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Théorie de l’apprentissage par hasard – TAH

CHAPITRE 2 : quel(s) accompagnement(s) pour les NEETs ?

3. Evènements imprévus et carrière professionnelle

3.2. Théorie de l’apprentissage par hasard – TAH

3.2.1.

Cadre théorique de la TAH

La genèse de cette théorie est liée à un cheminement scientifique qui a mûri au fil des années d’expériences et de recherches de la part des auteurs. En effet, la TAH (Krumboltz, 2009) est la version la plus aboutie de la “planned happenstance theory” (Mitchell, Al Levin, et al., 1999), qui était elle-même issue de la “learning theory of career counseling” (Krumboltz, 1996), elle-même issue de la “social learning theory of career decision making” (Krumboltz, 1979). Synthétiquement, la TAH va considérer que la carrière professionnelle de chaque personne ne peut être prédite à l'avance. Elle dépend d’innombrables expériences d'apprentissages planifiées et non planifiées qui commencent dès la naissance et que les personnes vivent au quotidien. Les résultats de ces apprentissages comprennent des compétences, des intérêts, des connaissances, des croyances, des préférences, des sensibilités, des émotions et des actions futures (Krumboltz, 2009). L'objectif opérationnel fondamental de la TAH est d'aider la personne à se créer une vie professionnelle satisfaisante (Krumboltz, 2009), impliquant de fait, une activité et une mise en action importante du participant.

60 Dans un premier temps, la réalisation de cet objectif passe par la prise de conscience du fait que le modèle du matching en psychologie de l’orientation possède certaines limites. Ce courant d’orientation né dans les années 60 avec les travaux de Holland (1959), propose de faire la synthèse entre valeurs, intérêts et compétences chez la personne pour lui conseiller une gamme de métiers. Parmi les principales limites à ce modèle, nous pouvons citer le fait que le parcours professionnel s’organise comme une voie de progression dans des compétences que l’on possède déjà, que toutes les informations pouvant intervenir dans la réalisation d’un choix peuvent être connues, que l’indécision n’est pas une bonne chose, qu’il n’y a une seule bonne décision rationnellement déterminée, et que ce choix est important car il impacte à long terme la carrière professionnelle (Pryor & Bright, 2011). La TAH met l’accent sur le fait qu’il est important de comprendre qu’il n’y a pas un seul chemin possible mais de multiples (Krumboltz & Levin, 2010) et qu’un choix n’est pas définitif (Krumboltz, 2009). Nous avons vu dans la partie précédente le rôle prégnant du hasard dans les carrières professionnelles (Betsworth & Hansen, 1996; Bright et al., 2005; Cabral & Salomone, 1990; Chen, 2005; McDonald, 2010). La TAH propose un accompagnement permettant de tirer bénéfice de l’inattendu (Krumboltz & Levin, 2010). Capacité, qui selon les auteurs, est présente comme potentiel chez toutes les personnes (Krumboltz & Levin, 2010). L’accompagnement va plus loin que la simple gestion de l’inattendu, il propose aussi de le générer et d’en tirer bénéfice. L’enjeu majeur est de guider la personne pour qu’elle s'engage dans des actions exploratoires pour favoriser l’émergence d’événements non planifiés (Krumboltz, 2009). Il est nécessaire de préciser que la TAH ne doit pas être assimilée à la pensée magique ou au destin. En effet, il y a une forte différence entre une personne qui dépend passivement du hasard (e.g. croyance en un destin qui se réalise) et une personne qui saisit une opportunité résultant d’une action exploratoire (Krumboltz & Levin, 2010).

61 Le célèbre adage de Pasteur « le hasard ne favorise que les esprits préparés », prononcé lors de son discours d’inauguration de l’Université de Lille en 1854 retentit fortement dans la mise en pratique de cette théorie. A quoi renvoie donc cette préparation de l’esprit dont parle Pasteur ? Comment concrètement se formalise un accompagnement visant à profiter et générer des évènements inattendus ?

3.2.2.

Mise en pratique de la TAH

Cette théorie a été construite et pensée pour des conseillers d’orientation. Le rôle du conseiller se comprend comme une aide aux prises décisions (Krumboltz, 2009). Sa mission d’accompagnement sera d’aider la personne à adopter un style de vie actif afin de générer des événements imprévus, de rester à l'affût de nouvelles opportunités et d’en tirer parti (Krumboltz, 2009). La TAH comprend deux éléments fondateurs : (a) l’exploration crée des opportunités fortuites et améliore la qualité de la vie, et (b) certaines compétences permettent aux individus de saisir les opportunités (Mitchell, Al Levin, et al., 1999). Ces compétences sont les suivantes : (1) ouverture ; (2) persévérance ; (3) flexibilité ; (4) optimisme ; et (5) prise de risque. L’exploration selon les auteurs serait constituée de l’ensemble de ces compétences. Nous avons placé un tableau 6 récapitulatif ci-après pour plus de précision.

A noter que dans la Théorie du chaos (Pryor & Bright, 2011), les auteurs mentionnent deux sous-compétences supplémentaires à celles que nous avons citées précédemment : la croyance en sa propre chance (‘luckiness’) et la capacité à discerner ce sur quoi il est possible d’avoir un contrôle de ce sur quoi il n’est possible d’en avoir (‘efficacy’).

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COMPÉTENCES DESCRIPTION

Exploration Capacité à se créer des situations favorables à l’émergence d'opportunités fortuites. Ouverture Capacité à s’ouvrir et se saisir de nouvelles connaissances et expériences. Persévérance Capacité à gérer la frustration et les désappointements pour arriver à un objectif. Flexibilité Capacité à changer de manière de voir les choses et de comportement.

Optimisme Capacité à considérer les nouvelles opportunités comme possibles et réalisables, à considérer que les mauvaises choses peuvent s’améliorer. Prise de risque Capacité à agir face à des résultats incertains, à reconnaitre la possibilité d’échouer.

Tableau 6 : Récapitulatif des compétences TAH (Krumboltz, 2009)

La théorie du chaos est très proche de la TAH, mais considérant le poids de TAH dans la littérature (Ghojavand, 2012; Boram Kim et al., 2014; Boyoung Kim, Lee, Ha, Lee, & Lee, 2015; S. R. Kim, Kim, Yang, Yaung, & Lee, 2017; Krumboltz, 1979, 1996; Krumboltz & Levin, 2010; Lee et al., 2017; Mitchell, Al Levin, et al., 1999, 1999), nous avons choisi de nous inscrire dans le cadre théorique initié par Krumboltz en 1979.

Outre l’importance de la stimulation de ces six sous-compétences, les auteurs de la TAH décrivent aussi cinq grands principes d’accompagnement (Mitchell, Al Levin, et al., 1999) : (1) reconnaître qu'il est normal, inévitable et souhaitable que des événements imprévus influencent les carrières ; (2) considérer l’indécision, non pas comme un problème à résoudre, mais comme un état d’ouverture qui permet de tirer parti d’événements futurs imprévus ; (3) former les personnes à tirer parti des événements imprévus pour tenter de nouvelles activités, développer de nouveaux intérêts, défier les anciennes croyances et poursuivre l'apprentissage tout au long de la vie ; (4) guider les personnes dans la mise en place d’actions pour augmenter la probabilité d'événements imprévus bénéfiques à l'avenir ; et (5) faire un suivi pour guider le processus.

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3.2.3.

Impact et évaluation et de la TAH

Il existe très peu d’études portant sur les répercussions de la mise en place de la méthode TAH. Ghojavand (2012) s’est intéressé à l’impact d’une formation basée sur la social learning theory of career decision making (Krumboltz, 1979) sur le sentiment de compétence entrepreneuriale auprès d’étudiants à l’Université. Les résultats de cette étude ont mis en évidence que la participation à ce programme avait permis une amélioration significative du sentiment de compétences entrepreneuriales. A noter que dans ce protocole d’étude, il n’y avait ni groupe contrôle, ni de mesures directes sur les compétences développées par la formation. Une seconde étude (Kim et al., 2017) avait pour objectif d’examiner les différences inter-individuelles en matière de compétences issues de la TAH (cf tableau 6) en fonction de caractéristiques démographiques (genre, lieu de vie, statut, etc.). Les résultats ont permis de mettre en évidence que les hommes de l’échantillon avaient des niveaux de persévérance et de prise de risque significativement plus élevés que celui des femmes. Aussi, il a été révélé que les personnes issues de zones urbaines utilisaient plus fréquemment ce type de compétences que les personnes issues des banlieues. En ce qui concerne la situation de l'emploi, les personnes ayant un emploi ont tendance à avoir des compétences en flexibilité nettement supérieures à celles des personnes sans emploi (Kim et al., 2017). Cette étude est à replacer dans son contexte culturel puisque qu’elle s’est penchée sur le cas de jeunes coréens du sud en transition entre leurs études et leur premier travail. Kim, Lee, Ha, Lee, & Lee (2015) ont montré le rôle médiateur des compétences de la TAH (dans la relation) entre les pensées de carrières dysfonctionnelles (e.g. ‘‘I will not be able to choose my major or job because I am totally confused now’’) et le sentiment de compétence à prendre des décisions professionnelles (e.g. ‘‘I can figure out which job is suitable for me’’). Ces résultats suggèrent que les personnes ayant des pensées de carrière dysfonctionnelles durant la transition école-travail, pourraient transformer les difficultés perçues en opportunités si elles augmentaient leurs compétences de la TAH. Créé en 2014,

64 l’unique outil de mesure que nous avons trouvé pour mesurer la TAH a été conçu auprès d’une population Sud-Coréenne en transition étude-travail (Kim et al., 2014). Cette échelle a été récemment traduite et adaptée pour une population américaine (Lee et al., 2017).

Comme nous l’avons vu, hormis cette équipe Coréenne qui travaille sur le sujet, très peu d’études existent encore sur les implications de la mise en place de cette méthode. Il serait tout à fait pertinent de creuser ce début de sillon et de nous intéresser par exemple à l’impact qu’aurait un accompagnement basé sur la TAH, sur la satisfaction avec la vie et l’employabilité des participants (notamment auprès de NEETs). En effet, pour rappel la TAH a pour objectif opérationnel fondamental d'aider la personne à se créer une vie professionnelle satisfaisante (Krumboltz, 2009). Aucune étude n’a non plus mesuré l’efficacité de la mise en place de sa méthode.

4.

Résumé du chapitre

Nous avons vu dans ce chapitre que les structures d’accompagnements françaises proposées aux NEETs étaient principalement axées sur le développement des hard-skills. La prise en compte des soft-skills, et notamment de la gestion de l’incertitude dans les carrières professionnelles sont encore très peu abordées. Nous avons ensuite présenté le cadre théorique de l’employabilité dans laquelle nous nous inscrivons (Fugate et al., 2004). Sur la base de la TAH (Krumboltz, 2009), que nous avons développée dans le cœur du de ce chapitre, nous développerons dans le chapitre suivant les étapes de la création d’une intervention ayant pour objectif d’accompagner les NEETs à adopter un style de vie actif afin de générer des événements imprévus, de rester à l'affût de nouvelles opportunités et d’en tirer parti (Krumboltz, 2009). Nous veillerons à suivre les recommandations de Roques (2008) pour ce qui est de l’évaluation du bien-être et de l’efficacité de la formation.

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