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Chapitre 3 L'homogène et l'hétérogène

3.1 Le grand renfermement ou la fin de la misère

3.1.2 L'éthique du travail

C'est à travers une condamnation éthique de l'oisiveté qu'une masse d'individus marginaux a été reconnue dans l'espace de l'internement. L'incapacité à travailler, pour la perception du XVIIe siècle, est devenue infraction morale à corriger. Mais comment la « cité morale, dont la conscience bourgeoise commence à rêve au XVIIe siècle253 », s'en est-elle prise pour corriger ce nouveau mal ? Les maisons d'internement, Foucault le

montre assez, étaient d'abord des lieux où s'expérimentait, non quelques traitements médicaux, mais le travail

248Ibid., p. 80. 249Ibid., p. 101. 250Ibid., p. 102.

251 Foucault souligne la nature factice de l'espace de l'internement, « créé de toutes pièces en

plein XVIIe siècle ». Ibid. p. 120.

252Ibid., p. 105.

forcé254. D'où le paradoxe : « La seule chose à quoi ces gens étaient soumis était l'obligation de faire un

certain travail, qu'ils étaient d'ailleurs incapables de faire.255 » Le fait qu'on veuille utiliser les mêmes moyens

que le mal visé pour le vaincre, est symptomatique de la nouvelle valeur accordée au travail par la société européenne : il agit à la fois comme impératif éthique et remède au manquement de cet impératif – ennemi et solution de la misère.

Or si l'internement regroupe, pour en faire un fait unitaire, des catégories sociales et des personnages hétérogènes, Foucault affirme qu'« il les a imperceptiblement décalés vers la folie, préparant une expérience – la nôtre – où ils se signaleront comme intégrés déjà au domaine d'appartenance de l'aliénation mentale.256 »

Ce lien, ce nœud si serré entre la maladie mentale et le travail commence à se sceller dans la perception du XVIIe siècle. Qu'est-ce que pour nous encore un individu qui n'est pas capable de travailler pas, sinon un individu « problématique », « dysfonctionnel », « malade » ? Foucault le dit d'ailleurs très bien : « L'échec professionnel, l'échec dans la réussite, l'incapacité à occuper son statut social, c'est bien, à nos yeux, le stigmate premier et essentiel à partir de quoi on reconnaît l'apparition, la première ligne de fragilisation de la maladie mentale. » « Le malade mental, poursuit-il, est celui qui s'éprouve lui-même, ou qui est éprouvé par les autres, comme incapable de travail, ou exclu du travail.257 » On n'a qu'à consulter le DSM-V, cette

formidable synthèse de « l'universalité abstraite de la maladie258 », pour se convaincre du rapport étroit que

les diagnostics de pathologie mentale entretiennent avec la norme du travail. Un homme sain, un homme honnête et raisonnable est un homme qui travaille. Certes, le travail doit être productif, mais, comme le montre Foucault, il y a, au XVIIe siècle, un processus de sociabilisation qui se met en place et qui trouve dans l'exigence du travail sa modalité particulière : « Ce qui nous apparaît aujourd'hui comme une dialectique malhabile de la production et des prix détenait alors sa signification réelle d'une certaine conscience éthique

254 « Il faut noter – c'est un autre caractère important – que ces maisons d'internement, qui

n'étaient pas soumises à la règle médicale, étaient, en revanche, soumises à la règle du travail contraint. » Foucault, Michel.

«

La folie et la société», Dits et écrits, tome III, p. 496.

255Ibid.

256Foucault, Michel. Histoire de la folie à l'âge classique, p. 115.

257Foucault, Michel.

«

La folie et la société», Dits et écrits, tome III, p. 486.

258 Préface, p. 160. Le DSM-V, cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des

troubles mentaux de l'Association américaine de psychiatrie, se présente comme un manuel de classification des troubles mentaux à vocation internationale, dont le but est de servir de guide aux cliniciens ainsi que d'outil dans l'enseignement de la pyschopathologie. Ce qui est frappe le plus à la lecture de ce livre, ce n'est pas son caractère macabre, collectionant les symptômes comme des insectes morts, mais sa prétention, implicite, d'élever la maladie mentale à une expérience et à un traitement universels. On retrouve ainsi, à côté de ce délire médical, la volonté « d'adopter un langage commun pour communiquer les caractéristiques essentielles des troubles mentaux », cela dans l'objectif d'établir « une évaluation objective des symptômes des situations cliniques variées ». Cf. Préface in DSM-V, Paris, Elsevier-masson, 2015.

du travail où les difficultés des mécanismes économiques perdaient leur urgence au profit d'une affirmation de valeur.259 » Si l'on contraint l'ensemble de la société au travail, ce n'est pas en vertu d'une logique économique

inexorable ou encore parce qu'on cherche un moyen d'exploitation efficace, mais bien d'abord pour « une affirmation de valeur » comme dit très justement Foucault. L'assignation au travail apparaît comme le moyen le plus sûr, le remède le plus approprié (« panacée infaillible260 » dit encore Foucault) pour combattre, comme

une maladie, tous les comportements déviants, c'est-à-dire relevant de la misère médiatisée par l'oisiveté. Autrement dit, ce qui se joue prioritairement avec l'internement, ce n'est pas des enjeux relatifs à la production ou la productivité, mais, à un niveau politique, un processus de domestication sociale.

En effet, les masses d'irréductibles au travail ne sont pas rejetées dans un extérieur lointain, mais administrées au sein de l'espace social. On s'occupera d'eux. On les corrigera. On les fera se conformer. « Il suffit, écrit Foucault, de lire le " règlement général de ce qui doit être chaque jour dans la Maison de Saint- Louis de la Salpêtrière " pour comprendre que l'exigence du travail était ordonnée à un exercice de réforme et de contrainte morale, qui livre sinon le sens dernier, du moins la justification essentielle de l'internement261. »

L'activité du travail est « à la fois exercice éthique et garantie morale262 ». Le caractère répressif de l'obligation

du travail vise à obtenir un mode de vie, un comportement, une conduite générale, bref un éthos conforme à la communauté de travail. C'est un fait d'importance qui se détache des analyses de Foucault : l'efficace de l'ordre social se fonde moins sur une exigence de production que sur celle de la reproduction d'un comportement. Mais les deux sont liés : c'est l'exigence de la productivité qui détermine un comportement spécifique, seulement c'est le comportement visé qui est la vraie finalité de la production – soit la dimension proprement éthique du travail. Derrière les nouvelles catégories sociales de l'utile et de l'inutile, c'est un véritable programme disciplinaire qu'on a mis en place : « Le prisonnier qui peut et qui veut travailler sera libéré ; non pas tellement qu'il soit à nouveau utile à la société, mais parce qu'il a souscrit à nouveau au grand pacte éthique de l'existence humaine.263 » Le grand pacte éthique est désormais ce qui ouvre et ferme l'accès

à la communauté des hommes.

Comment, toutefois, ce pacte assure-t-il l'efficace de son application ? Dans l'« immanence sociale garantie par la communauté de travail » explique Foucault, les oisifs sont devenus visibles, car ils « se sont distingués d'eux-mêmes par leur incapacité au travail et à suivre les rythmes de la vie collective.264 » Ainsi, les formes de

259Foucault, Michel. Histoire de la folie à l'âge classique, p. 99. 260Ibid.

261Ibid., p. 104. 262Ibid.

263Ibid.

déraison acquièrent leur visibilité dans l'espace de l'internement, mais leur sélection, elle, s'opère directement dans l'immanence de l'espace social, là où sont déjà distincts, par leur incapacité de travailler, tous ceux susceptibles d’être internés. On le voit, le travail délivre d'abord la bonne conduite à suivre ; de fait, il permet l'identification de ceux qui y dérogent ; enfin, il agit comme châtiment moral dans les maisons d'internement. « Il est clair, résume Foucault, que l'internement, dans ses formes primitives, a fonctionné comme un mécanisme social, et que ce mécanisme a joué sur une surface large, puisqu'il s'est étendu des régulations marchandes au grand rêve bourgeois d'une cité où régnerait la synthèse autoritaire de la nature et de la vertu.265 » La conformité de la nature et de la vertu, de l'ordre naturel et de l'ordre moral, ce rêve à travers

lequel la cité bourgeoise pense, comme la belle-âme, accomplir son devoir du seul fait de sa nature266, cache

pourtant, dans les maisons d'internement, le Mal qui trahit sa véritable nature – hantise collective d'un double maléfique qu'on refoule à la fois aux marges de la société et aux limites de la conscience. La société élimine de son espace les marginaux et parallèlement le sujet exclut de lui-même la possibilité d'être fou : l'« autre » de la Raison réduit au silence. Dans la cité morale du XVIIe siècle, toutes les formes de déraison se détachent avec netteté, au milieu d'un espace social qui les rejette et les amalgame dans le monde de l'inutilité sociale : « L'homme de la déraison est un personnage concret prélevé sur un monde social réel, jugé et condamné par la société dont il fait partie.267 »

La communauté de travail assure ainsi l'ordre de la cité bourgeoise grâce à une « transcendance éthique », laquelle établit un pouvoir de discrimination permettant à la société de se laver de tous ses éléments inutiles : pauvres, vagabonds, délirants n'ont plus seulement de commun les haillons désacralisées de la misère, mais le fait, supplémentaire, de déroger à la règle du travail. C'est cet ensemble confus d’oisifs que regroupe définitivement la Déraison dans les maisons d'internement. Entre la scène métaphysique de la Raison capturant la Déraison et celle de la société renfermant ses marginaux, le parallélisme est total. Dans les deux cas, il y a une procédure négative (soit l'épuration, soit la marginalisation) agissant comme processus positif d'homogénéisation. Or cet aspect positif est second par rapport à la négation, et même résultat de la négation dialectique : la négation de l'exclusion se reformule, avec l'internement, dans la positivité de l'inclusion. Négation de la négation par laquelle la dialectique tire une « positivité ». La dialectique, dans l'Histoire de la folie, procède comme un mouvement d'homogénéisation : d'abord, une altérité radicale entre l'humain et l'inhumain, entre le pur et l'impur. Puis, avec la Raison et la folie, une négation de l'un par rapport à l'autre, qui

265Ibid., p. 110.

266 Dans la figure hégélienne de la belle-âme, vérité et certitude de soi coïncident. Elle fait son

devoir et aime la vertu du seul fait de sa nature ; ses intentions sont si pures qu’être elle-même, c'est faire son devoir. Cf. Hegel, La phénoménologie de l'Esprit, tome II, Paris, Aubier, 1947, p. 189.

rapporte l'un à l'autre, l'Autre au Même – l'altération achevant de remplacer l'altérité268. Une tentative

d'effacement, enfin, où l'un se purge de l'autre, s'affirme comme absolument positif. Mais la Raison parvient- elle réellement à cette transparence ? Sa positivité est-elle réellement pure ?

Nous l'avons vu, il s'agit d'une positivité coercitive : les éléments indésirables de la société, ciblés sous le signe de l'oisiveté, sont enfermés et disciplinés par l'éthique du travail. C'est le même geste négatif d'exclusion qui se raffine, qui étend sa domination de manière plus subtile, plus totale à l’ensemble de la société. Mais atteint-on vraiment une positivité à coups d'opérations négatives ? Seul un dialecticien pourrait le croire. Dans la cité morale du XVIIe siècle où triomphent les exigences de la Raison, le traitement « positif » de l'oisiveté a gardé quelque chose de la vieille répulsion archaïque vis-à-vis la misère. Et n'était-ce pas en effet sur un sol religieux que s'est décidé le sort de la misère (cf. Chapire 1) ? Nous pensons que les anciennes divisions sociales du sacré et du profane ont tracé en profondeur les directions sur lesquelles allaient prendre place « une réorganisation du monde éthique, de nouvelles lignes de partage entre le bien et le mal, le reconnu et le condamné, et l'établissement de nouvelles normes dans l'intégration sociale.269 » Car que vise-t-on en

enfermant l'oisiveté si ce n'est l'élimination de la misère270 ? Il y a à la fois changement et permanence.

268 « Toutes ces prisons de l'ordre moral, écrit Foucault, auraient pu porter cette devise que

Howard, encore, a pu lire sur celle de Moyence : " Si on a pu soumettre au jour des animaux féroces, on ne doit pas désespérer de corriger l'homme qui s'est égaré. " » Ibid., p. 107. Deux remarques. D'une part, la domestication de la nature agit comme acte vertueux, puisque le mal à traiter réside dans l'aspect sauvage, féroce, non humain de la nature – soit la nature elle-même, laquelle doit être travaillée suivant la négativité exercée par l'homme, et qui, d'après Kojève, aboutit à la création d'« un monde non naturel, technique, humanisé, adapté au désir humain ». Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947, p. 147. D'autre part, concernant la volonté de corriger l'homme égaré, ayant perdu sa raison, l'on ne peut envisager de corriger ou de soigner une déraison que si elle est conçue de manière négative, c'est-à-dire qui présente une négation ou une altération par rapport à la raison. Inversement, ceci n'est pas vrai lorsqu'on admet (comme Kant) une déraison positive qui a ses propres règles irrationnelles, et donc qui permet une différence positive, une altérité hors du cercle de la raison. C'est ce dehors qui peu à peu disparaît, s'homogénéise au profit de l'identité de la Raison. Foucault du reste a bien décrit comment le regard qui identifie le fou comme telle et qui s'exprime par ce jugement : « celui-là est un fou », désigne secrètement, par cette reconnaissance, le geste de capture : « celui-là est mon fou ». Foucault écrit : « La raison ne peut pas dresser constat de folie, sans se compromettre elle- même dans les relations de l'avoir. La déraison n'est pas hors de la raison, mais justement en elle, investie, possédée par elle, et choisifée ». Ibid., p. 443. Non plus de folie, comme au Moyen Age, aux limites du monde, mais une Déraison enchaînée dans l'espace de la Raison.

269Ibid., p. 115.

270 Foucault écrit : « Quant à ce pouvoir, qui lui appartiendrait en propre, de faire disparaître la

misère, le travail, pour la pensée classique, ne le détient pas tellement de sa puissance productrice que d'une certaine force d'enchantement moral. » (Nous soulignons). Ibid., p. 99.

Deux aspects essentiels se dégagent de ce qui vient d'être abordé de l'Histoire de la folie. D'abord, ce qui précède, à savoir le changement de la perception vis-à-vis la misère, son exclusion par rapport à la nouvelle règle du travail, a mis au jour un aspect de discontinuité dans les analyses de Foucault allant de la fin du Moyen Âge jusqu'au XVIIe siècle. S'ajoute à cette discontinuité un aspect de continuité, lequel se présente sous le geste même de l'exclusion qui se maintient parallèlement à l'instauration de l'ordre de la Raison. Or qu'est-ce qui est visé par l'exclusion tant dans le monde de la fin du Moyen Âge décrit par Foucault que celui du XVIIe siècle ? L'aspect de continuité s'observe dans l'exclusion d'une catégorie d'individus qui, s'ils prennent effectivement des formes différentes (lépreux, fous, oisifs), participent tous de la misère. Les formes d'inutilité sociale ne sont jamais que la version rationalisée d'une misère à abattre. Il faut le constater : si la misère n'est plus perçue sur l'horizon du sacré, elle continue à être objet de répulsion et d'exclusion.

Comment expliquer cette continuité dans l’exclusion de la misère ? Cet aspect de l'ouvrage de Foucault paraît étrange, voire contre-intuitif ; c'est un point d'interrogation qui nous questionne : pourquoi le geste d'exclusion ? Pourquoi le grand renfermement ? Est-il ce qui permet l'ordre de la Raison ? Pourquoi cette même zone d'ombre où lépreux, fou, oisif prennent successivement place ? Le geste d'exclusion traverse toutes les oppositions rencontrées jusqu'à présent : pur et impur, Raison et folie, travail et oisiveté – toutes étant affectées d'un bon et d'un mauvais côté. Pour fonctionner, l'espace de la Raison semble devoir comporter une case vide, un espace blanc, bref une marge où est rejetée de la communauté une catégorie d'individus. Cette catégorie n'est ni indifférenciée, ni le résultat d'une violence aléatoire : l'exclusion porte invariablement sur les formes misérables de l'existence. Entre l'exclusion primitive, qui instaurait une « distance sacrée », et celle de l'internement, qui exclut de l'intérieur, la structure d'exclusion connaît une modification271, mais fonctionne toujours selon un rejet fondamental.

La nécessité du geste d'exclusion ne peut se comprendre sans remonter à certaines questions : pourquoi la misère est-elle vouée à l'opprobre ? Qu'est-ce qui départage le choix du rejet ? Qu'est-ce qui détermine le côté droit et le côté gauche ? Quel rapport les nouvelles fractures éthiques de l'utile et de l'inutile entretiennent-elles avec les directions du sacré ? Si l'ancienne topographie du centre et de la périphérie accueille une pratique nouvelle, celle de l'internement, cette dernière suit parfaitement les sillons du bannissement ancien : « Le classicisme, affirme Foucault, a inventé l'internement, un peu comme le Moyen Âge la ségrégation des lépreux ; la place laissée vide par ceux-ci a été occupée par des personnages

271Dans l'entretien de 1961, précédemment cité, lorsqu'on l'interroge sur la nature de la structure

au coeur de l'Histoire de la folie, Foucault répond :

«

Au Moyen Âge, l'exclusion frappe le lépreux, l'hérétique. La culture classique exclut au moyen de l'hôpital général, de la Zuchthaus, du workhouse, toutes institutions dérivées de la léproserie. J'ai voulu décrire la modification d'une structure d'exclusion. »Dits et écrits, tome I, p. 168.

nouveaux dans le monde européen : ce sont les " internés ".272 » Comment expliquer cette place laissée vide ?

Comment expliquer que le phénomène d'héritage ne connaisse aucune déshérence ? Foucault prend acte d'une structure d'exclusion, comme il prend acte des rejets et des choix de la culture occidentale, mais cela en les laissant dans une indétermination quant à leur apparente nécessité intrinsèque : « parler de ce primitif débat », disait-il dans sa préface, mais « sans supposer de victoire, ni de droit à la victoire273 ». Nous pensons

au contraire qu'il y a une détermination, pour ainsi dire voilée, à l'œuvre dans l'Histoire de la folie : détermination à la fois de ce qui est destiné à être représenté et inscrit dans l'histoire de la culture occidentale et de ce qui est fatalement conduit au rejet et à l'oubli hors de son cercle. Détermination donc du choix et du rejet, telle qu'il n'y aurait plus la possibilité d'un choix ou d'un rejet autres que ceux effectivement accomplis par et dans l'histoire de la culture occidentale.

L'hypothèse d'une détermination des choix et des rejets de la culture occidentale signifierait d'abord que les catégories sur lesquelles s'applique le geste d'exclusion sont tout sauf laissées à la contingence historique. Pourquoi en effet l'exclusion porte-t-elle toujours sur les formes d'existence misérable ? Pourquoi, en un sens qu'il faudra examiner, ne peut-elle que porter sur celles-ci ? D'où vient la violence qui essaime les miséreux de la culture ? D'où vient la réaction de répulsion fondamentale qui fixe le statut scabreux de la misère, son caractère inconciliable avec la société, cela aussi bien pour une sensibilité qui la voit et la ressent comme une impureté sacrée qu'il faille porter à la périphérie de la communauté, que pour une sensibilité qui l'exclut et l'enferme au nom du principe rationnel de l'utilité ? Entre la fin du Moyen Âge et le XVIIe siècle, il y a certes désacralisation de la misère, et la sensibilité ne la perçoit plus sous une dimension religieuse, mais cela sans que celle-ci cesse d'exercer une répulsion, puisque c'est elle qu'on enferme maintenant dans les hôpitaux généraux sous la forme neutralisée de l'inutilité sociale.

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