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Chapitre 3 L'homogène et l'hétérogène

3.1 Le grand renfermement ou la fin de la misère

3.1.1 La sécularisation de la misère

est née « un monde, comme dit Foucault, dominé par la science et une philosophie rationaliste.216 »

Au XVIIe siècle, le geste de ségrégation perdure. Cependant, celui-ci est « éclairé » : alors que l'exclusion du lépreux et du fou, à la fin du Moyen Âge, était motivée par les déterminations sensibles du sacré, celle qui survient, au début de l'Âge classique, semble être en rigoureuse adéquation avec les violences dialectiques de la Raison. Pour le geste de ségrégation du XVIIe siècle, il y aura à la fois exclusion et inclusion, – image parfaite de la négation redoublée. En effet, si la Raison enferme la Déraison en elle, comme son double négatif, son geste est aussi exclusif : la Déraison est enfermée par son exclusion même. Parallèlement, la société va procéder au renfermement de ce qui ne lui est pas conforme, pareil à un négatif qu'elle enclôt en elle (« Les murs de l'internement, écrit Foucault, enferment en quelque sorte le négatif de cette cité morale217 »), rejouant ainsi à l'échelle sociale la scène du saisissement dialectique de la folie par la Raison.

Or, au sein la Déraison sociale, la folie n'est plus qu'un élément parmi d'autres, mais sans doute le plus caractéristique. Et pourtant, la société européenne du XVIIe siècle a considéré que l'ensemble hétérogène de la Déraison ne faisait qu'un dans l'espace de l'internement.

3.1.1 La sécularisation de la misère

Qu'est-ce qui explique la forme composite de la Déraison ? D'où reçoit-elle son contenu ? Comment expliquer que plus d'un habitant sur cent de la ville de Paris s'est trouvé enfermé dans de vastes maisons d'internement ? Il y a d'abord l'éclosion d'une sensibilité, « non plus religieuse, mais sociale218 », qui ne

perçoit plus les choses sur l'horizon du sacré. « Il a fallu, écrit Foucault, que se soit formée, sourdement au cours de longues années sans doute, une sensibilité sociale, commune à la culture européenne, et qui a brusquement atteint son seuil de manifestation dans la seconde moitié du XVIIe siècle : c'est elle qui a isolé d'un coup cette catégorie destinée à peupler les lieux d'internement219 », – la Déraison ne s'appréhendant que

dans les formes d'une sensibilité qui en découpe les contours et en épouse les articulations. Autrement dit, c'est la sensibilité qui, en isolant une catégorie hétérogène d'individus, cela au moyen de l'internement, a fourni à la Déraison l'espace de son contenu. Dans les murs des maisons d'internement, dans cet « espace

216Foucault, Michel Dits et écrits, tome I, p. 168

217Foucault, Michel. Histoire de la folie à l'âge classique, p. 105. 218Ibid., p. 89.

moral d'exclusion220 », la Déraison va être reconnue comme telle, non pas comme abstraction, mais comme

extraction concrète effectuée au sein de l'espace social.

Mais comment expliquer que ça soit l'internement qui se module d'après une sensibilité et non l'inverse221 ?

C'est que cette sensibilité établit un nouveau rapport à la misère, laquelle n'est plus rencontrée, comme au Moyen Âge, dans l'aspect sacré qui la faisait venir d'un « autre monde222 », mais seulement à travers une

perspective morale qui la situe dans un espace social : « Si la folie, au XVIIe siècle, est comme désacralisée, précise Foucault, c'est d'abord parce que la misère a subi cette sorte de déchéance qui la fait percevoir maintenant sur le seul horizon de la morale.223 » En quittant son cadre religieux, en se détachant de son

référent sacré, la misère a modifié son profil. On ne peut lire l'Histoire de la folie sans remarquer le mouvement de sécularisation qui agit comme une ligne directrice. À cet égard, Foucault souligne l'influence importante de la Réforme sur la perception de la misère, laquelle cesse alors d'être glorifiée par Dieu, cesse d'être « la Dame humiliée que l'Époux vient chercher dans sa fange pour l'élever » ; car, écrit Foucault, dans le monde de Luther et dans celui de Calvin, « Dieu n'exalte pas le pauvre dans une sorte de glorification inverse ; il l'humilie volontairement dans sa colère, dans sa haine224 ». C'est la misère, et plus précisément la

manière dont elle est perçue, qui permet d'éclairer le contenu de la Déraison.

Il y a un double mouvement – sensible et institutionnel – par lequel la misère « glisse d'une expérience religieuse qui la sanctifie, à une conception morale qui la condamne225 », et où l'assistance de l'État se

substitue à l'hospitalité religieuse. Foucault observe qu'en conduisant, dans les pays protestants, à la laïcisation des œuvres, et donc à une gestion publique de la pauvreté, la Réforme a suscité une nouvelle sensibilité de la misère, sensibilité qui ne lui reconnaît plus de dignité particulière. La brève analyse du protestantisme esquissée par Foucault, dont nous ne faisons que résumer les grandes lignes, reprend des observations déjà connues et qui ne sont pas sans rappeler celles de Max Weber226. En effet, dans les pages

220Ibid., p. 21.

221 « [...] c'est cette sensibilité qui sert d'élément régulateur lorsqu'il s'agit de décider d'un

internement ou d'une libération. » Ibid., p. 111.

222 « Si le fou apparaissait familièrement dans le paysage du Moyen Âge, c'était en venant d'un

autre monde. » Ibid., p. 89.

223Ibid., p. 89.

224Ibid., p. 81. Nous reviendrons plus loin sur le détail de cette « gorification inverse ». 225Ibid., p. 84.

226Dans un débat de 1972 avec le philosophe italien Giulio Preti, Foucault reconnaît lui-même la

source weberienne de l'éthique du travail : « Pendant une très longue période, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le problème du travail, ou du manque de travail, était (ou mieux, semblait) un problème de nature morale. Ceux qui ne travaillaient pas n'étaient pas considérés comme des malheureux qui ne trouvaient pas de travail, mais comme des paresseux qui ne voulaient pas travailler. Il existait,

concernées de l'Histoire de la folie (p. 80 sqq.), Foucault souligne que la rédemption, conformément aux fondements religieux de l'éthique protestante, ne saurait être accordée par Dieu selon les œuvres, mais d'abord selon la foi (les œuvres témoignant de la foi ). « Les hommes, dit les Confessions d'Augsbourg, ne peuvent être justifiés devant Dieu par leurs efforts, leurs mérites ou leurs œuvres, mais gratuitement, à cause du Christ et par la foi.227 » De cette conception, Foucault veut y voir la tendance générale qui a conduit la

Réforme à la laïcisation des œuvres et, par là, à la valorisation de la gestion publique de la misère. De plus, entre le dogme de la prédestination et l'effort moral, Foucault semble constater purement et simplement le triomphe du premier sur le second. Qu'est-ce qu'en effet l'homme misérable pour le dogme de la prédestination ? « Pauvreté désigne châtiment228 » écrit Foucault. Autre accent wébérien qu'on retrouve dans

l'analyse foucaldienne, on le constatera plus loin, concerne les liens étroits entre éthique protestante, travail et capitalisme. Cependant, ces liens sont à peine abordés dans l'Histoire de la folie, et Foucault se contente, par exemple, de prendre acte de l'organisation de la société capitaliste, non d'en expliquer les conditions d'émergence. Pareil pour ce qu'il appelle « éthique du travail » ou « communauté de travail ». Sur ces points, Foucault reste silencieux. Nulle trace, chez ce dernier, d'explications approfondies (qu'on trouve par exemple chez Weber, cf. L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme) de la redéfinition, par le luthéranisme, des œuvres de charité en œuvres de travail. La Réforme, dans l'Histoire de la folie, intervient davantage comme élément de transition entre la sensibilité du Moyen Âge et celle du XVIIe siècle. Ce qu'on trouve explicité, c'est surtout le traitement changeant que reçoit la misère, traitement qui permet à Foucault d'observer sous l'angle critique de la ségrégation sociale les transformations profondes de la société européenne entre le XVIe siècle et le XVIIe siècle.

Ainsi pour l'État, au XVIIe siècle, la misère apparaît contraire à l'ordre public, soit comme une faute à corriger, soit plus simplement encore comme un obstacle à supprimer229. Mais est-ce là une situation que seuls

connaissent les pays protestants ? Est-ce à dire que la France résiste à ces transformations ? Selon Foucault, « l'Église n'abandonne rien de l'importance que la doctrine avait traditionnellement accordée aux œuvres, mais elle cherche à la fois à leur donner une portée générale et à les mesurer d'après leur utilité à l'ordre des États.230 » Il y a, dans toute l'Europe, un transfert de la gestion de la misère, qui passe de l'hospitalité

en somme, une éthique du travail ; il est inutile que j'insiste puisque Max Weber a dit tout cela bien mieux que moi je ne pourrais le faire. » Dits et écrits, tome II, Paris, Gallimard, 1992, p. 378.

227Cité par Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, p. 82. 228Ibid., p. 81.

229Ibid., p. 83.

230Foucault s'appuie notamment sur le concile de Trente pour y voir la volonté de conversion des

biens ecclésiastiques en œuvres hospitalières. Il cite également, à titre d'exemple, la conception profane de la charité du catholique Juan Luis Vives (1492-1540), reprise par Médina, à l'époque du concile de Trente, et ensuite par Christoval Perez de Herrera. Ibid., pp. 84-86.

religieuse à l'administration étatique. Une organisation plus rationnelle de la société est en train d'achever l'ancien système politique et social de la féodalité. Peu à peu, dans le monde catholique, on trouvera acceptable que la charité devienne un devoir de l'État. « Bientôt, écrit Foucault, le monde catholique va adopter un mode de perception de la misère qui s'était développé surtout dans un monde protestant.231 » Le

miséreux n'est plus alors perçu comme « l'invisible représentant de Dieu » et « Dieu ne se cache plus sous les haillons du pauvre232 ». Par rapport à la misère, le chrétien, affirme Foucault, « ne peut plus s'adresser à elle

que selon l'ordre et la prévoyance des États. D'elle-même, elle ne sait plus montrer que ses propres fautes233 ». Vue par cette nouvelle sensibilité, la misère apparaît dans la nudité du vice, dégagée des anciens

artifices religieux qui la sanctifiaient. C'est suivant cette désacralisation, par laquelle la misère sacrée se liquéfie progressivement dans la morale, que « toute l'Église approuve le grand Renfermement prescrit par Louis XIV. » « Par le fait même, ajoute Foucault, les misérables ne sont plus reconnus comme le prétexte envoyé par Dieu pour susciter la charité du chrétien234 », mais sont vus de plus en plus comme l'engeance de

la société. Précisons tout de suite, quitte à y revenir, que si l'Hôpital général « est directement branché sur le pouvoir royal235 », c'est surtout du « souci bourgeois de mettre en ordre le monde de la misère236 » dont il est

question. L'ordre des États, la puissance étatique et la bourgeoisie croissante, telle semble être la tendance fondamentale de l'Europe à partir de cette époque237.

Ainsi, au XVIIe siècle, la misère est dépouillée de la profondeur religieuse et symbolique qui sanctifiait jadis ses « obscurs pouvoirs » de répulsion – sacré côté gauche. Toutefois, elle ne cesse pas pour cela d'être objet d'exclusion et de répulsion, puisque c'est maintenant comme faute morale et comme nouveau mal qu'on la sanctionne et la repousse. En effet, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les analyses de Foucault tendent à le montrer, on réprime encore, et même davantage, les formes misérables, dont fait partie la folie, mais avec cette différence que le geste d'exclusion n'est plus commandé par la nécessité religieuse de séparer les éléments impurs de l'espace profane. Folie, pauvreté et misère ne sont plus que les éléments confus d'une même catégorie venue troubler l'ordre social. Les divisions anciennes du sacré et du profane, qui avaient été

231 Ibid., p. 86. 232Ibid. 233Ibid.

234 Ibid. Foucault cite dans la même page le jugement de l'archevêque de Tours, disant des

miséreux qu'ils sont « la lie et le rebut de la République » (Lettre pastorale du 10 juillet 1670).

235Ibid., p. 73. 236Ibid., p. 76.

237 C'est aussi l'avis de Henri Lefebvre, pour qui « l'orientation de l'Europe se décida au XVIe

siècle. [...] après la Réforme et la Contre-Réforme s'associent la richesse en argent et la puissance étatique ». Hegel, Marx, Nietzsche ou le Royaume des ombres, Paris, Casterman, 1975, p. 150.

affectés de valeurs, s'en trouvent investies par de nouvelles, mais sans que le lignage primitif ne soit modifié238.

Mais si « la misère a perdu son sens mystique », si « elle est dépouillée de son pouvoir de manifestation239 »,

suivant quel critère les formes misérables se voient-elles à présent exclues au moyen des hôpitaux généraux ? Ces derniers, explique Foucault, « avaient été organisés au XVIIe siècle essentiellement pour y parquer les gens qui n'étaient pas capables de travailler à ce moment qui était celui de la formation des grandes sociétés capitalistes commerciales et bientôt industrielles.240 » Le « monde dominé par la science »

est également celui de l'organisation rationnelle de l'économie bourgeoise, où règnent l'exploitation du travail et l'accumulation du capital. Le XVIIe siècle voit naître en effet « le début de l'organisation sociale, politique, étatique des sociétés capitalistes.241 » C'est dans ce contexte que Foucault voit se nouer le nœud, qui va

longtemps subsister, entre folie et travail. Pour le dire en un mot, à cette époque, le fou devient celui qui ne travaille pas ; et c'est sur cela, l'incapacité à travailler, que porte désormais l'exclusion : « C'est dans le domaine, dans le champ en quelque sorte des oisifs, des irréductibles au travail que l'on avait commencé à percevoir, à isoler et à enfermer les fous.242 » Autrement dit, ce qu'est le « fou » change : ce dernier n'est plus,

comme au Moyen Âge, perçu comme sacré, du fait de sa participation à la misère religieuse : il est strictement reconnu à partir de son incapacité à travailler et donc de se conformer aux exigences formulées par le développement de la société européenne du XVIIe siècle : « Dans une société comme celle-là, observe Foucault, l'existence d'une masse de population oisive devient littéralement impossible et intolérable. L'obligation du travail est requise pour tout le monde, la définition du statut de chacun par rapport à

238 Dans les analyses de Foucault allant du Moyen Âge jusqu'au XVIIe siècle, on trouve donc un aspect de

continuité et un aspect de discontinuité : le maintien de l'exclusion d'une catégorie d'individus et le changement de la perception, l'exclusion par rapport à un nouveau système de normes.

239Foucault, Michel. Histoire de la folie à l'âge classique, p. 88.

240Foucault, Michel

. «

La folie et la société» [1978], Dits et écrits, tome III, p. 485. Il s'agit d'une

conférence donnée par Foucault en 1970, à la faculté des Arts libéraux de l'Université de Tokyo. Dans celle-ci, se trouve explicité le lien essentiel entre folie et l'organisation capitaliste de la société de travail : « le fou, y affirme Foucault, est essentiellement défini à partir d'un certain statut d'exclusion à l'égard du travail. Le fou est celui qui ne travaille pas ». L'intérêt de ce texte réside dans la portée complémentaire qu'il possède à l'égard des chapitres du « grand renfermement » et du « monde correctionnaire » (Histoire de la folie, pp. 67-109 et pp. 110-147). Dans l'Histoire de la folie, la thématisation du rapport entre la folie et la société capitaliste du XVIIe siècle était en relief, mais manquait de précision. À nos yeux, cette conférence devrait être lue pour quiconque aborderait les chapitres du « grand renfermement » et du « monde correctionaire ».

241Ibid., p. 494. 242Ibid., p. 485.

l'organisation du travail est nécessaire243 ». C'est le désoeuvrement – qui n'est pas l'apanage du fou, mais qu'il

partage avec les nombreux « marginaux » de l'époque244 – qui agit comme nouveau critère d'exclusion : « tout

un ensemble d'individus que l'on appellerait, dans notre vocabulaire, des individus asociaux, et qui ont tous pour trait commun d'être des obstacles, des gênes par rapport à l'organisation de la société selon les normes économiques formulées à cette époque. 245 » C'est ce trait commun de la misère sociale, rendu possible par

une nouvelle sensibilité, qui informe le contenu de la Déraison. Dès lors, à la question : quel est le contenu de la Déraison ?, on peut répondre : une masse hétérogène d'individus dont le point commun est l'irréductibilité à la norme du travail246. Mais cela n'est pas sans impliquer le rapport qu'entretient la Déraison avec la Raison.

Cette dernière définit autant l'espace de la société bourgeoise du travail que la Déraison l'espace des maisons d'internement.

Tout fonctionne comme si l'ordre de la Raison, et à travers lui l'espace social, s'épanouissait à travers un procès de marginalisation, peut-être d'effacement pur, où oisifs, vagabonds, miséreux sont expulsés dans des maisons d'internement. « À supposer, écrit Foucault, que le sens de l'internement s'épuise dans une obscure finalité sociale qui permet au groupe d'éliminer les éléments qui lui sont hétérogènes ou nocifs, il n'y a qu'un pas à faire.247 » L'élimination des éléments hétérogènes de la société, c'est-à-dire toute personne qui ne

s'accorde pas au rythme de la vie bourgeoise, correspond à l'image triomphale de la Raison faisant le partage de ce qui n'est pas elle, le partage de sa propre négation.

243Ibid., p. 494.

244Par exemple, selon Foucault : « les infirmes qui ne peuvent pas travailler, mais également des

pères de famille qui dispersent le bien familial, les enfants prodigues qui gaspillent leur héritage, les débauchés, les prostituées également ». Ibid., p. 495.

245 Ibid.

246 Il existe plusieurs systèmes d'exclusion sociale, le fou étant celui qui les enfreint tous. Foucault

en répertorie quatre : le système d'exclusion par rapport au travail, le second par rapport à la famille, le troisième par rapport à la parole et l'expression, et le quatrième, le système d'exclusion par rapport au jeu et à la fête. Ibid., p. 492. Dans l'Histoire de la folie, Foucault traite des trois premiers (travail, famille, parole). Pour notre part, nous nous sommes restreints au système d'exclusion par rapport au travail, lequel intervient de manière décisive au XVIIe siècle avec la pratique de l'internement. Dans le texte « La folie et la société » précédemment cité, Foucault dira par exemple de l'internement qu'il est « essentiellement économique ». Mais la raison de notre préférence pour le système d'exclusion par rapport au travail s'explique au regard de notre propos d'ensemble, lequel entend départager une exclusion primitive d'une exclusion économique, c'est- à-dire fondée sur la catégorie de l'utilité. Dans le passage d'une misère sacré à une misère économique, il s'est tissé des implications qui se comprennent dans l'importance nouvellement attribuée, au XVIIe siècle, à la valeur du travail. Nous le verrons mieux dans la section 3.2 du présent chapitre, lorsque nous aborderons le texte de Georges Bataille : La structure psychologie du fascisme.

À mesure que s'affirme le rationalisme de la culture occidentale, la définition de l'« homme » se fait davantage exclusive et coercitive, rejetant de plus en plus d'individus dans les marges de l'inhumain. Foucault le précise- t-il aussi : « La pratique de l'internement désigne une nouvelle réaction à la misère, un nouveau pathétique – plus largement un autre rapport de l'homme à ce qu'il peut y avoir d'inhumain dans son existence.248 » Est

homme celui qui travaille ; inhumain celui qui en est incapable. Entre les deux, une « transcendance éthique249 » fait désormais le partage permettant d'identifier les honnêtes gens et ceux qui ne le sont pas et

qui ont leur place dans une maison d'internement. Ce qui se met alors en place, c'est une véritable « communauté de travail » dont Foucault écrit qu'elle « acquiert un pouvoir éthique de partage, qui lui permet de rejeter, comme dans un autre monde, toutes les formes de l'inutilité sociale.250 » Cet autre monde n'est plus

celui qui avait cours au Moyen Âge, mais celui des formes de l'inutilité sociale que regroupe dans un même espace la Déraison. Non plus échange avec un autre monde, mais création251 d'un monde hétérogène où sont

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