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Sélection irréversible de domaine et transition structurale induites

Dans le document Diffraction et Champ Magnétique Intense (Page 37-44)

2.4 Application au composé antiferromagnétique Fe 1.1 Te

2.4.3 Sélection irréversible de domaine et transition structurale induites

Suite à ces mesures, nous avons entrepris une étude par diffraction des rayons x en champ magnétiques pulsés d’un monocristal de Fe1.1Te à l’aide du dispositif expérimental décrit au paragraphe2.1. Une plaquette monocristalline de dimensions∼4×2×0.35 mm3 dont la section principale était perpendiculaire à l’axe c du cristal a été collée sur le porte-échantillon et orientée de manière à ce que les axesa etcde la phase quadratique haute température soient dans le plan horizontal de diffraction. Ces expériences ont été réalisées sur la ligne ID06 à l’ESRF. Les données mesurées jusqu’à 31 T et à des températures comprises entre 1.6 et 300 K ont été enregistrées avec un détecteur 2D à

pixels MAXIPIX [61] selon la procédure expliquée au paragraphe2.3. Table2.1: Angles de diffraction d’une sé-lection de réflexions de Bragg du composé Fe1.1Te pour des températures T < TN (phase monoclinique P21/m) et T > TN

(phase quadratique P4/nmm). Les angles ont été calculés pour E = 31 keV en uti-lisant les paramètres de maille de la réfé-rence [69].

Figure2.18: Dépendance en température de l’in-tensité diffractée des raies de Bragg (4 0 4), (4 0 -4) et (0 4 4). Le dédoublement des ré-flexions dû à la transition structurale quadratique-monoclinique est clairement observé àTN = 58 K.

Dans cette configuration, avec une énergie incidente E = 31 keV (λ= 0.40 Å), nous avons pu observer des réflexions de Bragg d’indices relativement élevés, avec une résolu-tion angulaire suffisante pour mettre en évidence le dédoublement des raies causé par la transition structurale quadratique-monoclinique au-dessous de TN. A titre d’exemple, les données obtenues pour la série de réflexions (4 0 4), (4 0 -4), (0 4 4)/(0 4 -4) sont montrées figure2.18. Au-dessus deTN, ces réflexions sont équivalentes (voir tableau2.1) et ne donnent lieu qu’à un seul pic de Bragg alors qu’elles sont détectées simultanément ((0 4 -4) reste équivalente à (0 4 4)) au-dessous deTN (fig.2.18) du fait de la formation de plusieurs domaines monocliniques au passage de la transition structurale : (4 0 4) et (4 0 -4) sont les signatures des domaines dont le plan de diffusion est (a,c) alors que (0 4 4) est la signature des domaines dont le plan de diffusion est (b,c) [76–78].

L’évolution en fonction de la température des intensités des réflexions de Bragg enregistrées à champ nul nous a permis d’observer la transition structurale àTN '58 K et d’extraire les paramètres de maillea=b= 3.809(2) Å etc= 6.235(5) Å dans la phase quadratique, et a= 3.833(1) Å, b= 3.783(1) Å, et c= 6.262(5) Å (β = 89.28) dans la phase monoclinique, en accord avec les études précédentes [69,94].

2.4.3.1 Effets du champ magnétique et propriétés microscopiques de Fe1.1Te L’effet du champ magnétique sur l’intensité de la série de réflexions (4 0 4), (4 0 -4), (0 4 4)/(0 4 -4) est montré figures 2.19 et 2.20. Ces figures ont été obtenues à partir d’images mesurées dans les mêmes conditions de diffraction qu’à haute température, i.e.

avec le vecteur de diffusion parallèle à la direction [4 0 4] de la maille quadratique. Les réflexions de Bragg correspondant aux différents domaines monocliniques ont donc des intensités plus faibles que celles attendues si elles étaient enregistrées avec le détecteur perpendiculaire à leur vecteur de diffusion respectif. Les rapports entre leur intensité relative sont malgré tout conservés d’une température à l’autre. Afin d’illustrer le

com-portement dans les différentes régions du diagramme de phase, quatre températures sont présentées dans les figures 2.19et2.20 :

Figure2.19: Evolution temporelle de l’intensité diffractée des raies de Bragg (4 0 4), (4 0 -4) et (0 4 4) aux températuresT = (a) 73 K, (b) 55 K, (c) 32 K, et (d) 13 K pendant une impulsion de champ de 31 T. Sur la figure du haut sont représentés le profil temporel du champ magnétique généré dans la bobine splittée ainsi qu’un schéma de la configuration de l’expérience de diffraction montrant la direction du champ magnétique appliqué relativement aux axes du cristal dans la phase quadratique haute température.

– AT = 73 K ≥TN, seule la réflexion (4 0 4) est observée (figs. 2.19(a) et2.20(a)), en accord avec la symétrie quadratique du composé. L’absence de variation si-gnificative de l’intensité indique que la structure n’est pas modifiée par le champ magnétique, la position de l’échantillon étant stable par rapport au faisceau pen-dant toute l’impulsion de champ magnétique.

– AT = 55 K≤TN, les raies (4 0 4) et (4 0 -4) disparaissent alors que l’intensité de la réflexion (0 4 4) est renforcée pendant la montée en champ pour µ0HR>20 T

Figure2.20: Dépendance en champ magnétique de l’intensité diffractée des réflexions de Bragg (4 0 4), (4 0 -4) et (0 4 4) aux températures T = (a) 73 K, (b) 55 K, (c) 32 K, et (d) 13 K.

(e) Dépendance en champ de l’aimantation d’un cristal de Fe1.1Te jusqu’à 30 T à T = 30 K.

(f) Evolution en fonction de la température de la susceptibilité magnétique : hχi et χa ont été déterminées à partir des mesures d’aimantation en champs pulsés (paragraphe 2.4.2), en utilisant les résultats obtenus respectivement à la montée et à la descente en champ,χba ensuite été estimée en supposant une répartition des domaines à 50-50.

(figs.2.19(b) et2.20(b)). Ceci révèle une sélection de domaines au champ critique HR, stabilisant les domaines dont le plan de diffusion est (b, c), i.e. avec H k a.

Les modifications de l’intensité de ces pics de Bragg à plus forts champs mettent également en évidence une seconde transition pour µ0HC ≈ 30 T/ 25 T (respec-tivement montée et descente en champ) : en effet, l’intensité de la raie (0 4 4) diminue, celle de la raie (4 0 4) reste égale à zéro alors que celle de la raie (4 0 -4) augmente. Ces variations sont compatibles avec le début d’une restauration par le champ magnétique de la symétrie quadratique. En effet, la largeur de la fenêtre d’intégration ∆(2θ)= ±0.1 étant plus grande que la résolution angulaire des ré-flexions monoclinique (4 0 -4) et quadratique (4 0 4) (voir tableau2.1), il n’est pas possible de faire la distinction entre ces deux raies. Cependant, l’absence au-dessus deHC de la raie monoclinique (4 0 4) alors que l’intensité de la raie dénommée ici (4 0 -4) augmente permet d’attribuer cette hausse à un rétablissement partiel de la réflexion quadratique (4 0 4) plutôt qu’à une réapparition de la réflexion mo-noclinique (4 0 -4). La transition détectée par diffraction à HC montre une forte hystérésis similaire à celle vue en aimantation (fig. 2.17).

A la fin de l’impulsion de champ àT = 55 K, la faible intensité des réflexions mo-nocliniques (4 0 4) et (4 0 -4) indique que l’état multi-domaines n’est que

partiel-lement restauré. Pour rétablir complètement l’état monoclinique multi-domaines observé à champ nul (avant l’application du champ), l’échantillon doit être chauffé au-dessus de sa température de Néel puis refroidit à nouveau.

– A T = 32 K, la transition à µ0HR ≈ 28 T (figs. 2.19(c) et 2.20(c)) conduit à une disparition complète de réflexions (4 0 4) et (4 0 -4) et s’accompagne d’un renforcement de l’intensité de la réflexion (0 4 4), traduisant une sélection complète des domaines dont le plan de diffusion est (b,c). A la fin de l’impulsion en champ, le cristal reste dans un état mono-domaine aussi longtemps que le cristal n’est pas réchauffé au-dessus de TN.

– Enfin, à T = 13 K, un léger transfert d’intensité des raies (4 0 4) et (4 0 -4) vers la réflexion (0 4 4) est détecté. Celui-ci ne peut cependant être attribué à une transition, la symétrie monoclinique étant conservée jusqu’à 31 T (figs.2.19(d) et 2.20(d)). Ce résultat est en accord avec les données d’aimantation qui montrent queµ0HRaugmente significativement à basse température, atteignant'35−40 T à T = 13 K [93].

2.4.3.2 Relation avec les propriétés magnétiques

Le graphe figure2.20(e) reprend le signal d’aimantation d’un cristal de Fe1.1Te me-suré jusqu’à 30 T à T = 30 K en appliquant le champ perpendiculairement à l’axe c.

Cette courbe montre une variation irréversible correspondant à un saut d’aimantation au champµ0HR≈23 T [93]. Les mesures de diffraction réalisées sous champ intense ont permis d’associer cette transition à une sélection des domaines pour lesquels le champ appliquéHest parallèle à l’axe a. Sachant que les moments antiferromagnétiques mAF

s’ordonnent le long deb à champ nul [67,68], notre expérience de diffraction confirme qu’une réorientation des momentsmAFHa lieu au champ critiqueHR comparable à une transition de type spin-flop dans un composé antiferromagnétique mono-domaine.

Dans les composés antiferromagnétiques mono-domaine présentant une faible anisotropie magnétique, l’application d’un champ magnétique le long de l’axe facile d’aimantation conduit généralement à un alignement dit spin-flop des moments antiferromagnétiques le long de l’axe difficile d’aimantation, perpendiculairement au champ appliqué. Ici, l’application d’un champ magnétique dans le plan de facile aimantation du composé an-tiferromagnétique multi-domaines Fe1.1Te conduit aussi à un alignement des moments perpendiculairement au champ appliqué, mais s’accompagne également d’une sélection de domaines permettant à tous les moments antiferromagnetiques de rester aligner le long de l’axe de facile aimantation.

La spécificité du chalcogénure de fer Fe1.1Te, par rapport à un composé antiferro-magnétique mono-domaine, réside dans le fait que son état antiferroantiferro-magnétique s’ac-compagne d’une distorsion monoclinique caractérisée par des valeurs de paramètres de réseau a et b très proches (alors qu’ils sont égaux dans la phase quadratique parama-gnétique) permettant au couplage magnéto-élastique de jouer un rôle central à la fois dans la formation des domaines au-dessous deTN et dans la sélection des domaines au champ de réorientationHR.

En tenant compte de ces résultats, pour des champs inférieurs à 30 T, nous avons

assimilé la pente de la courbe du signal d’aimantation M en fonction du champH (i) à la susceptibilité hχi moyennée sur l’ensemble des domaines pour les champs croissants, et (ii) à la susceptibilité χa d’un domaine seul ayant son axea kHpour les champs dé-croissants. En faisant l’hypothèse d’une répartition des domaines estimée grossièrement à 50-50 dans l’état multi-domaines, nous avons ainsi approximé par χb = 2hχi −χa la susceptibilité magnétique d’un mono-domaine avec b k H, et nous avons estimé l’ani-sotropie intrinsèque dans le plan de la susceptibilité magnétique χab '3 d’un seul domaine (fig.2.20(f)).

Figure 2.21: Diagramme de phase H-T de Fe1.1Te quand H c. Symboles pleins : champs critiques extraits des mesures de diffraction des rayons x en champs pulsés. Symboles vides : champs critiques obtenus à partir de nos mesures d’aimantation [93].

L’ensemble de ces résultats est réuni dans le diagramme de phase représenté figure 2.21. Les champs critiques obtenus par mesures d’aimantation à forts champs (figs.2.16 et2.17) sont également reportés. Deux transitions structurales ont été mises en évidence et ont pu directement être corrélées aux propriétés magnétiques du composé. Nous avons en effet observé un rétablissement partiel de la symétrie quadratique au champ critique HC coïncidant à la transition induite par le champ de l’état antiferromagnétique à l’état paramagnétique polarisé, ainsi qu’une sélection irréversible des domaines magnéto-cristallins au champ critiqueHR. Une réorientation des moments antiferromagnétiques a en effet lieu perpendiculairement au champ appliqué, amenant, à travers un fort couplage magnéto-élastique, l’axebdu cristal dans le plan de diffraction, permettant la sélection irréversible des domaines monocliniques avec l’axe a parallèle au champ et conduisant le cristal dans un état mono-domaine.

Bien qu’une sélection irréversible de domaine par le champ (ou partiellement

ré-versible, selon la température) ait déjà été rapportée dans des cuprates tels que La2−xSrxCuO4 [83] ou dans des pnictures de fer comme Ba(Fe1−xCox)2As2 [74, 39]

ou EuFe2As2 [84,85], une réorientation simultanée des moments n’est pas mise en évi-dence systématiquement montrant que les mécanismes en jeu ne sont pas forcément similaires. En effet, jusqu’à présent, seules les études menées à bas champ par mesures d’aimantation et diffraction des neutrons dans le composé EuFe2As2, dont les ions Eu2+

et Fe2+ sont tous les deux magnétiques, a permis d’identifier la réorientation des mo-ments magnétiques des atomes d’Eu comme jouant un rôle majeur dans le mécanisme de « detwinning » du cristal. Pour les pnictures de composition Ba(Fe1−xCox)2As2, dans lequel la transition structurale (TS = 70 K) précède l’ordre magnétique (TN = 60 K), des expériences de diffraction des rayons x sous champ ont, en revanche, montré que le

« detwinning » du cristal par le champ est déjà observé dans la région de températures 70 K > T > 60 K dans laquelle le système est encore paramagnétique [39].

Récemment, plusieurs études par microscopie à effet tunnel (STM) et polarisé en spin (SP-STM) ont publié des images de la microstructure à champ nul de cristaux de Fe1+yTe, révélant une structure à chevrons complexe résultant de l’arrangement des quatre domaines monocliniques issus de la transition magnéto-structurale àTN [79,80].

En plus de l’étude de la microstructure de Fe1+yTe, Röβler et coll. [80] ont réalisé des mesures d’aimantation, de magnétostriction et de contraintes uniaxiales sous champs magnétiques intenses jusqu’à 60 T sur des monocristaux de Fe1+yTe (avecy= 0.11, 0.12 and 0.14) qui ont permis d’étendre et de compléter les résultats que nous avions obtenus.

Les mesures d’aimantation ont notamment confirmé l’observation de deux transitions magnétiques aux champs critiquesHm1 etHm2 (que nous avons appelé respectivement HR etHC) quand le champ est appliqué suivant l’axea du cristal (dans la maille qua-dratiquea=b). En s’appuyant sur leurs résultats de magnétostriction et de contraintes sous champs, ils ont pu attribuer la transition àHm1 à un « detwinning » du cristal et la transition àHm2 à un rétablissement sous champ de la symétrie quadratique au passage de l’état antiferromagnétique à paramagnétique polarisé, en accord avec nos résultats de diffraction. L’application du champ selon plusieurs directions cristallographiques a, de plus, permis de révéler l’anisotropie de la première transition àHm1 et de confirmer le caractère attendu isotrope de la seconde.

Diffraction des neutrons en champs magnétiques intenses pulsés

Electriquement neutres et porteurs d’un moment magnétique, les neutrons pénètrent profondément dans la matière et interagissent fortement avec les noyaux et les moments magnétiques des atomes faisant de la diffraction des neutrons la technique la plus di-recte de détermination des structures magnétiques. Combinée à des champs magnétiques élevés, elle offre la possibilité unique d’étudier les nouveaux états observés à fort champ.

3.1 Dispositif expérimental

Dans le cadre du projet ANR MAGFINS (Diffusion des neutrons sous champ ma-gnétique pulsé intense, ANR-10-BLN-0431), le LNCMI-Toulouse en collaboration avec le Laboratoire de Diffraction Neutronique (INAC/SPSMS/MDN, CEA-Grenoble), l’ILL et l’Institut Néel (IN, CNRS-Grenoble), a développé pour la diffraction des neutrons le premier cryoaimant à longue durée d’impulsion et à « duty cycle » élevé produisant un champ magnétique horizontal de valeur maximale 40 T. Comparé aux bobines mi-niatures, cet aimant a amélioré considérablement les conditions expérimentales pour les études par diffraction des neutrons. En effet, sa durée d’impulsion 10 à 15 fois plus longue et son refroidissement plus rapide permettent d’obtenir de bien meilleures statistiques de comptage avec un nombre inférieur de tirs en champs pulsés. Le temps de montée plus long des impulsions réduit également considérablement les échauffements par courants induits de sorte qu’il est possible d’atteindre des températures plus basses et de contrô-ler plus précisément la température de l’échantillon. Ce cryoaimant offre aussi un accès angulaire deux fois plus grand dans le plan de diffusion permettant d’explorer de plus larges zones de l’espace réciproque. Enfin, le trou plus grand de la bobine fournit non seulement un plus grand volume pour l’échantillon mais donne aussi plus de place pour l’environnement cryogénique que dans les systèmes avec mini-bobines, permettant ainsi de refroidir l’échantillon jusqu’à 2 K, ce dernier étant mécaniquement et thermiquement découplé de la bobine.

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