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La procédure de preuve de Bell-DeVidi-Solomon

La procédure de preuve de Bell, DeVidi et Solomon [6, chap. 5, pp. 184-223] n’a certainement pas connu le succès qu’elle mérite. De la même manière que la mé-thode des arbres de Beth en logique classique, cette procédure donne directement un contre-modèle de Kripke lorsque la formule testée n’est pas prouvable en logique intuitionniste. Les exigences pour l’apprentissage et la compréhension de cette mé-thode sont peu nombreuses mais cruciales : on voit tout de suite que le signe d’incer-titude intuitionniste ? apposé sur une formule conditionnelle ou négative, introduit automatiquement une nouvelle situation marquée par l’apparition d’un trait hori-zontal sous la formule ; c’est là l’essentiel du comportement non classique des règles ? → et ?¬, les autres règles non classiques pour cette méthode dérivent du caractère

dynamique de ces deux règles.

1. Règles de transformation des formules : voir Figure2, page32. 34. Au sens évidemment de vérité de la logique intuitionniste.

Disjonction Conjonction Implication Affirmée A ∨ B A B A ∧ B A B A → B ?A B

Non affirmée (incertaine) ?(A ∨ B)4

?A ?B ?(A ∧ B)4 ?A ?B ?(A → B)4 A ?B Equivalence Négation Affirmée A ↔ B A B ?A ?B ¬A ?A

Non affirmée (incertaine) ?(A ↔ B)4

?(A → B) ?(B → A)

?¬A4

A

Instanciation de ∀ Instanciation de ∃ Instanciation de ?∀ Instanciation de ?∃

∀xF x

F c

(c non inédite : pouvant être reprise dans la liste des lettres déjà utilisées) ∃xF x4 F c (c inédite : ne pouvant être dans la liste des lettres déjà utilisées.) ?∀xF x4 ?F c (c inédite) ?∃xF x ?F c (c non inédite)

4. Preuve syntaxique et interprétation

2. Règles de cochage : On appose une coche4pour indiquer que l’on désactive la formule une fois celle-ci transformée par l’application de la règle. Les formules qui ne sont jamais cochées sont les formules affirmées (celles qui ne sont pas précédées de ?) et qui sont transportables de haut en bas à travers les traits hori-zontaux qui marquent le passage d’un état de la connaissance à un autre : leur vérité persiste à travers ces états.

3. Règle de transport Il est permis de transporter n’importe quelle formule qui n’est pas précédée du signe ? à travers les lignes horizontales introduites par les règles ? →, ?¬ et ?∀.

4. Règle de la fourche Bell et alii [6, p. 199] notent qu’il est important de remar-quer que l’application répétée des règles ? → et ?¬ dans une même branche apparaissant à un même état du savoir - donc dans une branche qui n’est pas coupée par un trait horizontal - doit nécessairement entraîner l’introduction de lignes horizontales et séparées pour chaque application des règles.

N.B. : Dans un tel cas il suffit qu’une seule branche de la fourche soit fermée

pour que la branche qui a donné naissance à la fourche soit aussi fermée (c’est-à-dire contradictoire), comme le montre l’exemple3, où l’on doit considérer que c’est la branche initiale (1. à 4.), celle qui a donné naissance à la fourche, qui est complètement fermée parce qu’elle conduit à une situation contradic-toire.

5. Règle de clôture : Pour qu’une branche soit fermée il faut deux conditions : (a) l’affirmation d’une formule quelconque P et sa non-affirmation ?P

appa-raissent dans la même branche,

(b) que P et ?P ne soient pas séparés par un trait horizontal.

6. Règle de lecture du résultat du test : Un arbre de réfutation intuitionniste est un test de validité d’une formule qui se lit quand et seulement quand l’arbre est totalement développé. Un arbre de réfutation est totalement développé quand tous les connecteurs ¬, ∧, ∨, →, ↔ ont été éliminés, quand toutes les formules actives ont été cochées, et quand la règle de transport n’est plus applicable. Si toutes les branches d’un arbre totalement développé sont fermées, alors la for-mule qui a fait l’objet du test est valide en logique intuitionniste ; sinon chaque branche ouverte donne un contre-modèle de Kripke de la formule et montre que la formule testée n’est pas prouvable en logique intuitionniste.

Exemple 1 (Réfutation de la prouvabilité du tiers exclu).

0i¬A ∨ A

Démonstration. 1. ?(A ∨ ¬A)4

2. ?A (1)

3. ?¬A (1) 4. A

Contre-modèle de Kripke : FA, F¬A.

Remarque 1. La preuve classique du tiers exclu, par la même méthode mais dans le

contexte de la logique classique, permet de voir directement en quoi le langage de la lo-gique intuitionniste est un enrichissement du langage de la lolo-gique classique, et donc permet d’appréhender la raison pour laquelle aucune traduction de la logique intui-tionniste dans la logique classique ne peut être fiable sur le plan sémantique35 puis-qu’elle ne traduit pas les mêmes (contre-)modèles.

`c¬A ∨ A

Démonstration. 1. ¬(A ∨ ¬A)4

2. ¬A (1)

3. ¬¬A (1)

4. ×

Exemple 2.

0i (A → B) ∨ (B → A)

Démonstration. 1. ?((A → B) ∨ (B → A)) 2. ?(A → B)(1) 4 3. ?(B → A)(1) 4 4. A (2) 5. ?B (2) 6. B (3) 7. ?A(3)

Contre-modèle de Kripke : {TA, FB }, {TB, FA}.

Remarque 2. Sans la règle de la fourche, la règle de transport permettrait la clôture de

la branche et rendrait donc incorrect le test de la formule (A → B) ∨ (B → A).

35. Pour une démonstration de l’absence de fiabilité sémantique d’une telle traduction, voir Ep-stein [31, pp. 395-396]

4. Preuve syntaxique et interprétation

Remarque 3. Un contre-modèle apparemment linéaire, permettant de mieux refléter

la logique classique à travers le contre-modèle de la logique intuitionniste, peut être retrouvée, si on remplace comme le font Nerode et Shore [105, chap. 5, pp. 247-294], la règle de la fourche par une numérotation qui indique le changement des états ; mais comme le remarquent ces auteurs (p. 280), cette linéarité masque en réalité un em-branchement car toute structure linéaire ne peut que forcer, incorrectement en logique intuitionniste, la réalisation d’une telle formule. C’est la raison pour laquelle la règle de la fourche, perturbante à première vue, est finalement préférable.

Exemple 3.

`i¬A → ¬(A ∧ ¬B) ∨ ¬B

Démonstration. 1. ?(¬A → (¬(A ∧ ¬B) ∨ ¬B)4

2. ¬A(1) 3. ?¬(A ∧ ¬B)(1)4 4. ?¬B (1)4 5. A ∧ ¬B (3)4 7. A(5) 8. ¬B (5) 9. ¬A(2) 10. ?A(9) × 6. B (4)

Exemple 4.

0i ((¬¬A → A) → (¬A ∨ A)) → (¬A ∨ ¬¬A)

Démonstration.

1. ?(((¬¬A → A) → (¬A ∨ A)) → (¬¬A ∨ ¬A))4

2. ((¬¬A → A) → (¬A ∨ A)) (1)4

3. ?(¬¬A ∨ ¬A) (1)4 4. ?¬¬A (3)4 5. ?¬A (3)4 6. A (5) 8. ?(¬¬A → A) (2)4 10. ¬¬A (8) 11. ?A (8) 12. A (6) × (11−12) 9. (¬A ∨ A) (2)4 13. ¬A (9) 15. ?A (13) × (15−6) 14. A (9) 7. ¬A (4) 16. ?(¬¬A → A) (2)4 18. ¬¬A (16) 19. ?A (16) 20. ?¬A (18)4 21. A (20) 22. ¬A (7) 23. ?A (22) × (21−23) 17. (¬A ∨ A) (2)4 24. ¬A (17) 26. ?A (24) 25. A (17) 27. ?A (24) × (25−27) 2 La lecture du contre-modèle de Kripke à partir de cet arbre déjà complexe est laissée au lecteur. On terminera cette introduction en soulignant quelques points qui méri-teraient un approfondissement mais qui dépassent le cadre de cette introduction à la logique intuitionniste.

5 Rapides aperçus pour conclure

– La complexité du problème de la décision est en logique intuitionniste, stric-tement supérieure à celle de la logique classique, comme ces arbres de réfuta-tion en sont le témoin. Un algorithme de décision pour la logique intuiréfuta-tionniste est optimisé si le nombre des étapes requises pour parvenir au terme de la re-cherche de preuve est minimisé, autrement dit si un tel algorithme donne pour

5. Rapides aperçus pour conclure

tout calcul le plus petit contre-modèle de Kripke. A ce problème répond la ré-cente construction du calcul intuitionniste par réfutation RJ qui est un calcul des séquents inventé par Ferrari et al. [34], après les travaux de Dyckhoff [27], d’Hudelmaier [53], et de Galmiche et al. [61].

– Les questions de décidabilité et de complétude ont été laissé de côté. Le calcul propositionnel est décidable : pour toute formule de ce calcul on peut donner une preuve ou bien un contre-modèle de Kripke. Comme le calcul des prédi-cats de la logique classique, le calcul intuitionniste des prédiprédi-cats est indéci-dable. Deux preuves intuitionnistes de la complétude faible de la logique in-tuitionniste du premier ordre ont été données respectivement par Veldman et de Swart [120,22] en 1976. Les deux preuves sont fondées sur les modèles de Kripke.

– Les questions profondes et difficiles du fondement des mathématiques, du chan-gement de perspective imposée par les mathématiques intuitionnistes, ainsi que le rapport de la logique intuitionniste avec l’informatique fondamentale (l’isomorphisme de Curry-Howard, etc.) dépassent largement le cadre de cette modeste introduction et ont volontairement été passé sous silence.

Les pages qui suivent doivent être lues comme des applications philosophiques des éléments de logique intuitionniste qui ont été développés dans cette Introduc-tion.

1

L’argument de Russell-Tennant

But it must be said that the point of view we are now to consider is disputable. Its main merit is that it allows us to believe in the law of excluded middle.

Bertrand Russell

Quine holds that meaning (via translation) is indeterminate, but that truth is bivalent. The anti-realist, by contrast, holds that meaning is determinate, but that truth is not bivalent.

Neil Tennant Résumé. Ni dans les Principia ni ailleurs dans son œuvre, Russell n’envisage de rejeter la validité universelle du tiers exclu. Ce n’est que tardivement, dans “Signification et Vérité” [99], qu’il examine la position intuitionniste, pour finalement la refuser après avoir donné des argu-ments logiques et épistémologiques pour choisir la logique classique comme logique de base de sa théorie de la connaissance. Ce qu’il faut bien appeler son « conservatisme logique » a exercé une profonde influence sur Quine comme sur toute la philosophie analytique en général. On examine dans cet article les arguments de Russell et de Quine en faveur du conservatisme lo-gique et l’on montre que, du strict point de vue de la lolo-gique mathématique, ils ne sont pas justifiés. Russell affirme cependant que le fait d’assumer la validité universelle du tiers exclu est incompatible avec l’empirisme. Il sous-entend une thèse qui sera plus tard développé par Tennant Il sous-entend une thèse qui sera plus tard développé par Tennant [111] : le principe du tiers exclu, s’il est valide, est synthétique a priori. Cet argument bien compris aurait dû faire de la logique intuitionniste la logique de base de l’empirisme logique.

Abstract. Neither in the Principia nor elsewhere in his work, Russell is inclined to reject the universal validity of the excluded middle. Belatedly, in “An Inquiry into Meaning and Truth” [99], he examines intuitionism, to finally reject it, after having given logical and epistemolo-gical arguments for choosing classical logic as the core logic of his theory of Knowledge. Rus-sell’s philosophy of logic has had a deep influence on Quine as well on analytic philosophy in general. We examine in this paper Russell’s and Quine’s arguments on behalf of logical conser-vatism and we show that from a logical point of view, they are not justified. Russell, however, argues that the fact to assume the universal validity of the excluded middle is incompatible with empiricism. It is a thesis that will be later developed by Tennant [111] : the principle of the excluded, if valid, is synthetic a priori. This argument , correctly understood , should have made intuitionistic logic the core logic of logical empiricism.