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CHAPITRE 3 : Sérendipité professionnelle et créativité

1. Sérendipité professionnelle

1.1. Sérendipité, point épistémologique et historique

Les premières traces écrites posant les bases de la sérendipité datent du quatorzième siècle avec le conte oriental du poète Persan Amir Khosrow Dehlavi (1253-1325), Voyages et aventures

des trois princes de Serendip (Bourcier & Andel, 2017; Catellin, 2014; Gallenga & Raveneau,

66 les pérégrinations de trois frères (les princes de Serendip) qui partent sur les routes afin de consulter un devin pour des problèmes d’héritage. Au fil de l’histoire, nous suivons les processus de réflexion des princes pour dénicher des indices par hasard et résoudre des problèmes compliqués (cf extrait du conte en annexe 3). C’est en 1754, qu’Horace Walpole, homme politique et écrivain britannique (1717-1780), inventera le néologisme serendipity à la suite de la lecture de ce conte (Gallenga & Raveneau, 2016). Il le définira comme « la faculté de découvrir par hasard et sagacité des choses que l’on ne cherchait pas » (p. 25, Catellin, 2014). La sérendipité se définit donc comme une combinaison entre inattendu et perspicacité où la chance se révèle à la personne qui pourra la percevoir et s’en saisir (Gallenga & Raveneau, 2016). Au fil du temps, le concept de sérendipité bifurqua du domaine de la littérature vers celui des sciences, avec dans les années 1950, les apports notables du sociologue Merton sur la question (Merton, 1949). Le terme Français apparaît dans le Petit Larousse et le Petit Robert seulement en 2012 (Bourcier & Andel, 2017; Danvers, 2012). Selon Andel & Bourcier (2013), la sérendipité serait « polymorphe », elle s’exercerait dans tous les domaines de la vie et serait inhérente à la conduite humaine. Sans prétendre être exhaustive, l’analyse de la littérature autour de la sérendipité nous a révélé ces principaux domaines d’étude : la science (Andel, 1994a; Baumeister, 2006; Baumeister, Hawkins, & López-Muñoz, 2010; Copeland, 2017; McCay-Peet, Toms, & Kelloway, 2015; Mirvahedi & Morrish, 2017; Yaqub, 2016), l’art (Andel, 1994a; Labastie, 2016), le droit (Andel & Bourcier, 2009, 2013), les organisations (Cunha, Clegg, & Mendonça, 2010; Dew, 2009; Itaya & Niwa, 2013; Martin, Butler, & Bolton, 2017; Snowden, 2003), la vie quotidienne (Andel, 1994a), les technologies (Campos & Figueiredo, 2002; de Gemmis, Lops, Semeraro, & Musto, 2015; Fan & Niu, 2018; Kotkov, Wang, & Veijalainen, 2016; Legerton, 2013), la recherche (Darbellay, Moody, Sedooka, & Steffen, 2014; Ruphy & Bedessem, 2016), et le parcours de vie professionnelle (Betsworth & Hansen, 1996; Bright et al., 2005; Krumboltz, 2009; Mitchell, Al Levin, et al., 1999; Pryor &

67 Bright, 2011). C’est ce dernier point qui nous intéresse à savoir la sérendipité appliquée aux carrières professionnelles.

1.2. Sérendipité professionnelle, définitions et

caractéristiques

Afin de présenter et de définir plus précisément ce qu’est la sérendipité professionnelle, nous avons fait le choix de découper cette partie en trois. Nous nous sommes en partie appuyés sur la littérature portant sur la sérendipité dans les découvertes scientifiques afin de proposer des nouvelles perspectives concernant la sérendipité dans le domaine professionnel.

1.2.1. Définition de la sérendipité professionnelle

Nous avons défini dans le chapitre 2 la sérendipité dans le champ de la carrière professionnelle comme un événement imprévu qui a impacte la carrière professionnelle d’une personne par le biais d’un apprentissage ou d’un changement de comportement (Betsworth & Hansen, 1996; Cabral & Salomone, 1990; McDonald, 2010; Mitchell et al., 1999; Pryor & Bright, 2011). Williams et al., (1998) précisent que la sérendipité se définit comme une interaction entre la perception de l’inattendu et la capacité à utiliser cet inattendu pour les décisions de carrière. Nous relevons ici une différence de perspective entre la définition générale de Walpole (1754) qui fait écho à une capacité alors que celle que nous venons de rappeler fait plutôt référence à un produit. Dans la continuité de Walpole et afin de garder une cohérence pour la suite de notre travail, nous proposons de nous inscrire dans une définition révélant d’une capacité. Une définition de la sérendipité professionnelle pourrait donc être la suivante : capacité à reconnaître et tirer bénéfices des événements inattendus dans la construction de son parcours professionnel. Comme nous inscrivons la sérendipité professionnelle dans le cadre de la TAH, cette définition à ce stade reste incomplète. En effet, nous savons grâce à cette théorie (cf. chapitre 2), que c’est

68 l’exploration qui permet d’augmenter les probabilités de survenue de l’inattendu (Krumboltz,

2009). La définition complète de la sérendipité professionnelle intégrée à la TAH est donc la suivante : capacité à générer, reconnaître et tirer bénéfices des événements inattendus dans la

construction de sa carrière professionnelle. L’événement inattendu ici étant considéré comme

une opportunité d’apprentissage ou d’un changement de comportement (Krumboltz, 2009). Afin d’éviter les redondances, nous vous invitons à aller au chapitre 2 pour voir les paramètres individuels qui caractérisent une personne plus ‘sérendipienne’ professionnellement qu’une autre (cf tableau 6).

1.2.2. Les trois degrés de la sérendipité

Dans la littérature portant sur la sérendipité dans le cadre des découvertes scientifiques, Andel (1994) distingue trois degrés de sérendipité. Le premier degré est la ‘non-sérenditpité’, où la personne trouve ce qu’elle cherchait sans intervention de l’inattendu (Andel, 1994b). Appliquée au champ professionnel, nous pouvons prendre l’exemple d’une personne ayant fini ses études d’infirmière avec une spécialité en psychiatrie, qui cherche un poste dans un service en relation avec sa spécialité (e.g. poste en centre médico-psychologique), et qui le trouve à la suite d’une candidature spontanée. Le deuxième degré de sérendipité se nomme la ‘pseudo-sérendipité’ (Andel, 1994b). Dans ce cas de figure, la personne trouve ce qu’elle cherchait, mais par un chemin imprévu. Reprenons notre exemple de la personne qui sort d’une formation infirmière. Imaginons que cette personne, dans le cadre de son temps de loisirs, participe à un match de basket-ball. A la fin du match, alors que les équipes discutent à la buvette, la personne s’aperçoit que le joueur contre qui elle a défendu tout le match est cadre infirmier en psychiatrie. S’en suit alors un échange de numéro permettant à la personne de postuler sous les recommandations de l’adversaire du jour. La personne obtient le poste qu’elle désirait par un moyen inattendu. Le troisième degré correspond à la définition exacte de la ‘sérendipité’ à savoir le fait de trouver

69 ce que l’on ne cherchait pas (Andel, 1994b). Appliqué au champ professionnel, la sérendipité

correspondrait, toujours avec notre exemple, à l’événement suivant. A la sortie de son match de basket-ball du week-end, la personne est interpellée par un entraîneur américain qui lui propose de venir le rejoindre dans son équipe aux Etats-Unis. La personne ici se retrouve à quitter son pays pour aller jouer au basket-ball professionnellement alors qu’elle cherchait un poste d’infirmière en psychiatrie. Pour résumé, l’inattendu dans le cas de la pseudo-sérendipité

réside dans la manière de trouver alors que pour la sérendipité elle réside dans ce que l’on trouve.

1.2.3. Un concept complexe à modéliser

Nous avons précédemment mentionné les principaux événements de carrières sérendipiens chez une population de travailleurs (cf tableau 5; Betsworth & Hansen, 1996). Cependant, nous n’avons pas identifié d’études caractérisant les facteurs environnementaux pouvant influencer le processus de sérendipité professionnelle. Au même titre, nous n’avons pas trouvé d’étude portant sur le processus en lui-même. Un certain nombre auteurs s’est penché sur l’élaboration de taxonomies regroupant les contextes d’apparitions lors de découvertes scientifiques par sérendipité (Andel, 1994b; Chumaceiro & YáBer, 1994; McCay-Peet et al., 2015; Mirvahedi & Morrish, 2017; Yaqub, 2016). Ces taxonomies catégorisent des contextes complexes regroupant des paramètres variés qui se mélangent. Nous pouvons citer par exemples des considérations liées à l’environnement, des paramètres intra-individuels, interindividuels, et la nature de l’événement inattendu. Étant donné leur spécificité, ces regroupements sont difficilement exploitables pour notre champ d’étude. Ces nombreuses catégorisations et l’entremêlement des paramètres pourraient être un des éléments explicatifs de la difficulté à définir un processus pour la sérendipité. Constat qui semble aussi se manifester concernant la sérendipité professionnelle. Nous pouvons citer cette étude issue du domaine de la découverte scientifique

70 qui suggère que la sérendipité se produirait majoritairement lors de phase de contacts sociaux, lors de phase d’apprentissage active, ou lors de recherches exploratoires. Les auteurs précisent que la sérendipité, n’est pas nécessairement instantanée et qu’une période d’incubation de l’événement imprévu est parfois nécessaire (McCay-Peet et al., 2015).

L’ensemble de ces éléments nous amènent à nous questionner plus précisément sur la modélisation de la sérendipité professionnelle. Afin de traiter ce questionnement, nous avons fait un parallèle avec la littérature issue du champ de la créativité. Nous allons expliciter, dans la partie suivante, les nombreux points communs entre ces concepts. Ce rapprochement nous permet d’apporter un éclairage plus important sur le processus sous-jacent potentiel en jeu lors de sérendipité professionnelle. Avant d’exposer ces points de convergences, nous présenterons dans un premier temps globalement ce qu’est la créativité.