflexion qui permet de rétablir la continuité » (Deledalle, 1965, p.57). C’est à travers le processus de réflexion sous-jacent, cette reconstruction que la pensée réflexive de l’enfant se forge puisque c’est celle-ci qui lui permet de s’appuyer sur ses expériences antérieures (Deledalle, 1965). De là, les apprenants développent une panoplie de connaissances techniques, physiques et culturelles dans l’optique de reconstruction de l’expérience. Les apprentissages réalisés dans cette phase de transaction, où ils résolvent un

l’action lorsque le besoin s’est présenté, dans un contexte réel, authentique et signifiant (Tsuin-Chen, 1958). Ainsi, l’expérience préconisée par Dewey est parallèlement préalable à tout apprentissage et le point d’ancrage des apprentissages futurs s’inscrit dans les principes de continuité expérientielle et de transaction avec l’environnement. « Pour Dewey (1916/1990), pour que l’éducation soit pertinente, c’est-à-dire en fait pour qu’elle respecte, d’une part, l’expérience présente des élèves et qu’elle pave, d’autre part, la voie aux expériences futures des apprenants, il est nécessaire qu’il existe une continuité expérientielle entre l’élève et la société » (Pépin, 2015).

De ce point de vue, la continuité entre la société, l’environnement et l’école correspond à ce projet d’apprentissage par problème, puisque le problème analysé émerge de la société elle-même et sera investigué à l’école. « L’éducation progressive se donne pour fin de permettre à l’enfant de s’adapter librement au monde moderne en développant des capacités techniques afin de devenir un citoyen productif » (Deledalle, 1965 p. 90). Le projet permet donc aux élèves de plonger dans la société et, de ce fait, s’inscrit dans le courant d’une éducation authentique où les questions étudiées sont réelles et concrètes.

2.4.1 Initiation à la vie démocratique

Les principes de la pensée éducative de Dewey s’imbriquent tous dans l’aspect social. En effet, ils s’ancrent dans une continuité interféconde entre la société, la famille et l’école et il considère l’école comme « la méthode fondamentale du progrès et de la réforme sociale » (Deledalle, 1965, p. 66). L’éducation est enracinée dans l’expérience présente de l’enfant et non dans une optique systématique de préparation au futur. Il est évident que ces apprentissages seront utiles dans le futur, mais ils ne sont pas véhiculés fondamentalement à titre de préparation. « L’éducation n’est donc pas une préparation pour l’avenir, mais la vie présente. Elle est “un processus de vie et non une préparation à la vie” » (Deledalle, 1965, p.61).

D’ailleurs, c’est ce qui explique que la valeur centrale de la pensée éducative de John Dewey est la démocratie. Celle-ci se manifeste dans sa doctrine dans la place que l’école occupe dans la société,

mais également dans celle qu’il donne aux enfants dans la société. « La démocratie n’est pas seulement une forme politique, elle est avant tout un mode d’association pour la vie, une manière de réunir et de mettre en commun l’expérience des individus » (Tsuin-Chen, 1958, p. 181). En effet, Dewey préconise que les élèves prennent part dès maintenant à la vie en société. C’est d’ailleurs le rôle central de l’éducation : « donner au jeune être “ce dont il a besoin pour devenir d’une manière ordonnée et continue membre de la société » (Deledalle, 1965, p.63). Ainsi, l’école prend le rôle d’initiation à la vie démocratique.

L’intégration de l’enfant comme membre à part entière dans la société est un lien-clé entre la doctrine pédagogique de Dewey et ce projet de recherche. L’objectif de ce dernier est d’amener les élèves à réfléchir, débattre et se positionner sur une question socialement vive, qui normalement serait réservée aux adultes considérés comme les membres actifs de la communauté. En s’inscrivant dans une posture où les élèves sont des citoyens à part entière plutôt que de prendre pour assise qu’ils le deviendront, ce projet s’ancre dans leur expérience présente, bien que plusieurs habiletés qu’ils y mobiliseront pourront être réinvesties dans le futur. Ainsi, le projet de recherche s’inscrit dans la pensée de Dewey selon laquelle l’enfant est un membre de la communauté et doit y participer.

À la lumière des éléments de sa doctrine pédagogique présentés, la méthode d’apprentissage par l’action prônée par Dewey semble correspondre aux visées de la présente recherche. La question socialement vive présentée dans le cadre du projet pédagogique sera ainsi analysée selon la méthode du « learning by doing », plus précisément sous la loupe de la théorie de l’enquête de Dewey.

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