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I. Contexte, objectifs et démarche de l’étude

I.4. Accident de perte du réfrigérant primaire

I.4.1. Scénario APRP

L’APRP est une situation accidentelle hypothétique de catégorie IV12 (en France) pour les REP. Il est

initié par l’apparition d’une brèche dans le circuit primaire, conduisant à une dépressurisation du circuit, dont la pression peut descendre dans certains cas à quelques bars13, et à une perte d’une partie importante

de l’eau, qui joue le rôle de réfrigérant primaire. Une grande quantité d’eau passe à l’état de vapeur et la capacité à refroidir le cœur du réacteur est dégradée. Les barres de contrôle chutent immédiatement après la formation de la brèche pour arrêter la réaction de fission. La puissance thermique résiduelle dans la pastille est transmise à la gaine qui s’échauffe alors rapidement (la vapeur constituant un moins bon caloporteur que l’eau pressurisée à son débit nominal). Pour éviter que la température augmente de façon excessive, ce qui pourrait in fine conduire à la fusion du cœur du réacteur, une quantité massive d’eau est injectée dans le cœur par les systèmes de refroidissement d’urgence14. La durée typique d’un

transitoire APRP avant refroidissement et trempe finale est de quelques minutes.

La Figure I.6 représente schématiquement l’évolution de la température de la gaine à une position donnée en fonction du temps à partir de l’apparition de la brèche lors d’un transitoire APRP.

Figure I.6 : Schéma de l’évolution de la température locale de la gaine lors d’un transitoire APRP de type « grosse brèche »

12 Accident dont la fréquence d’occurrence est de 10-4 à 10-6 par tranche et par an, pouvant entraîner un endommagement des barrières de confinement, en particulier de la première.

13 La pression résiduelle dans le circuit primaire à l’issue du scénario APRP dépend du nombre, de la taille et de la localisation des brèches dans le circuit primaire.

14 « Emergency Core Cooling System » (ECCS) en anglais.

Temps Température (°C) 400 800 1200 1. Échauffement et chargement en pression interne → Ballonnement et éclatement

2. Oxydation sous vapeur d’eau à HT et prise d’hydrogène « secondaire » potentiellement 3. Refroidissement et trempe à l’eau

(avec sollicitation de traction) → possibilité de rupture ou

fragmentation

4. Sollicitations mécaniques «post-trempe »

Plus précisément, dans la première phase du scénario APRP, la température locale de la gaine augmente rapidement, à une vitesse de l’ordre de quelques °C/s à quelques dizaines de °C/s (Hache and Chung, 2001). Elle peut atteindre 1200°C15 au maximum selon les critères de sûreté liés à l’APRP. Entre environ

800 et 1000°C, une transformation allotropique du zirconium est observée. Parallèlement, la pression interne de la gaine, due au chargement initial en hélium dans les crayons combustibles et aux gaz engendrés au cours des réactions nucléaires, augmente avec la température (de quelques bars à plusieurs dizaines de bars). Ainsi, lors de la montée en température, la gaine se déforme sous l’effet du chargement thermomécanique et peut ballonner (déformation localisée, dans une région plus ou moins étendue de la gaine, où la température est la plus élevée généralement) voire éclater (Figure I.7) (Forgeron et al., 2000; Nagase and Fuketa, 2005). Du point de vue microstructural, l’augmentation de la température de la gaine (irradiée/corrodée en service) lors de la première phase du scénario APRP conduit à restaurer les défauts d’irradiation (Portier et al., 2005; Ribis et al., 2010) et à dissoudre les hydrures (Une and Ishimoto, 2003).

Figure I.7 : Gaines rompues durant la trempe après ballonnement/éclatement et oxydation à HT (essais semi-intégraux reproduisant un transitoire de type APRP) (Thieurmel, 2018)

Dans la deuxième phase du transitoire, la température de la gaine peut localement atteindre 1200°C. La gaine est ainsi exposée à de la vapeur d’eau à HT pendant plusieurs dizaines de secondes à quelques minutes. Elle s’oxyde alors, plus rapidement qu’à plus basse température. Elle est ensuite refroidie à une vitesse de l’ordre de 1 à 10°C/s jusqu’à 800 – 500°C puis finalement trempée à l’eau par les systèmes de refroidissement d’urgence (Hache and Chung, 2001). À l’issue d’un scénario APRP de type « grosse brèche », la température du cœur est stabilisée autour de 135°C. Pendant le refroidissement et la trempe, il est possible que la gaine rompe si son niveau d’oxydation et/ou d’hydruration est trop important. La Figure I.7 représente les deux principaux modes de rupture attendus lors de la trempe après oxydation à HT, faisant suite au ballonnement et à l’éclatement de la gaine lors de la première phase de l’APRP : soit la rupture est localisée au niveau de l’éclatement, soit elle est éloignée de quelques centimètres de

15 La température maximale atteinte est fonction du type de réacteur, des brèches (nombre, taille et localisation, …), de la position de la gaine dans l’assemblage, etc…

I.4. Accident de perte du réfrigérant primaire 19 la zone d’ouverture (Nagase and Fuketa, 2005; Thieurmel, 2018), du fait d’un phénomène local d’hydruration secondaire sur lequel nous reviendrons par la suite.

En conditions post-accidentelles, après le refroidissement et la trempe, la gaine et l’assemblage combustible doivent conserver une « refroidissabilité » suffisante à suffisamment long terme, jusqu’à la mise en œuvre des opérations de manutention/extraction des assemblages accidentés. Il faut donc également s’assurer que les gaines gardent une résistance et une ductilité/ténacité suffisantes à suffisamment long terme, à 135°C et en deçà.

La plupart des critères de sûreté pour la première barrière de confinement que constitue la gaine ont été définis dans les années 1970 par l’USNRC (United States Nuclear Regulatory Commission)16 en se

basant sur la connaissance et les expériences de l’époque. Ces critères n’ont pas subi d’évolution majeure jusque récemment. Ces critères ont été adoptés en France à l’occasion de la construction des premiers réacteurs électrogènes sous licence Westinghouse (IRSN, 2012), et peuvent se résumer en cinq points principaux (Chung, 2005) :

− La température maximale de la gaine ne peut pas dépasser 1204°C (soit 2200°F).

− Le taux d’oxydation maximal de la gaine, ECR (« Equivalent Cladding Reacted »)17, est fixé à

17%.

− La quantité d’hydrogène générée par l’oxydation du zirconium ne doit pas dépasser 1% de la quantité totale qui serait obtenue avec l’hypothèse extrême que l’ensemble des gaines présentes dans le cœur du réacteur aient été totalement oxydées (sur toute leur hauteur active).

− La géométrie du cœur du réacteur doit rester adaptée au refroidissement. Il faut par exemple éviter un bouchage trop étendu des canaux de refroidissement inter-crayons et/ou une fragmentation étendue des gaines.

− À l’issue du scénario APRP, la température du cœur doit être maintenue à une valeur suffisamment faible pour permettre le refroidissement à long terme après la trempe.

Les deux premiers critères (la température maximale et le taux d’oxydation maximal), rattachés aux phases d’oxydation sous vapeur d’eau à HT et de refroidissement/trempe, ont été basés sur les résultats de tests de « ductilité résiduelle post-trempe » réalisés sur des gaines oxydées double-face (c’est-à-dire en surface externe et en surface interne) sous vapeur d’eau à HT puis trempées directement à l’eau (Hobson, 1973; Hobson and Rittenhouse, 1972). La « ductilité résiduelle » des gaines a été caractérisée par des essais de compression diamétrale d’anneau, à 135°C essentiellement. À partir de ces données expérimentales, Hobson a établi une corrélation entre le niveau d’oxydation (ECR) et l’atteinte du seuil de ductilité « nulle » de la gaine18 ; un seuil limite d’oxydation de 17%, pour des températures

d’oxydation inférieures à 1200°C, a été calculé par la corrélation de Baker-Just établie en 1962 (Cox, 1999) (Baker and Just, 1962). L’idée qui a prévalu lors de l’établissement de ces critères était basée sur le fait qu’à l’époque, d’après les commissaires de l’AEC19, garder une certaine ductilité résiduelle de la

16 L’USNRC est l’autorité de sûreté nucléaire américaine

17 L’ECR est l’épaisseur relative de la gaine consommée par l’oxydation en supposant que tout l’oxygène est absorbé pour former de la zircone stœchiométrique

18 « Zero Ductility Temperature » (ZDT) en anglais

gaine était la meilleure façon d’éviter sa rupture potentielle et donc de conserver l’intégrité des crayons de combustible lors du scénario APRP20 (Hache and Chung, 2001). Cependant, il faut noter que les

critères développés dans les années 1970 ont été établis sur la base des expériences disponibles à l’époque pour des tubes en Zy4 vierge de la première génération, sans tenir compte, par exemple, des effets de la corrosion en service, et notamment de l’hydruration de la gaine, ni de potentiels effets supplémentaires dus à l’irradiation. En effet, il s’est avéré a posteriori que la limite en ECR maximal de 17% ne garantissait pas la ductilité résiduelle de la gaine après la trempe lorsque la teneur en hydrogène absorbée par le matériau au cours de la corrosion nominale est importante, par exemple égale ou supérieure à 700 ppm-mass. (Billone et al., 2008; Brachet et al., 2008; Chung and Kassner, 1980; Nagase and Fuketa, 2005). Autrement dit, la ductilité post-trempe de la gaine dépend non seulement de son niveau d’oxydation sous vapeur d’eau à HT, mais également de la quantité d’hydrogène absorbée avant ou pendant le transitoire APRP.