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La séquence d’introduction de La Cité des enfants perdus transcrit le rêve d’un enfant qui se transforme en cauchemar par la multiplication hallucinée de pères Noël terrifiants

Ill. 14b

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain Cadres et encadrements

Ill. 14c Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain Cadres et encadrements

Il est intéressant de remarquer qu’à deux reprises, c’est par le montage que les images

font sens les unes par rapport aux autres et que la structuration de l’espace devient logique.

D’autres moyens, comme le plan d’ensemble (qui cadrerait simultanément les deux

appartements) et le travelling (permettant de circuler de l’un à l’autre), auraient pu représenter

l’espace. Le recours aux images fixes et aux raccords par le jeu des regards s’explique en

premier lieu par les limites matérielles du décor. Pour les deux immeubles, le tournage a eu

lieu en studio, de plain-pied. Le montage est donc le seul « trucage » possible pour étager

l’ensemble et donner au spectateur l’illusion de ces rapports de verticalité. Ces vues

extérieures, immobiles et planes, n’ont pas « d’ampleur », le recul par rapport à l’immeuble

est minime, l’espace extérieur n’est pas exploité. Cela renforce l’impression de fermeture et

de clôture des lieux intérieurs et recrée la promiscuité dans les immeubles anciens des grandes

villes.

La séquence d’introduction de La Cité des enfants perdus transcrit le rêve d’un enfant

qui se transforme en cauchemar par la multiplication hallucinée de pères Noël terrifiants.

Plusieurs encadrements cloisonnent l’espace de la chambre d’enfant : la fenêtre (par laquelle

on découvre d’abord le décor extérieur enneigé) la cheminée (où va apparaître le premier père

Noël) [Ill. 15a] et la porte. Au fur et à mesure de la progression de l’action, le spectacle

magique de la visite du père Noël devient effrayant : les pères Noël sont de plus en plus

menaçants et sordides, la musique et le cadrage s’enraillent à l’image de la mécanique des

jouets automates présents dans le décor. Les tintements de clochettes et les accords de cordes

d’abord doux et mélodieux deviennent angoissants et perçants ; le rectangle de l’âtre se

déforme, les contours ne sont plus parallèles, et le même effet d’altération courbe le montant

de la porte, la fenêtre et le contour du lit à barreaux de l’enfant. La perte de repères est totale,

même le cadre de l’écran semble vaciller alors qu’il est inaltérable [Ill. 15b]. Le spectateur,

comme l’enfant, a une impression de trouble et de vertige. Mais a posteriori, dans le premier

plan, nous remarquons que le cadre de l’écran est désaxé par rapport aux lignes du décor. Ce

type de décalage peut, pour des raisons de vraisemblance, dénoter la position excentrée d’un

observateur (l’enfant), mais ici, l’angle semble un peu trop marqué pour être relatif à l’enfant.

L’alignement des lignes du décor avec les parallèles du cadre n’est pas une règle d’autorité

depuis que la caméra peut se déplacer, mais il est tout de même le signe d’une stabilité, le

signe que la caméra est « posée » sur le sol. Dès le premier instant de la séquence, affleure

donc un sentiment de déséquilibre qui se révèle prémonitoire.

Ill. 15a

La Cité des enfants perdus (0.01.10) Cadre et déformation

Ill. 15b La Cité des enfants perdus (0.01.47) Cadre et déformation

Autres lieux récurrents, les couloirs et les cages d’escalier engendrent des réflexes

dans la prise de vue ; plans fixes ou travellings, les lignes de fuite invitent à imaginer un hors

champ ou à structurer l’ensemble de l’espace. Endroit étroit, fait pour le passage, la cage

d’escalier dans les films Delicatessen et Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain est un lieu

important de la narration, puisqu’elle distribue les relations et les échanges entre les

personnages. Lorsqu’une scène se tient sur le palier d’un étage, les entrées dans le cadre ne

sont plus seulement latérales, mais aussi verticales [Ill. 16a].

Ill. 16a

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (0.27.26) Cadre et verticalité

Si le point de vue n’est plus frontal mais vertical, l’aspect vertigineux de la cage

d’escalier peut être mis en valeur et magnifié par l’utilisation d’une plongée ou d’une

contre-plongée totales, l’axe de la caméra formant un angle de 90° avec le sol. Le dessin des lignes

de fuite crée la profondeur du plan et l’effet de hauteur. Dans un extrait de Delicatessen, à des

étages différents, des personnages sont alertés par les cris d’une dispute [Ill. 16b]. Par une

ouverture vers le zénith, l’ampleur dramatique de l’affrontement est accentuée (le motif de la

dispute est un paquet de nourriture), mais cette vue signale aussi la situation spatiale de

l’ensemble et la structuration étagée de l’immeuble (représentative des relations entre les

personnages qui s’échelonnent entre entraide, alliance, trahison et voyeurisme). Dans Un long

dimanche de fiançailles, l’escalier du phare est représenté selon un angle de contre-plongée

totale ; l’effet de spirale est renforcé par le déplacement circulaire de la caméra [Ill. 16c]. Le

point de vue cette fois-ci supérieur, correspondant à la direction du regard de Mathilde, il

accentue la difficulté de sa montée, métaphorique de la recherche désespérée de son fiancé.

Ill. 16b

Delicatessen (0.18.07) Cadre et verticalité

Ill. 16c Un long dimanche de fiançailles (0.12.15) Cadre et verticalité

Dans la ville, les décors reconstituent des lieux à l’architecture mémorable, les

trucages numériques aidant. Dans Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain ou dans Un long

dimanche de fiançailles, les vues de Paris ont des allures de cartes postales, jouant

délibérément avec les repères géographiques et les attentes du spectateur. Les incohérences

repérées en retraçant le parcours d’Amélie Poulain dans Paris sont revendiquées par

Jean-Pierre Jeunet comme des licences esthétiques. Les vues des gares sont notamment l’occasion

de mettre en scène des structures architecturales qui rappellent le style « Eiffel » : ossatures

métalliques, effets de transparence et de lumière [Ill. 17a et 17b]. Pour ce faire, les plans en

mouvement, soit en travelling montant ou descendant, font apprécier les hauteurs et les

formes géométriques de ces endroits. Les jeux d’éclairage à travers les fenêtres ou les

verrières renforcent la portée picturale et donnent à l’ensemble des teintes homogènes : on

retrouve fréquemment d’un film à l’autre l’utilisation de tonalités jaunes, très chaudes,

proches du sépia, évocatrices des vieilles photographies, ou encore des nuances tirant sur le

vert, connotant un aspect plus urbain et plus métallique. Il est intéressant de remarquer le

contraste entre ces volumes spectaculaires et les personnages, qui apparaissent très souvent

comme des ombres, par la surexposition des éléments éclairés en arrière-plan. Ces silhouettes

sont caractéristiques du travail de Jean-Pierre Jeunet qui confie pour le film Un long