Impact des évènements imprévus sur le parcours professionnel

3.1.1.

Constat de l’importance du phénomène

Des études ont mis en évidence l’importance capitale du rôle de l’imprévu dans les carrières professionnelles (Betsworth & Hansen, 1996; Bright, Pryor, & Harpham, 2005; Krumboltz, 2009; Mitchell, Al Levin, et al., 1999; Pryor & Bright, 2011). Nous pouvons citer par exemple l’étude de Betsworth & Hansen (1996) qui ont mis en exergue que deux tiers de leurs 237 participants (tous travailleurs), estimaient que leur carrière avait été influencée de manière forte par des événements fortuits (e.g. mort du conjoint). Deux études différentes ont obtenu ce même ratio chez une population étudiante (Bright et al., 2005; Scott & Hatalla, 1990). Dans un champs très spécifique, Williams et al., (1998) se sont intéressés au rôle de l’imprévu chez 13 chercheuses en psychologie. Les résultats mettent en avant que la totalité des participantes ont connu des évènements imprévus qui ont affecté leur choix de carrière. De plus, et pour aller dans le même sens, à travers deux études de cas, Atkins (2017) a mis en évidence le rôle prégnant de la position sociale et de l’incertitude sur les prises de décisions professionnelles chez des jeunes en formation professionnelle.

3.1.2.

Définitions et caractéristiques

Définitions

Dans la littérature portant sur le rôle des évènements imprévus dans les carrières professionnelles, nous retrouvons de nombreux termes qui désignent le même concept : ‘chance’ ; ‘luck’ ; ‘serendipity’ ; ‘happenstance’ ; et ‘syncronicity’ (Betsworth & Hansen, 1996; Cabral & Salomone, 1990; Guindon & Hanna, 2002; S. McDonald, 2010; Mitchell, Al Levin, et al., 1999; Pryor & Bright, 2011).

56 L’utilisation du terme hasard renvoie pour tous les auteurs à un évènement inattendu, imprévu, surprenant, accidentel, non-planifié ou fortuit. Les terminologies chance et luck vont qualifier un évènement imprévu, incontrôlable et inévitable qui impacte le parcours professionnel (Cabral & Salomone, 1990; Pryor & Bright, 2011). McDonald (2010) qualifie le concept de serendipity (sérendipité en Français), comme un moyen pour comprendre l’utilisation de l’évènement imprévu. En effet une personne peut se servir de l’inattendu comme d’un catalyseur, peut ne pas l’utiliser ou bien peut ne même pas le reconnaitre (Cabral & Salomone, 1990). Nous verrons dans la partie suivante quelles sont les caractéristiques interindividuelles et contextuelles explicatives de ces différences d’utilisation.

La sérendipité se comprend comme un évènement inattendu qui a une influence significative sur la carrière professionnelle (Betsworth & Hansen, 1996). Williams et al., (1998) précisent que la sérendipité correspond à une interaction entre la perception de l’inattendu et la capacité à utiliser cet inattendu pour les décisions de carrière. L’happenstance - coïncidence en Français, va se définir comme un évènement imprévu qu’une personne va choisir de considérer comme une opportunité d’apprentissage (Mitchell et al., 1999). L’apprentissage se définissant comme l’acquisition de nouvelles attitudes, connaissance ou compétences. Dans le même sens, Miller (1983) quant à lui définit ce même terme comme un évènement non planifié qui impacte le comportement de la personne. Le concept de synchronicité est issu du champ psychanalytique (Jung, Hull, & Shamdasani, 2012) et apporte une perspective acausal de l’évènement imprévu qui ne rentre pas dans notre champ disciplinaire.

Globalement, tous ces termes se regroupent autour de l’idée qu’un évènement imprévu peut impacter la carrière professionnelle de la personne par le biais d’un apprentissage ou d’un changement de comportement. N’ayant pas trouvé de différences sémantiques notables entre ces notions dans les champs spécifiques de l’emploi et de l’employabilité, nous considérons

57 désormais que la chance, la sérendipité et l’happenstance renvoient au même construit et donc sujet au même processus.

Caractéristiques

Dans leur étude portant sur la sérendipité dans la carrière de travailleurs, Betsworth & Hansen (1996) ont mis en évidence que les deux tiers de leur échantillon avaient vu leur carrière impactée par des événements inattendus. Les chercheurs ont ensuite examiné la nature des évènements mentionnés par les candidats. Les évènements ont été regroupés par les auteurs en 11 catégories: (1) les contacts personnel ou professionnel ; (2) les promotions inattendues ; (3) le fait d’être au bon endroit au bon moment ; (4) le mariage et la famille ; (5) les encouragements de l’entourage ; (6) les expériences passées ; (7) les expériences militaires ; (8) les situations temporaires qui deviennent permanentes ; (9) les obstacles à la réalisation du projet initial ; (10) les événements historiques ; et (11) les expositions inattendues à un domaine d’intérêt. Le classement de 1 à 11 s’est réalisé en fonction de l’importance de la redondance des évènements dans les résultats récoltés. Nous avons reporté la description de ces catégories de la tableau 5 ci-après. Betsworth & Hansen (1996) précisent que les évènements imprévus peuvent influencer la carrière de deux façons : en orientant un choix ou en rendant possible la réalisation d’un choix.

Cabral & Salomone (1990) émettent l’hypothèse que le caractère imprévisible d’un évènement suivrait un continuum allant de très imprévisible, où la personne n’a aucun contrôle (e.g. catastrophe naturelle) au moins imprévisible où la personne rend compte d’un certain contrôle (e.g. suivre les conseils d’un proche). Kilduff & Tsai (2003) font la distinction entre la sérendipité et le réseautage. Pour cet auteur la sérendipité permise par le biais d’un réseau a pour fondement l’inattendu alors que le réseautage est un processus prémédité.

58

Catégories Descriptions

1. Contacts personnel ou professionnel

Relations avec des professeurs, conseillers, employeurs, amis ou collègues qui ont conduit à des informations sur des emplois, des recommandations informelles aux employeurs, des invitations à rejoindre un programme ou un poste spécifique et des offres d'emploi.

2. Promotion inattendue Démission, licenciement, promotion ou décès d’un collègue.

3. Bon endroit au bon moment Possibilité d'emploi disponible au moment où la personne était le mieux à même d’en profiter.

4. Mariage et famille 1. Influence du conjoint sur les choix professionnels et du quotidien. 2. Divorce, décès ou maladie du conjoint.

5. Encouragement de l’entourage Soutien, conseils, recommandations, encouragements de collègues, mentors, amis ou famille.

6. Experiences passées Impact des expériences passées qui ont permis à la personne de développer des compétences, intérêts, qualifications.

7. Expériences militaires Expérience qui a permis rencontres, compétences et vocations.

8. Situations temporaires qui deviennent permanentes Par choix (le poste est finalement plus intéressant que prévu) ou par changement de _{contrat (passage d’un temps partiel à un temps plein).}

9. Obstacle à la réalisation du projet initial Manque d’emploi, difficultés financières, la maladie, discrimination, etc.

10. Evènement historique La grande dépression, la seconde guerre mondiale, etc.

11. Exposition inattendue à un domaine d’intérêt Evénement durant lequel la personne découvre un intérêt soudain et inattendu pour un domaine particulier.

Tableau 5 : Catégories d’évènements imprévus dans les carrières professionnels (Betsworth & Hansen, 1996)

Les résultats de l’étude de McDonald (2010), mettent en avant le caractère imprévisible des évènements qui arrivent alors même que l’on ne cherchait pas spécialement un travail ou des informations sur un moyen de trouver un travail. Ces résultats tendent à considérer la construction d’un réseau non-orienté comme facilitateur d’opportunités de carrière.

59 Dans la littérature, il existe différentes approches pour traiter de la gestion de l’imprévu dans les carrières professionnelles (Gelatt, 1989; Krumboltz, 2009; Pryor & Bright, 2011). Cependant, la théorie qui fait consensus et qui est la plus utilisée est la Théorie de l’Apprentissage par Hasard – TAH (Krumboltz, 2009). Basée sur le fait que la carrière professionnelle ne peut être prédite à l'avance, cette théorie se propose d’apporter une explication au processus qui guide cette non-prédiction (Krumboltz, 2009). Nous exposons cette théorie en détail dans la partie suivante.