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1‐  Le  mode  d’action  collaboratif  des  muséologies  sociales  et  leurs  risques 

Les démarches collaboratives apparaissent comme le mode d’action central des muséologies sociales qui proposent un nouveau rapport à la culture et au patrimoine. Les collaborations se retrouvent dans toutes sortes de muséologies sociales dites « coopératives, participatives, communautaires, populaires, actives, etc. ». Ces notions sont souvent employées les unes pour les autres. Elles visent notamment à faire ressurgir les « racines de cultures englouties » selon l’expression variniste. La définition du courant de la « muséologie participative » d’après le lexique du MINON est

Celle qui associe une population et des non professionnels du musée au travail du musée dans un esprit de démocratisation de l’outil culturel du musée, reconnaissant le droit à chaque individu d’avoir accès aux pratiques culturelles muséales. Généralement à tendance cogestionnaire ou autogestionnaire

(MINOM, 1993).

Il émerge essentiellement deux modèles collaboratifs en contexte muséal. Le premier est ancré sur la communauté culturelle elle-même, selon les fondements de l’écomuséolgie. La communauté prend l’initiative des projets. C’est elle qui mène les projets et qui joue le rôle d’arbitre. Les professionnels des musées sont consultés pour des conseils et leur

savoir-faire muséologique. Le dispositif communicationnel s’adresse directement aux individus de la communauté.

Inversement dans le deuxième modèle, ce sont les professionnels des musées qui invitent des représentants des communautés culturelles à participer à leur projet muséal au sein de leur institution. Différents points de vue sont alors présentés dans l’exposition. La « muséologie autochtone » existerait dans ces deux modèles collaboratifs, tant dans les musées allochtones qu’autochtones.

Il est intéressant de relever les « leçons » de l’écomuséologie telles qu’elles ont été traitées en contexte français pour en faire ressortir certaines illusions à l’œuvre, mais aussi les dérives potentielles pour les musées canadiens, tout en sachant que les situations diffèrent (Chaumier, 2007).

Chaumier présente le phénomène de participation tel un « paragon » et les années d’après-guerre en tant que période « de contre-culture » (2007 : 242-243). Il remonte aux origines des écomusées en faisant appel à la nouvelle idéologie de la démocratie culturelle qui prône une éducation populaire pour tous. De Varine avait associé en 1969 le « musée » au « cours magistral » afin d’en montrer ses limites d’accès (Chaumier, 2007 : 242). L’éducation populaire pariait en effet sur l’appropriation par la participation et l’implication (2007 : 242). Il fallait ainsi transformer les populations en acteurs de la culture. Jeanson avait tenté de théoriser une action culturelle où les apprenants étaient conscientisés et actifs dans leur processus d’apprentissage de la culture (Chaumier, 2007 : 242-243). Cette vision trouvait son pendant à l’écomusée du Creusot Montceau-les-Mines. De Varine a dans ce contexte défini ce qu’est la culture en y intégrant la « culture des autres » et en suggérant des approches communautaires (de Varine, 1991), souhaitant ainsi décontaminer cette dernière de l’idéologie dominante ou la « décoloniser » (de Varine, 2005).

[Un] glissement s’opère d’une participation des populations, à l’acculturation, acteur en quelque sorte de leur d’éducation, pour développer culturellement un territoire et ses habitants, à une volonté d’expression d’une culture donnée, existante, qu’il s’agit de faire reconnaître (Chaumier, 2007 : 243).

Chaumier relève deux positions contradictoires dans l’écomuséologie qui engendrent au moins trois conséquences. Les démarches participatives sont prises en tenaille entre la volonté d’expression de soi et celle d’appropriation des lieux et de la culture : 1- La culture dite « savante » est finalement « désacralisée » et « déhiérarchisée ». Or, l’idée de participation pour une culture populaire est susceptible de devenir, selon l’auteur, une approche démagogique et une stratégie pour attirer des publics. Les musées ont pour ambition de devenir des instruments de développement de l’individu et de sa communauté en se mettant au service de projets locaux (Chaumier, 2007 : 244). Le but convoité est que le musée se transforme en un levier économique. 2- Mais finalement, l’implication de la communauté se limite progressivement à la vente de leur artisanat. Le musée s’adresse moins à des visiteurs qu’il ne devient l’expression de l’action de la population et un lieu pour les habitants. Les usagers sont en fin de compte les concepteurs. L’écomusée devient un espace social de retrouvailles de la communauté (Chaumier, 2007).

Une divergence apparaît dans les visions de l’écomuséologie. Alors que Rivière entend donner le dernier mot aux scientifiques, de Varine pousse la logique populaire jusqu’au bout en visant l’expression exclusive des « Autres ». Pour Chaumier, « l’utopie est généreuse » :

[…] elle suppose l’expression démocratique et une communauté constituée d’acteurs éclairés qui entendent mettre en avant l’analyse du passé au service d’un

développement intelligent vers l’avenir. Il ne fait pas de doute, pour Hugues de Varine, et sa foi en l’Homme y transparaît, que l’initiative populaire tendra vers le meilleur. Mais l’expression populaire peut être différente, d’autant que l’idéologie de l’époque flatte la revalorisation des origines. Le folklore va se trouver cristallisé dans une glorification de l’identité qui se fige dans un identitarisme, c’est-à-dire une identité conçue comme une donnée, stable et rigide (Chaumier, 2007 : 244).

En tout cela, Chaumier dévoile un enfermement identitaire enclin à une vision passéiste et nostalgique qui se légitime en bonne conscience par l’idéalisation des cultures populaires et qui se prévaut d’une dignité égale à la culture « savante ». Un engouement certain pour faire naître de multiples musées d’identité émerge ainsi dans les années 1980. La tendance aux collaborations dans une logique d’expression identitaire avec des collectifs non professionnels s’est aujourd’hui amoindrie en France (2007 : 245). Précisons qu’au Canada

les musées de civilisations de Québec et de Hull sont apparus durant cette même période, avec ces mêmes ambitions identitaires et de renouveau de la muséologie.

À partir de ces constats sur l’écomuséologie française, Chaumier met en garde ce qui guette les musées d’Amérique du Nord qui collaborent avec les autochtones. Il entrevoit une même logique communautariste et les mêmes risques de construire un discours plus mythologique que scientifique. Il s’interroge comme nous sur la légitimité accordée à une parole « […] sous prétexte qu’elle s’origine dans des appartenances ancestrales ou qu’elle porte l’héritage d’un monde », ce qui est toujours suspect et relève avant tout du politiquement correct (2007 : 245). D’après l’auteur, ces démarches collaboratives sont susceptibles de régressions vers un obscurantisme condamné par les Lumières. En quoi l’appartenance à une culture justifie-t-elle l’instance finale de décision sur la patrimonialisation ? Si les exigences de démocratie culturelle et de revalorisation des cultures signifient redonner totalement la parole aux intéressés/aux autochtones, elles risquent au final de ne pas produire ce que les autochtones veulent, ou bien de faire croire que les musées deviennent des instruments de l’expression des autochtones. À l’inverse, si les musées travaillent pour les autochtones sans les impliquer, les autochtones ne deviennent finalement que des cibles de clientèles. Cette stratégie n’est pas forcément gagnante non plus.