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Résumé

Les moyens numériques ont contribué à innover en architecture et en design par la génération de nouvelles formes complexes. Ils ont trans- formé les pratiques en facilitant une continuité informationnelle dans un projet. Ces nouvelles possibilités combinées à l’intégration de la robo- tique ont soutenu la (ré)apparition d’un « maître artisan numérique ». Ces transformations exigent l’acquisition de nouvelles compétences et une réflexion sur l’enseignement de l’architecture et du design. Plusieurs de ces procédés numériques ont été déployés dans le cadre d’un atelier d’architecture (automne 2014). Ils ont permis aux étudiants d’ex- plorer de nouvelles pistes conceptuelles.

Introduction

Les progrès scientifiques et les nouvelles technolo- gies ont souvent contribué à changer notre style de vie, nos sociétés, notre environnement et nos pra- tiques en architecture et en design. Notre histoire en est riche en exemples. À la Renaissance italienne, l’introduction des connaissances relatives à la projection orthogonale et projective a permis à des artisans et à des artistes de s’approprier la fonction de l’acteur qui définit la forme des constructions. Ainsi, l’édification n’est plus seulement sous l’égide de « maîtres-maçons » (Tidafi, 1996). De même, la révolution industrielle et l’avènement de la machine ont soutenu la production de masse et une dissocia- tion entre la création et la fabrication des artefacts. Les designers remplacèrent les artisans. En archi- tecture, l’industrialisation a stimulé l’apparition de nouveaux styles et la réorganisation des projets.

De nos jours, les moyens numériques, initia- lement employés principalement pour le dessin technique et la représentation tridimensionnelle, tiennent progressivement un rôle plus actif dans les

processus de création et de matérialisation (Kalay, 2009). Vu ces transformations, nous nous posons les questions suivantes :

• Comment les moyens numériques transfor- ment-ils les pratiques en design et en architecture ? • Quels prérequis et quelles connaissances auront alors à maîtriser les concepteurs de demain et comment serait-il possible de les intégrer dans leur formation ?

Le numérique, vecteur de nouvelles sources d’inspiration et de façons de faire

Le numérique a permis d’introduire des méthodes pour générer des formes. Les règles d’harmonie, de proportion et de composition ont cédé la place à de nouvelles façons qui s’inspirent particulièrement de la nature, de la biologie et de la biomimétique. La littérature scientifique énumère cinq principaux modèles computationnels (Block et Advances, 2015 ; Carpo, 2013 ; Ceccato, Hesselgren, Pauly, Pottmann, et Wallner, 2010 ; Oxman et Oxman, 2014) :

1) La génération tectonique des formes (tectonic form generation) basée, comme son nom l’indique, sur des modèles tectoniques. Ces méthodes sont fréquemment employées dans les travaux de cer- tains architectes comme chez l'Advanced Geometry Unit d’ARUP, le Foster’s Specialist Modeling Group (SMG) et Zaha Hadid (Sakamoto et Ferré, 2008).

2) La génération matérielle des formes (mate- rial form generation). Elle s’appuie sur l’usage de modèles tridimensionnels qui reproduisent des structures matérielles résultantes d’un assemblage intégral selon des procédures de pliage, de tressage, de tricotage, etc. (Cile, 2005 ; Oxman, 2012). Ainsi, le design ne consiste plus uniquement à avoir des idées et des concepts, mais il nécessite la maîtrise de techniques et savoir-faire des matériaux comme l’illustre Ludovica Tramontin (2006, p. 53) : Houssem Mnejja, Temy Tidafi, Université de Montréal

Le design architectural ne consiste pas à avoir des idées, mais à posséder des techniques qui permettent d'intervenir au niveau de la matérialité. Cela consiste à faire en sorte que la matière se lie et vive par elle-même.

3) La génération des formes selon des processus naturels et biologiques. Cette approche exploite une forme naturelle, un phénomène, des processus, des procédures ou des principes biologiques. Les études des systèmes biologiques sont les bases théoriques de design morphogénétiques (Hensel, Menges et Weinstock, 2013).

4) La génération de formes selon des processus de fabrication. Elle a recours aux logiques et tech- niques de fabrication pour développer des modèles conceptuels et procéduraux. Elle est caractérisée par une coordination inhérente entre les processus numériques de fabrication et de conception (Ger- ber, Pantazis et Marcolino, 2015 ; Parigi, Parigi et Kirkegaard, 2014).

L’exemple du pavillon 2014 de l’Institute of Com- putational Design (ICD) de l’École d’architecture de l’Université de Stuttgart (Allemagne) est une illustration de l’intégration de principes biologiques et la génération de formes basée sur les contraintes structurelles et les performances des matériaux (figure 1). La structure de la coque du scarabée

volant sert de source d’inspiration pour concevoir une installation composée de plusieurs « écailles » interconnectées. Les maquettes numériques ont servi pour simuler les forces et prévoir la nature des fibres à enrouler par deux bras robotiques (figure 3).

Le numérique : la transition du virtuel au matériel

Le développement des machines à contrôle numérique (CNC) a assuré une continuité de flux d’informations dans le processus (conception/fabri- cation). Des dispositifs onéreux, mais qui permettent un usinage précis. Fabian Scheurer a réussi à en faire usage pour la réalisation de projets complexes en composants de bois usinés (figure 4).

L’introduction des robots en design et en archi- tecture a donné plus de polyvalence et de liberté grâce à des bras disposant de six ou sept axes qui peuvent opérer dans un rayon qui peut atteindre jusqu’à 3 mètres et employer différents types d’ou- tils pour réaliser des tâches très variées. Des solu- tions logicielles intégrées à Grasshopper® comme KUKA|prc® et HAL® facilitent leur emploi en architecture et en design par la génération, à partir de maquettes numériques, du code de contrôle (figure 5).

Figure 1 : Moyens numériques et intégration de différents processus dans la confection des com- posants (http://icd.uni-stuttgart.de/ ?p=11187).

Figure 2 : Pavillon de l’ICD/ITKE 2014 (http:// icd.uni-stuttgart.de/ ?p=11187).

Figure 3 : a) Le scarabée, source d’inspiration, b) Simulation des performances, c) Confection des « écailles » par la technique d’enroulement grâce à deux bras robotiques.

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Ces nouveaux dispositifs permettent de confec- tionner des murs, poser des carreaux de céramique, sculpter, imprimer en 3D, enrouler des fibres, décou- per, scier, etc. (figures 6 et 7).

Ces équipements combinent rapidité, précision et coûts d’investissement « modérés » par rapport aux machines CNC. Ils sont efficients pour la réali- sation d’objets personnalisés en pièces uniques ou en petites quantités. Cet avantage pourrait stimuler le retour de l’artisan et remodeler les pratiques en architecture et en design.

Ces transformations nécessitent une réflexion en matière pédagogique en architecture et en design

par l’intégration de nouvelles connaissances dans les cursus de formation des futurs concepteurs.

Le numérique et l'enseignement de la conception architecturale : compréhension, transformation et innovation

Le numérique gagne une place de plus en plus importante dans l’enseignement de la conception architecturale. Dès les premières phases d’un projet, plusieurs techniques et méthodes ont été intro- duites (Aksamija et Iordanova, 2010 ; Iordanova et Tidafi, 2005 ; I. Iordanova, Tidafi et Guité, 2009), en particulier la modélisation paramétrique. Celle-ci

Figure 4 : En haut, usinage d’éléments par des machines CNC ; en bas à gauche, le projet de Nine bridges Golf Club ; à droite, le Kilden Performing Arts Center. (http://www.designtoproduction.com)

est devenue un pilier du design numérique, elle s’appuie sur une logique associative des relations de dépendance entre les objets et l’interrelation de leurs composantes. La variation des paramètres, qui peut être algorithmique, facilite la création d’instances très variées et influencerait les déve- loppements futurs de théories et de technologies de moyens de conception (Burry, 2013). Cette approche est caractérisée par la capacité de créer et de moduler les différenciations à des échelles différentes : du détail architectonique jusqu’au schéma urbain même (Schumacher, 2008) en assurant une continuité informationnelle durant toutes les phases d’un projet (Woodbury, 2010). Ce que permettrait aux concepteurs la reprise d’un

statut nouvellement défini par Celento de « Digital Master Builder » (2010, p. 66).

Dans le Journal of the American Institute of Archi- tects, Alice Liao considère que la maîtrise d’un ensemble de compétences numériques est néces- saire pour les concepteurs afin d’évoluer et de diver- sifier leurs champs d’expertise en demeurant per- tinents pour la profession. Des habilités nouvelles sont essentielles pour les architectes du 21e siècle et devront s’ajouter à celles de la conception, de la planification, du dessin et de la gestion des modèles d’informations. Il s’agit d’abord de l’automation des tâches répétitives, ce qui exige une connaissance de concepts de base en programmation et une com- préhension de la pensée algorithmique grâce à des

Figure 6 : Procédés additifs : a) Déposition de briques, (b) Déposition de bois, (c) Impression 3D en résine (Augugliaro et al., 2014).

Figure 7 : Exemples de procédés soustractifs : a) Percement, b) Découpage à scie roulante (Robeller, Nabaei et Weinand, 2014), c) Découpage au fil abrasif en diamant (https://vimeo.com/121926874).

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langages de programmation visuel (Grasshopper® ou Dynamo®) ou codé (Python, VB.net, C#, etc.). Ensuite, le forage de données, ou l’exploitation d'un grand volume d’informations générées pendant le processus de la conception.

Dans le cadre d’un atelier d’architecture à l’École d’architecture de l’Université de Montréal (automne 2014), Temy Tidafi proposait d’analyser la géomé- trie sous-jacente d’une œuvre architecturale et d’observer les possibilités d’exploitation du modèle construit à l’aide de ces méthodes. L’atelier visait à ce que les étudiants acquièrent les principaux éléments qu’on peut considérer dans un projet de conception et développent la capacité de distinguer les avenues possibles en définissant leurs propres plans d’action indépendamment des logiciels utili- sés dans leur vie professionnelle.

Un exemple d’étude fut basé sur le musée Sou- maya de l’architecte Fernando Romero. Des photos, des illustrations et descriptifs (figure 8) ont servi comme matériel d’analyse géométrique pour une retranscription algorithmique au moyen du module d'extension Grasshopper® (figure 9). Cette tra- duction a permis en premier lieu de remodeler le bâtiment, de générer sa structure, des détails de façade et de réaliser des impressions 3D (figure 10).

Dans une deuxième étape, ces principes ont été réinterprétés pour la réalisation d’un projet d’archi- tecture personnel en milieu semi-urbain (figure 11).

Conclusion

L’emploi des moyens numériques dans les acti- vités conceptuelles a produit un effet vitruvien (Oxman et Oxman, 2014) soutenant une conti- nuité entre les phases de la conception et de la fabrication, entre l’idéel et le matériel. L’apport de ces technologies favorisait l’émergence de formes complexes considérées comme un résultat formel possible de l’intégration de principes naturels, plutôt qu’une condition théorique de l’architecture ou du

Figure 9 : Retranscription algorithmique, capture d’écran Grasshopper® (auteurs : Martin Dumanois et Hugues Patry).

Figure 10 : a) Modèle numérique, b) Structure générée, c) Modèle imprimé (auteurs : Martin Dumanois et Hugues Patry).

Figure 11 : Interprétation dans le projet d’atelier (auteur : Hughes Patry).

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La formation des concepteurs s’en trouve affec- tée. Elle aura non seulement à promulguer des savoirs pour la constitution de modèles tridimen- sionnels et leurs visualisations, mais aussi des habiletés pour maîtriser de nouveaux aspects du processus allant du concept à la réalisation. Autrement dit, des compétences en algorithmie,

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en programmation, en simulation et en fabrication impliquant le numérique et le fonctionnement de machines.

La combinaison, d’une part, de moyens de gestion dynamique des connaissances et d’apprentissage automatique (Mnejja et Tidafi, 2014) et, d’autre part, des capacités de la robotique pourrait contribuer à des mutations futures en architecture et en design et à de possibles changements majeurs dans des domaines connexes comme la restauration du patrimoine bâti et l’emploi de nouveaux matériaux de construction.

LE DESIGN ET