• Aucun résultat trouvé

Le scénario de l’exposition conçu par les concepteurs-muséographes de Pointe-à-Callière

Le 22 février 2007, les concepteurs-muséographes présentent au comité de direction le scénario préliminaire expliquant les « adaptations nécessaires » (Scénario). Précisons les partis pris généraux du scénario.

En premier lieu, le document décrit les motivations de Pointe-à-Callière à présenter la sélection d’objets de cette exposition réalisée par le Musée du quai Branly. Relevons l’emploi des qualificatifs à l’égard de ces objets : « d’une exceptionnelle qualité, choisis parmi les plus beaux des collections amérindiennes du musée, d’une très grande qualité, pièces réalisées avec un soin particulier comme il convient pour des cadeaux de prestige, beauté et exotisme de ces objets, un corpus qui se distingue ». Par ailleurs, nous remarquons que même si « […] ces objets n’ont pas tous appartenu aux collections du roi », « […] ce corpus se distingue de tout autre qui pourrait être fait de pièces choisies des Premières Nations du 18e et du 19e siècles ». Le document souligne le partenariat avec le quai Branly en tant que « musée de grand prestige ».

Le document montre aussi les raisons pour lesquelles Pointe-à-Callière doit modifier l’exposition. Cinq facteurs sont pris en compte. 1- l’organisation typologique des objets (cette structure exige beaucoup d’explications dans les textes de l’exposition, même s’il n’en est pas ainsi dans l’exposition initiale), 2- le contexte sensible du Canada (les descendants des nations autochtones sont présents), 3- les intérêts des visiteurs canadiens (différents de ceux de France), 4- le potentiel communicationnel des objets (saisir la spécificité des significations de cette sélection d’objets), 5- l’historique des expositions sur les autochtones de Pointe-à-Callière et la proximité de cette institution avec d’autres musées qui exposent déjà des collections « amérindiennes » (éviter la redondance). En ce qui concerne le contexte canadien, il est exprimé « qu’en terre d’Amérique », autrement dit « aux portes de plusieurs communautés amérindiennes », la « distanciation physique et temporelle face aux objets ne peut être la même. Tant dans les contenus que dans la muséographie, l’adaptation montréalaise doit tenir compte des sensibilités d’ici ». Plusieurs modalités sont proposées :

Il y a plusieurs façons d’agir vis-à-vis d’un contexte sensible. On peut faire comme s’il n’existait pas ou l’aborder dans un esprit d’ouverture. C’est ce dernier parti qu’a choisi Pointe-à-Callière, en décidant de mettre sur pied un comité aviseur sur l’exposition qui comprendra au moins trois représentants des Premières Nations. Par ailleurs, les artefacts résultant de la rencontre entre Français et Amérindiens, ils offrent eux-mêmes un potentiel extraordinaire pour être des artisans de rapprochements plutôt que de tensions. Les contacts répétés entre Français – ou Canadiens français – et Amérindiens ont entraîné des impacts divers et réciproques sur les modes de vie des uns et des autres. Les objets présentés peuvent mettre en relief ces échanges (Scénario préliminaire, 2007).

À cet égard, le parti pris général de l’institution est de « […] mener à une adaptation apte à offrir non seulement le plaisir de la contemplation, mais une découverte sensible, humanisée, du sens profond de ces objets : inviter à mieux connaître l’Autre, à accueillir ses savoirs ». Lors d’une réunion de travail préalable (16 février 2007), il avait également été choisi de donner aux objets un statut de témoin des rencontres entre les deux peuples (autochtones et Français).

En troisième lieu, les perspectives communicationnelles qui en découlent sont axées sur la « rencontre avec l’Autre » et mettent l’accent sur des aspects positifs à l’égard des objets et des nations autochtones. Plusieurs objectifs sont visés :

1- Faire en sorte que le visiteur, quelle que soit son origine, trouve dans l’exposition une occasion de réflexion sur sa propre rencontre de l’Autre, 2- Expliquer par quels parcours ces objets se retrouvent aujourd’hui préservés par le musée du quai Branly – afin que le visiteur comprenne quels types d’itinéraires ont suivi les objets offerts à sa contemplation et qu’il en saisisse pleinement la valeur, Mettre en lumière, par cette collection qui résulte de la rencontre entre les Français et les Premières Nations d’Amérique, le rôle crucial joué par les nations amérindiennes dans l’extension et le maintien de la Nouvelle-France et du fait français en Amérique, 4- Mettre en valeur la beauté des objets présentés, 5- Mettre en valeur la qualité et la richesse des savoir-faire ayant permis à ces objets de venir au monde (Scénario préliminaire, 2007).

Lors d’une réunion de travail (16 février 2007), il avait été soulevé que cette approche s’appuie sur les travaux de Havard (2001, 2003) centrés sur la « rencontre » et le « métissage » entre les peuples et que l’axe principal de l’exposition repose ainsi sur une « histoire partagée ».

Le parcours de l’exposition proposé dans le scénario est articulé autour de trois « lignes conceptuelles » : « 1- La Rencontre, 2- La découverte mutuelle, avec ses partages, ses échanges, ses affrontements, ses impacts, et qui peu à peu, mène à l’alliance, 3- L’entretien et l’approfondissement des liens tissés ». La perspective de la « Rencontre » introduit les deux mondes, celui de « l’Amérindien et celui du nouvel arrivant ». L’approche de « l’alliance » présente différentes manières de tisser des liens, tels que les mariages,

l’adoption, le troc, le commerce et d’inclure la thématique du métissage. Enfin, le troisième axe est ainsi décrit autour de la notion de « Rendez-vous » :

Cette exposition, après avoir traversé en quelque sorte – sans pour autant en faire le propos principal – ce qui s’est passé dans l’est de l’Amérique du Nord, présente en conclusion de très beaux objets témoignant d’ultimes échanges aux dernières heures de la Nouvelle-France – avec des wampum (amérindiens) et une pipe-tomahawk (d’origine française) comme celle qu’offrit alors le roi de France à ses alliés pour les remercier de leur appui fidèle. Elle s’achève enfin par un geste d’ouverture : l’invitation lancée à tous, Autochtones et Non Autochtones, de continuer à explorer les chemins de la rencontre. Ainsi, des événements, des festivals, des maisons de culture autochtone, des musées autochtones sont proposés aux Non-Autochtones par des communautés amérindiennes toutes proches, aussi bien qu’en plein Montréal (Scénario préliminaire, 2007).

Enfin, l’ensemble de ces axes propose une ligne de conduite consensuelle qui décrit et incite à la paix sociale. Il marque un régime de reconnaissance. Il s’en dégage une image positive des relations entre les autochtones et les Français, une bonne entente actuelle et pour le futur entre les descendants de ces derniers. Nous remarquons que la colonisation n’est pas désignée dans ce document ; or, il s’agit essentiellement des relations entre les autochtones et les colonisateurs pendant l’époque de la Nouvelle-France.

Mentionnons également qu’après révision du scénario par le comité de direction (version du 23 février), le concept de l’exposition propose quatre orientations correspondant aux quatre étapes définitionnelles d’une « rencontre », telles qu’elles sont conçues par le musée. La « Rencontre » devient ainsi le point nodal de l’exposition : « 1- La prise de contact, 2- La découverte, avec ses partages, ses échanges, ses affrontements, ses impacts, 3- La vraie rencontre, qui mène à l’alliance, 4- L’entretien et l’approfondissement des liens tissés ». Nous constatons également le passage de la « découverte » avec ses « affrontements » à la « vraie rencontre qui mène à l’alliance ». Ce glissement renforcé par l’adjectif « vrai » manifeste un jugement de valeur et un positionnement très clairs de la part du musée. L’exposition met l’accent sur l’harmonie et la communion des peuples. Autrement dit, sur le présupposé métissage volontaire.

Nous repérons, à travers les thèmes abordés dans le scénario préliminaire, des préconisations et des précautions qui rejoignent l’idéal de parité et d’équité, dont les trois exemples suivants : l’aménagement spatial, les points de vue inscrits dans le discours et le graphisme. Tout d’abord, la zone d’introduction présente deux espaces distincts sur les

deux « mondes » et un troisième îlot signifiant le « trait d’union ». Pour chacune des zones, des « témoignages » autochtones sont insérés dans les textes. Enfin, le choix de l’iconographie en trame de fond représente un soleil (figures 2 et 5), motif qui provient d’une robe autochtone (figure 4). Le soleil est aussi le symbole du roi Louis XIV (figure 3).

Figure 2 : Exposition Premières Nations, collections royales de

France, Pointe-à-Callière (Virginie Soulier, 2007)

Figure 3 : Motif sur le mur, exposition Premières Nations,

collections royales de France, Pointe-à-Callière (Virginie

Soulier, 2007)

Figure 4 : Robe avec un soleil, exposition Premières Nations,

collections royales de France, Pointe-à-Callière (Virginie Soulier,

2007)

Figure 5 : Motif de la muséographie, exposition Premières

Nations, collections royales de France, Pointe-à-Callière