• Aucun résultat trouvé

– Pour travailler depuis quinze ans à l’Ugap après avoir été responsable d’achats dans le monde de la santé, je puis vous dire que les objectifs de la commande publique sont pluriels : rationalisation de la dépense publique, performance environnementale et sociale, accès des TPE et PME, innovation, insertion sociale… Les soixante-dix acheteurs de l’Ugap s’efforcent de

concilier ces objectifs. Nos 535 fournisseurs représentent environ 600 000 emplois en France, et 62 % d’entre eux sont des TPE ou des PME, qui nous fournissent 25 % du volume des commandes. Nous sommes donc à un niveau satisfaisant d’intégration des PME, au moins pour les secteurs traditionnels. Les secteurs innovants sont peut-être le levier pour accroître encore leur part.

Nous avons tout fait pour intégrer les PME, en développant notamment des allotissements techniques et régionaux fins – qui n’empêchaient pas toutefois les grands acteurs nationaux de l’emporter lorsqu’ils étaient plus compétitifs. L’Ugap n’utilise jamais le prix comme critère principal. Dans le secteur médical, le niveau technologique et la qualité de service sont systématiquement privilégiés. Le résultat est que les TPE et PME sont à présent bien positionnées, avec parfois une valeur ajoutée par rapport à des grands groupes. Pour accroître encore leur poids, nous lançons une stratégie consistant à repérer celles qui se différencient le plus des grands groupes par l’innovation.

En offrant la dispense du code des marchés publics, l’Ugap est vue comme un outil de simplification par les PME. Nous demandons un règlement par les clients en moins de 30 jours. Nous venons de mettre en place une solution d’affacturage collaboratif avec La Banque postale qui, moyennant une très faible commission, permet un paiement des fournisseurs en quelques jours ouvrés. Pour une start-up ou une PME, c’est un atout considérable. Avec ses 27 implantations en France, l’Ugap offre une visibilité importante.

Nous cherchons à favoriser les PME autrement que sur le fondement de leur statut juridique ou de leur situation géographique. D’ailleurs, de nombreux grands groupes étrangers font fabriquer leurs produits en France… L’Ugap a effectué l’an dernier 20 millions d’euros d’achats innovants, ce qui est en-dessous de l’objectif de 2 % fixés aux personnes publiques en matière d’achats innovants. Cette année, ce chiffre s’élèvera à 45 millions d’euros, avant d’atteindre 200 millions d’euros en 2020, soit 6 % à 7 % de nos achats. Cela augmentera la part des TPE et PME : sur les 20 millions d’euros d’achats innovants en 2014, 60 % sont allés à des TPE ou à des PME, contre 20 % du volume d’achat traditionnel.

M. Martial Bourquin, rapporteur. – Pouvez-vous préciser vos propos sur l’achat innovant ?

M. Sébastien Taupiac. – Nous nous fondons sur la définition fournie par l’OCDE, reprise dans les directives européennes relatives aux marchés publics : un produit ou un service innovant se caractérise par sa technologie, son impact organisationnel ou son modèle économique. Hélas, il n’existe pas de label indiscutable. L’Ugap a donc mis en place, en lien avec ses partenaires, comme le Groupement coopération sanitaire - Union des hôpitaux pour les achats (GCS-UniHA) pour les centres hospitaliers

universitaires, un processus de détection et de qualification, afin d’inciter ses clients à recourir à des produits innovants. Nombre de start-up sont des acteurs régionaux auxquels nous offrons une vitrine nationale. Le risque, pour les petites entreprises, n’est pas un excès de mutualisation, dès lors que la professionnalisation de l’achat public progresse. Nous devons veiller aux conséquences de notre politique d’achat : avec 2 milliards d’euros, notre impact est plus grand que lorsque nous en étions à 400 millions d’euros. En échographie, par exemple, nous pesons 70 % du secteur. Nous veillons donc à ce qu’aucun fournisseur n’ait le monopole. Les modèles économiques changent, passant de l’achat au leasing : il faut connaître le coût à l’usage…

Bref, l’important est de savoir où se situe l’expertise-achat : dans un seul établissement ou dans plusieurs centrales ?

M. Alain Borowski. – En effet, il n’est pas possible de discriminer les entreprises selon leur taille ou leur statut juridique. Mais l’innovation est souvent faite par des structures de petite taille. Si l’entreprise réussit à développer son innovation, si elle détient un brevet, nous pouvons conclure un marché négocié avec elle – avant qu’elle ne soit rachetée par un grand groupe. Mais nous pouvons aussi mettre en relation une grande entreprise et une PME innovante.

M. Sébastien Taupiac. – Les acheteurs publics maîtrisent relativement bien l’achat standardisé. Pour l’innovation, il existe des remises de prix, des journées de l’innovation, des soirées, des concours… Mais il faut surtout des commandes ! Et des paiements fiables et rapides. Et cela semble difficile, avec près de 100 000 acteurs publics, de différents niveaux d’expertise et de maîtrise juridique des outils de la commande publique. À cet égard, la transposition des directives ne va pas bouleverser grand-chose.

Les PME innovantes rechignent à dévoiler leurs innovations dans de multiples appels d’offres, régis par un impératif de transparence. Leur produit une fois dévoilé, il est attaquable… Il s’agit de 11 000 entreprises, représentant 850 000 emplois : c’est une formidable opportunité de développement économique. Je vais participer prochainement à l’inauguration de la Cité des objets connectés à Angers. Les PME doivent avoir toute leur place sur ces marchés. En revanche, il n’y a pas lieu de se battre pour qu’elles accèdent aux commandes de fournitures de bureau.

M. Éric Doligé, président. – Nous avons bien compris votre rôle auprès des PME et des entreprises innovantes. De plus en plus, les collectivités territoriales se regroupent pour créer des centrales d’achat locales – qui peuvent être vos clients. Je l’ai fait dans mon territoire : nous avions prévu de regrouper trois départements, pour un potentiel d’achat de 300 millions d’euros par an. Mais nous avons déjà quelque 500 adhérents et le potentiel d’achat dépasse le milliard d’euros. Que pensez-vous de cette évolution, qui produit des économies substantielles ? Bien sûr, nous ne souhaitons pas non plus pénaliser les PME locales…

M. Alain Borowski. – En effet, depuis quelques années émergent des structures d’achat concurrentes de l’Ugap. Elles sont de deux types : certaines se spécialisent par secteur d’activité et opèrent à l’échelle nationale, comme le Groupement coopération sanitaire - Union des hôpitaux pour les achats (GCS-UniHA) pour les CHU, quand d’autres se veulent généralistes à l’échelle d’un territoire. L’Ugap allait-elle se poser en concurrent direct ou collaborer avec ces structures ? Nous avons choisi la deuxième voie.

Par exemple, une structure telle que celle que vous évoquez oriente les commandes vers les entreprises de la région, mais ne peut satisfaire tous les besoins de ses commanditaires. L’achat de véhicules, en particulier, doit passer par une centralisation nationale. Chacun discerne assez vite la meilleure répartition des tâches et nous recherchons une collaboration intelligente avec ces partenaires. Leur existence ne nous semble pas représenter un risque. Nous n’avons jamais autant développé notre activité dans le secteur public hospitalier que depuis que nous avons une convention avec UniHA.

M. Martial Bourquin, rapporteur. – Vos propos nous réconfortent sur plusieurs points.

Les directives, une fois transposées, favoriseront la mesure de l’empreinte carbone, le respect de clauses sociales. Le critère prix ne sera plus qu’un critère parmi d’autres : qualité, innovation, emploi… Ne pensez-vous pas qu’il faudrait faire évoluer la culture de l’achat public dans nos collectivités territoriales ? Pendant des décennies, le prix a été le critère principal. Avec la crise, les collectivités territoriales y sont bien sûr attentives. Mais le mieux-disant vaut mieux que le moins-disant. Élu d’un pays d’automobile, je roule en Peugeot… Quelle est la part des marques nationales ?

M. Alain Borowski. – Notre offre de véhicules légers est constituée, sur un même segment, de véhicules de marques différentes, nationales ou étrangères. Le code prévoit en effet des procédures en multi-attribution. La mono-attribution fait davantage baisser le prix, mais la multi-attribution permet de sélectionner plusieurs industriels. Dans les commandes importantes de véhicules, seule la multi-attribution assure la sécurité des approvisionnements. Nous pesons autant sur le marché automobile que Volvo, le volume de nos commandes fait que beaucoup d’industriels y répondent. Or nous devons livrer nos commanditaires sans aucun retard.

Ford, Peugeot et Renault ont été retenus. Les commandes ne s’adressent pas prioritairement à Ford, même si celle-ci a été classée première lors de la procédure de consultation…

M. Sébastien Taupiac. – Et de loin !

M. Alain Borowski. – Il existe des entreprises françaises dont les modèles ne sont pas, pour l’essentiel, fabriqués en France. La Toyota Yaris, inversement, est fabriquée à Valenciennes… Dès lors, comment identifier

précisément quelles entreprises méritent un label « bleu-blanc-rouge » ? Ce ne sont pas forcément les entreprises à capital majoritairement français…

M. Sébastien Taupiac. – La mutualisation est inéluctable à tous les échelons. La question n’est pas de savoir quelle échelle préférer, mais d’assurer l’efficience et le professionnalisme de chaque structure. Avec 100 000 acheteurs publics, la mutualisation n’est pas un risque mais une nécessité si l’État souhaite vraiment utiliser la commande publique comme un levier économique et technologique : il est plus facile de piloter quelques centaines d’acteurs professionnels que 100 000 acheteurs disséminés sur tout le territoire, qui ne peuvent plus se tenir au courant de toutes les avancées ni disposer des ressources humaines pour cela.

La commande publique s’est focalisée sur les prix par manque d’expertise-achat : il est plus facile d’acheter du prix que de combiner finement des critères. Le moins-disant a pris le dessus sur le mieux-disant.

L’Ugap à l’inverse se concentre aujourd’hui sur le coût total de possession, dont l’évaluation nécessite des compétences d’expert. Les progrès passeront par la professionnalisation des acheteurs, par la reconnaissance de leur métier. À l’Ugap, nos 70 acheteurs passent un tiers de leur temps sur le terrain, à faire des études de marché. Chaque acheteur doit se spécialiser sur un secteur.

Tant que notre valeur ajoutée sera là, nous n’aurons pas à nous inquiéter. Notre modèle d’achat pour revente est unique en Europe. Chez nos voisins, le recours à une centrale souvent unique est obligatoire. La mutualisation n’y a pas eu les effets dommageables que nous redoutons parfois. Si bien que les pays européens observent notre modèle avec intérêt.

Mutualiser le traitement des factures et des paiements serait utile également.

Nous allons progresser sur nos critères de choix. Nous nous positionnons actuellement sur un marché d’éclairage public à partir d’un modèle d’ampoule innovante, économe. Bien sûr, il faut que les acheteurs publics fassent aussi progresser leurs critères en intégrant l’innovation, l’intégration sociale et le coût environnemental dans leur évaluation de prix.

M. Alain Borowski. – La création de régions qui auront, pour certaines, le même pouvoir d’achat qu’un petit pays européen ne sera pas sans conséquence. Nous devons donc faire des propositions de services à ces nouvelles collectivités, qui souhaiteront peut-être travailler avec nous. Il résulte de nos entretiens avec des responsables régionaux qu’un élément décisif sera la capacité de l’Ugap à inscrire dans son catalogue les productions d’entreprises innovantes identifiées sur un plan régional afin de les exporter dans d’autres régions. Or l’Ugap sait faire cela. Nous fournirons aussi des offres nationales inaccessibles à des structures régionales. Enfin, sur des secteurs où l’Ugap est la plus performante, elle pourra intervenir.

Nos outils de suivi seront aussi mis à contribution.

M. Éric Doligé, président. – Merci. Dans le secteur de la santé, avez-vous des commanditaires privés ?

M. Sébastien Taupiac. – Uniquement des organisations à but non lucratif. Bien sûr, le rapprochement entre structures publiques et structures privées dans l’offre de soins entraîne à s’interroger comme vous le faites.

M. Éric Doligé, président. – Parmi les adhérents de la centrale d’achat de mon territoire, il y a des entreprises privées.

M. Alain Borowski. – Le code des marchés publics prévoit cette possibilité, par la technique du groupement de commandes. Nous avons mis ce dispositif en place lorsque nous avons lancé, avec la Poste, l’appel d’offres pour les véhicules électriques. La seule condition est que les procédures d’achat soient bien soumises au code des marchés publics.

M. Éric Doligé, président. – Je vous remercie.

C.AUDITION DE M. FRANÇOIS POUPARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES INFRASTRUCTURES, DES TRANSPORTS ET DE LA MER AU MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'ÉNERGIE

M. Éric Doligé, président. – Nous sommes heureux de vous accueillir. Vous dirigez la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer au sein du ministère de l’écologie. Cela couvre, si l’on prend en compte le ministère et ses opérateurs, un champ très important de la commande publique.

M. Martial Bourquin, rapporteur. – Jusqu’à présent, les principaux acheteurs publics comme la SNCF qui relèvent de l’ordonnance du 6 juin 2005 échappaient au principe d’allotissement des marchés. La transposition des directives « marchés » prévoit de leur étendre ce principe. Quel sera l’impact sur vos pratiques ? Pouvez-vous nous préciser les principes qui guident vos choix en matière d’achats publics ? Enfin, comment entendez-vous favoriser l’accès des PME à la commande publique dans les transports ?

M. François Poupard, directeur général des infrastructures, des