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Etude de composés frustrés de type spinelle

Dans le document Diffraction et Champ Magnétique Intense (Page 82-85)

4.2 Perspectives et projets

4.2.2 Etude de composés frustrés de type spinelle

Les spinelles de composition AB2X4, dans laquelle A (Ge2+, Hg2+, Cd2+, Cu2+, Mn2+, ...) est un cation divalent, B un cation trivalent (Al3+, Co3+, Cr3+, Rh3+, ...) et X un ion chalcogène (O2−, S2−, Se2−), sont des candidats parfaits pour étudier les effets de la frustration magnétique, les deux sous-réseaux de cations pouvant être le

siège d’une forte frustration [154]. En coordination octaédrique avec six anions X, les cations B forment, en effet, un réseau de tétraèdres reliés par leurs sommets, similaire à celui trouvé dans la structure pyrochlore qui constitue l’archétype des réseaux frus-trés tri-dimensionnels [155]. Les ions divalents A sont, quant à eux, en coordination tétraèdrique, formant un réseau identique à la structure diamant dans laquelle chaque atome magnétique a quatre voisins magnétiques. Le type de cations et leur répartition sur les sites A- et B- donnent lieu à des systèmes magnétiques extrêmement versatiles conduisant à de nombreux états fondamentaux en compétition.

Cette frustration magnétique s’accompagne souvent d’importantes distorsions du ré-seau. Chaque transition magnétique est, en effet, associée à une ou plusieurs transitions structurales (cubique, tétragonale ou orthorhombique) correspondant à une forte dé-formation des tétraèdres et octaèdres formés par les anions. Ces transitions de phases s’expliquent par la grande sensibilité des systèmes frustrés aux perturbations, la levée de dégénérescence entre les états fondamentaux magnétiques étant facilitée par une distor-sion de la maille (couplage magnéto-élastique), par l’application d’une presdistor-sion ou d’un champ magnétique. Ces transitions de phase cristallines permettent de réduire l’énergie totale du système au prix d’un abaissement de la symétrie.

La coexistence de frustration magnétique et d’un fort couplage entre degrés de liberté de spins et de réseau est un ingrédient de base de la multiferroïcité. A ce titre certains spinelles sont pressentis pour être de bons multiferroïques. C’est le cas par exemple du composé CoCr2O4 dans lequel la polarisation électrique naturelle mesurée à basse température peut être retournée par application d’un champ magnétique très faible.

Le couplage magnéto-élastique suffit dans ce cas à modifier la polarisation électrique par simple retournement de l’aimantation [156]. Ce composé a depuis été rejoint par quelques autres spinelles, dont MnCr2O4 qui présente la particularité rare d’être un vrai multiferroïque (ferroélectrique-ferromagnétique) [157].

L’application d’un champ magnétique élevé dans les spinelles frustrés conduit à des comportements magnétiques très variés dépendant encore une fois fortement du type d’ions occupant les sites A- et B-. Ainsi, dans de nombreux spinelles oxydes de chrome, les études en champs magnétiques intenses ont révélé des transitions magné-tiques vers des phases à plateaux d’aimantation résultant du fort couplage magnéto-élastique [158, 159, 42, 160], alors que certains sulfures et sélénures, dans lesquels des interactions d’échange ferromagnétique et antiferromagnétique sont en compétition, ne présentent aucune phase à plateau d’aimantation malgré la mise en évidence de chan-gements magnétostructuraux [161]. La détermination à fort champ des modifications structurales et magnétiques de ces matériaux s’avère essentiel à l’extraction des para-mètres microscopiques nécessaires à la compréhension de la diversité des comportements observés. Peu d’entre eux ont cependant fait l’objet d’une étude systématique par dif-fraction à des champs supérieurs à 12 T [162, 58,163], essentiellement par manque de monocristaux de dimensions suffisantes.

Parmi ces composés, de nombreuses études à fort champ ont été réalisées récemment sur le spinelle frustré MnCr2S4conduisant à une description complète de son diagramme de phase magnétique. Comprenant deux ions magnétiques Mn2+ et Cr3+, le MnCr2S4 présente deux transitions magnétiques : (i) vers un ordre ferrimagnétique àTC = 65 K

et (ii) vers une structure triangulaire de type spins cantés connue sous le nom d’état Yafet-Kittel (YK), dans lequel JM n−M n ∼JM n−Cr [164–166].

Figure 4.3: (a) Aimantation (échelle de gauche) et variations de la vitesse des ultra-sons (échelle de droite) dans MnCr2S4 mesu-rées à T = 1.5 K en fonction du champ ma-gnétique appliqué le long de la direction [111].

Trois transitions induites par le champ sont détectées pour µ0H1 ' 11 T, µ0H2 ' 25 T et µ0H3 ' 50 T. (b) Mesures d’aimantation M(H) pour différentes températures (figures extraites de [167]).

Figure4.4: Diagramme de phase magnétique H T du MnCr2S4 obtenu par des mesures d’aimantation à fort champ, d’ultrasons et de magnétostriction [167,168]. Les structures magnétiques calculées théoriquement par des simulations de Monte-Carlo sont proposées en illustration pour chaque phase : les spins du Cr (flèches orange) sont pratiquement alignés avec le champ magnétique, alors que les spins du Mn (flèches bleues) montrent un ordre com-plexe fortement dépendant du champ.

Des mesures d’aimantation et d’atténuation ultrasonore jusqu’à 60 T mais également des expériences d’aimantation jusqu’à 110 T sur des monocristaux de MnCr2S4 ont révélé un diagramme de phase magnétique extraordinairement riche (fig.4.4), montrant cinq transitions induites par le champ magnétique [167,168]. Un plateau d’aimantation extrêmement robuste correspondant à un moment magnétique de 6µB par maille élémentaire a ainsi été mis en évidence entre µ0H2 ≈ 25 T et µ0H3 ≈ 50 T (fig 4.3), coincé entre deux phases non conventionnelles de spins asymétriques, qui ont été interprétées comme des états exotiques de spin superfluide et supersolide [167]. Des mesures diélectriques et de pyrocourant jusqu’à 60 T ont également montré que ces phases étaient multiferroïques [169].

Très récemment, j’ai démarré, en collaboration avec S. Chattopadhyay du laboratoire de champs magnétiques de Dresde (HLD-HZDR), une étude systématique de monocris-taux de MnCr2S4 par différentes mesures de diffusion des neutrons. La caractérisation de ces échantillons par diffraction des neutrons jusqu’à 40 T mais également par diffusion

inélastique en champs statiques jusqu’à 12 T devrait permettre d’apporter un éclairage direct sur les structures magnétiques et les états de spin proposés et permettre de les confronter aux modèles théoriques obtenus par des calculs de Monte-Carlo. Ce composé constitue le premier d’une série de spinelles frustrés que nous envisageons d’étudier en collaboration avec V. Tsurkan de l’Université de Augsburg (Allemagne), spécialiste de la synthèse des échantillons spinelles à base de soufre et de sélénium, et très actif dans ce domaine.

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