• Aucun résultat trouvé

La sémantique des modèles de Kripke

Définition 3 (De l’interprétation sémantique des formules du calcul propositionnel

intuitionniste via les modèles de Kripke). Dans l’ensemble des formules du calcul

pro-positionnel intuitionniste, un modèle de Kripke est un tripletK = (|K |,≤, ) tel que,

intuitivement :

– |K | modélise le temps,

– ≤ une relation d’ordre partiel (préordre) pour définir l’ordre du temps, et une relation dite de “forcing” (réalisation) jouant le rôle de fonction

d’éva-luation d’une formule A à l’instantγ.

“γ A” se lit : “A est vraie (ou vérifiée) au momentγ d’une théorie quelconque, ou mieux encore, “A est vraie à l’état de la théorieγ” (l’apport d’information au cours du temps équivaut à un changement de théorie).

On étend ensuite la relation à toutes les formules de la logique propositionnelle intuitionniste. Pour toutγ,δ ∈ |K |, on a :

1. Siγ A et siγ ≤ δ, alors δ A (propriété de “monotonie” ou de “persistance” : le vérifié ou le prouvé reste toujours vérifié ou prouvé) ;

18. Ni Bell et al. ni McCarthy n’insistent suffisamment sur le fait qu’il est remarquable que cette dé-monstration soit fondée sur une généralisation du principe de bivalence . Il suffit en effet d’accepter l’hypothèse H selon laquelle toute formule du calcul propositionnel reçoit une valeur de vérité déter-minée, quelle que soit cette valeur, pourvu que le nombre des valeurs soit fini, pour que l’on puisse dé-montrer qu’en raison du fait que l’ensemble des formules atomiques est potentiellement infini, toute sémantique vérifonctionnelle, à n-fini valeurs, est inadéquate pour la logique intuitionniste.

3. Contexte et fondement de la logique intuitionniste 2. γ >, γ1⊥ ;

3. γ A ∧ B si et seulement si γ A etγ B ; 4. γ A ∨ B si et seulement si γ A ouγ B ;

5. γ A → B si et seulement si pour tout δ tel que γ ≤ δ, δ A impliqueδ B ; 6. γ ¬A, si et seulement si quel que soit δ tel que γ ≤ δ, δ1A (i.e.δ A n’est pas

le cas).

7. Remarque :γ1A n’implique pasγ ¬A mais dit seulement “A n’est pas

prou-vée à l’état de la théorieγ (mais A sera peut-être prouvé plus tard à partir

d’une théorieδ)”.

A partir de cette interprétation bien connue Shramko [106, pp. 14-15] montre qu’il est possible de définir de manière duale le faux comme la falsifiabilité potentielle. Pour expliquer la signification intuitionniste de ce concept et montrer que la séman-tique des modèles de Kripke en rend très naturellement compte comme le dual du concept intuitionniste de vérité19. En effet,γ1A signifie que A n’est pas prouvé à

l’état de la théorieγ, autrement dit que, compte tenu des informations dont on

dis-pose, on peut rejeter A comme un énoncé n’ayant jamais été prouvé jusqu’à main-tenant. Remarquons ici à nouveau la dualité avec la thèse d’un énoncé vrai : si A est vrai (parce que vérifié ou prouvé), alors sa vérité persiste dans le futur ; en revanche le fait que A ne soit pas prouvé, c’est-à-dire faux, ne nous permet pas de dire qu’il ne sera pas prouvé plus tard, mais permet d’affirmer qu’il n’a jamais été prouvé ultérieu-rement. La vérité pour un intuitionniste persiste dans le futur, ou « vers l’avant », la fausseté persiste dans le passé, « vers l’arrière ». La vérité correspond à la preuve ac-tuelle : on dispose D’un preuve de A ; la fausseté correspond à la falsifiabilité, ou à la fausseté potentielle : comme on peut montrer qu’il existe des situations qui falsifient

A (on peut construire des contre-modèles qui montrent que A est un énoncé faux), A

est rejetable, ce qui ne contredit pas l’hypothèse d’une vérification ultérieure de A ou d’une réfutation de A c’est-à-dire d’une preuve que A implique l’absurde.

En suivant Shramko, on peut donc définir la fausseté en logique intuitionniste à l’aide des contre modèles de Kripke de la façon suivante :

Définition 4 (De l’interprétation sémantique des formules du calcul propositionnel

intuitionniste via les contre-modèles de Kripke). Dans l’ensemble des formules Form,

un contre-modèle de Kripke est un tripletK = (|K |,≤,ρ,1) tel que, intuitivement :

– |K | modélise le temps,

– ≤ une relation d’ordre partiel (préordre) pour définir l’ordre du temps, et

19. Shramko fait usage du symbole f. On ne reprendra pas ici ce symbole car il ne signifie ni plus ni moins que1et donc dans les citations qui suivent, on remplace le f de Shramko par le1standard.

1une relation dite de “non-forcing” (non-réalisation ou absence de preuve)1 jouant le rôle de fonction d’évaluation d’une formule A à l’instantγ.

“γ1 A” se lit “A est fausse (ou non prouvée) au momentγ d’une théorie quel-conque, ou mieux encore, “A est faux à l’état de la théorieγ”. La fausseté de A ne préjuge pas de sa fausseté à venir, mais permet de dire que A n’a jamais été jusqu’à présent vérifié.

On étend la relation1à toutes les formules de la logique propositionnelle intui-tionniste :

1. Siγ1 A et siδ ≤ γ, alors δ1 A (propriété de “monotonie” ou de “persistance” rétrograde : le non prouvé a toujours été jusqu’à présent non prouvé) ;

2. γ >, γ1⊥ ;

3. γ1A ∧ B si et seulement si γ1A ouγ1B ; 4. γ1A ∨ B si et seulement si γ1A etγ1B ;

5. γ1A → B si et seulement si il existe au moins un δ tel que γ ≤ δ, γ A etδ1B ; 6. γ1¬A, si et seulement si il existe au moins un état δ tel que γ ≤ δ, δ A.

Re-marque :γ1A n’implique pasγ ¬A, mais l’inverse est évidemment vrai : si

γ ¬A alors γ1A (autrement dit, si A est réfuté, alors il n’y a évidemment pas de preuve de A.)

L’interprétation que Shramko donne de la fausseté intuitionniste est convain-cante d’une part parce qu’elle est duale de la vérité intuitionniste définie par la preuve et, d’autre part, parce qu’elle également adéquate avec la méthode de décision intui-tionniste des arbres de réfutation de Bell et al. [6] que l’on va exposer à la fin de cette introduction.

En quoi une méthode de décision par recherche d’un contre-modèle en logique intuitionniste est-elle fondamentalement de cette même méthode appliquée à la lo-gique classique ? La réponse à cette question réside encore différence fondamentale qui oppose logique intuitionniste et logique classique. Celle-ci part de la supposition de l’absurdité de la formule A qui fait l’objet du test, pour montrer que si l’on par-vient à montrer que cette supposition conduit partout à des conséquences absurdes, alors A est un théorème de la logique classique. Celle-là part de la supposition selon laquelle A serait fausse du point de vue intuitionniste, c’est-à-dire non prouvée ou incertaine, pour décider de la vérité ou de la fausseté de A, en raison de la

significa-tion des connecteurs donnée par la sémantique des modèles et contre-modèles de

Kripke. On voit donc, une fois de plus, que le fait d’assumer le principe de bivalence en adoptant la logique classique, ou le refus intuitionniste d’assumer ce principe, dé-termine les règles et l’interprétation de la méthode de preuve via la recherche d’un contre-modèle pour la formule testée.

3. Contexte et fondement de la logique intuitionniste