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La collection est l’une des thématiques importantes du film Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain : reproductions d’un tableau de Renoir par Raymond Dufayel, collection de

montrer des images du tournage, des extraits du making of

1

. Le temps de la mention des

techniciens, souvent anonymes pour la grande majorité des spectateurs, (re)trouve ainsi un

intérêt grâce à ces illustrations anecdotiques (à condition que les inscriptions soient lues). Le

film d’animation Toy Story (John Lasseter, 1995) habille son générique de fin des ratés des

comédiens durant le tournage, accentuant un paradoxe, puisque les acteurs du film ne sont que

des entités numériques, créées de toutes pièces par les techniques d’animation graphiques ou

numériques. En l’absence d’interprète conscient (sauf pour le doublage), capable d’erreurs ou

d’émotions, ces ratages ne peuvent être que factices. L’opinion commune réserve ce type de

film aux enfants, mais un film comme Toy Story révèle, notamment par ce détournement du

générique de fin, des engagements esthétiques forts et un questionnement sur les règles de

narration et de mise en fiction.

Jean-Pierre Jeunet profite de l’espace additionnel du générique de fin pour composer

une galerie de portraits et repousser pour quelques instants les limites entre discours narratif et

discours paratextuel. Pour presque tous les films de sa filmographie, la présentation des

acteurs prend la forme d’un salut au théâtre, qu’ils aient été ou non annoncés au générique de

début. Alien Resurrection, pour les raisons déjà évoquées (film de commande, opus d’une

série préexistante) limitait les possibilités d’expression personnelle. Notons que l’actrice

Sigourney Weaver a confié au réalisateur son enthousiasme face à cette mention

individualisée des personnages, marque selon elle d’un grand respect pour les acteurs (comm.

DVD Delicatessen).

2.3.1. Images figées

a) Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain

La collection est l’une des thématiques importantes du film Le Fabuleux destin

d’Amélie Poulain : reproductions d’un tableau de Renoir par Raymond Dufayel, collection de

photos de photomaton ratées par Nino, pour ne citer que les plus évidentes. Le réalisateur

utilise le passe-temps du personnage de Nino à des fins paratextuelles pour proposer une

galerie de portraits originale et présenter chacun des personnages du film au fil d’un album

1 D’abord à visée documentaire, ce film « d’après le film » recueille les faits marquants du tournage, souvent commentés a posteriori par ses responsables. De plus en plus, ce discours non fictif devient une œuvre à part

entière, jusqu’à devenir le film lui-même pour certains cas limites (on pense notamment à Lost in La Mancha,

film documentaire à propos du film de Terry Gilliam sur la vie de Don Quichotte, seule trace cinématographique de cette entreprise avortée). Le DVD, qui réunit sur un même support tous les objets audiovisuels relatifs au film, offre une large place à ce type de discours.

photos dont on tourne les pages. Les clichés collectés par Nino ont été jetés par des clients

insatisfaits ; surexposés, froissés, déchirés, les portraits retrouvent vie dans son album

soigneusement tenu et annoté, objet qui précipite la rencontre de Nino et Amélie. Sur le même

modèle, le générique de fin accumule à l’écran des portraits d’identité ratés des personnages

du film. Lumière trop forte ou trop faible, défaut des couleurs, cadrage approximatif, défaut

de netteté, visage grimaçant, voile de couleur, les clichés des acteurs ont les mêmes défauts

que les épreuves ressuscitées de la narration ; comme elles, ils ont été déchirés, froissés,

comme abandonnés, avant de retrouver une utilité sur les pages d’un album. Sur la première

page de cet improbable album de famille, parsemée de petits morceaux de photographies, la

mention « Avec… » en écriture manuscrite ouvre le générique. Cette formule conventionnelle

signale le passage du texte au paratexte et sous-entend : « Cette fiction que vous venez de voir

a été tournée "avec"… ». Une main presque invisible tourne les pages et son action (qui n’est

pas sans rappeler celle déjà présente dans le générique d’ouverture) confère une dimension

temporelle aux images, puisque les pages se succèdent selon un rythme humain, celui de la

lecture, ou plutôt de l’observation. On distingue la reliure sur le bord gauche de l’écran,

preuve que cet ouvrage existe et n’est pas une suite de plans isolés. Il s’agit donc d’un recueil

de portraits réel à l’identique de celui du personnage de Nino ; nous en découvrons un

exemplaire dans la narration, celui du générique en est une variante. Quatorze pages

composent en tout cet album final. Les modalités d’apparition des clichés varient d’une page à

l’autre, d’un acteur à l’autre. Quatre d’entre eux occupent une pleine page : Audrey Tautou

(Amélie), Mathieu Kassovitz (Nino), André Dussollier (voix off) et Ticky Holgado

(personnage imaginaire). Les différents « couples » se partagent la page : les parents d’Amélie

(Rufus et Lorella Cravotta), Raymond Dufayel et Lucien (Serge Merlin et Jamel Debbouze),

la patronne du café et son employée (Claire Maurier et Clotilde Mollet), le couple Georgette

et Joseph (Isabelle Nanty et Dominique Pinon), le « poète raté » et la concierge de l’immeuble

(Artus de Penguern et Yolande Moreau)

1

, l’épicier Collignon et l’ancien locataire de

l’appartement d’Amélie (Urbain Cancelier et Maurice Benichou)

2

, les parents de l’épicier

(Michel Robin et Andrée Diamant), les deux femmes actives célibataires (Claude Perron et

Armelle). Enfin, groupés ensemble, les enfants du film (Kevin Fernandes, Flora Guiet et

1 Leur association est inattendue puisque rien dans la narration ne les met en relation directe, si ce n’est leur mélancolie commune, apaisée par les actions d’Amélie.

2 Là aussi, pas de confrontation directe dans la narration, mais ces deux personnages ont pour point commun d’avoir grandi dans le même quartier, l’un étant parti, l’autre non.

Amaury Babault) [Ill. 31a]. Pour ces derniers, l’aspect ludique est renforcé par l’ajout de

dessins qui maquillent les visages. Autre précision pour l’un des enfants : le personnage joué

par Kevin Fernandes (Dominique Bretodeau enfant) apparaît dans le film dans une séquence

de flash-back. Le spectateur n’avait de lui qu’une image en noir et blanc, il le découvre ici en

couleurs, synonymes d’un espace-temps contemporain.

Voilà la preuve, si besoin est, que les photographies du générique ne sont pas celles du

film, mais qu’elles résultent d’un travail annexe à celui du tournage de la fiction, d’un travail

d’acteur, mais non fictif. Ainsi, environ quarante ans séparent les deux « Dominique

Bretodeau » (celui de la page 9 et celui de la page 13), sans que cette distance dans le temps

ne soit matérialisée par un indice quelconque dans le paratexte, alors qu’elle l’est dans la

narration par l’alternance des couleurs et du noir et blanc.

Deux autres acteurs ont un traitement particulier dans cet album, il s’agit de Ticky

Holgado et d’André Dussollier. La mention du premier précise « avec la participation de

Ticky Holgado » et, pour une fois, propose deux vues identiques à celle de la narration [Ill.

31b]. Cela s’explique par le fait que l’acteur n’apparaît que sur une série de quatre clichés de

photomaton, au chevet de Nino à qui il sert de conseiller nocturne. Dernier de l’album, le

portrait d’André Dussollier est composé de morceaux de photos. Ce visage morcelé

n’appartient à aucun des personnages vus dans le film, puisqu’il est celui de l’acteur qui

assure la narration en voix off. Sans empreinte visuelle dans la fiction, sa représentation dans

l’album est fragmentaire [Ill. 31c].

Ill. 31a

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (1.53.23) Le générique de fin

Ill. 31b Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (1.53.20)

Ill. 31c

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (1.53.26) Le générique de fin

L’analyse de ce générique révèle le soin tout particulier apporté à ce segment

conclusif, comme il en a été de son correspondant introductif. En marge de la narration, il

partage avec elle des caractéristiques esthétiques communes : le générique est conclusif, il est

une fermeture, la dernière page tournée, le dernier plan filmé. En décryptant ostensiblement la

relation acteur et personnage, il rompt avec le fictif pour devenir un discours autonome et

s’élever au statut de glose : le générique est une ouverture, le lever de rideau sur les coulisses

du tournage.