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Pour Morrison et Robinson (1997), la rupture du contrat psychologique se produit lorsqu’un employé perçoit que l’organisation n’a pas tenu une ou plusieurs obligations. Il s’agirait selon eux, de « l’évaluation cognitive de l’écart « négatif » entre les obligations promises et les rétributions reçues ».

Les nombreuses recherches sur le contrat psychologique menées relè- vent l’importance de ce phénomène, les perceptions de ruptures du contrat psychologique sont fréquentes, les sources de ces ruptures très diverses. Ro- binson et Rousseau (2007) montrent que, de plus en plus souvent, les organi-

sations ont tendance à ne pas tenir les promesses et les obligations liées au contrat psychologique tel qu’il est perçu par le travailleur. Les contextes con- currentiels actuels et les conditions de travail qui en découlent (restructura- tions, pertes de ressources et d’effectifs, changements de métiers, augmenta- tion de la charge de travail, etc.) sont, en grande partie, à l’origine de ce phénomène. Les conséquences s’avèrent coûteuses pour l’employé et pour l’organisation : perte de confiance en son organisation, diminution des obliga- tions perçues par l’employé à l’égard de son organisation, insatisfaction au tra- vail, perte de l’engagement, affectation de la motivation, perte de perfor- mance, augmentation de turnover, perte de compétences….

Face à l’augmentation de ce phénomène, les chercheurs s’intéressent de plus en plus aux facteurs en jeux et aux processus sous-jacents.

Robinson et Morrisson (2000, p. 526) différencient ces conséquences de la rupture du contrat psychologique des effets de la violation de ce contrat : « la perception que l’organisation n’a pas assumé ses obligations (la rupture) devient une expérience affective et émotionnelle de détresse, de frustration et de colère à travers l’interprétation de cette rupture et des circonstances qui l’accompagnent ». La violation serait, selon ces auteurs, la conséquence ultime d’une succession d’événements, de comportements et d’interprétations qui débutent avec la perception que l’autre partie n’a pas tenu une ou plusieurs promesses.

Les auteurs ont élaboré un modèle explicatif du processus de violation du contrat psychologique.

Morrisson et Robinson (1997) ont repéré deux éléments essentiels qui interviennent dans la perception d’une promesse non tenue : la renonciation et l’incongruence.

a) La renonciation se produit, selon ces auteurs, lorsque l’employeur (ou ses représentants) reconnaît son obligation mais ne la respecte pas, soit par incapacité soit par manque de volonté. Elle se produit lorsque l’employeur et l’employé interprètent différemment le contrat psychologique

• La renonciation par incapacité traduit une impossibilité pour l’employeur de tenir certaines promesses. L’incapacité à tenir les engagements peut être due à des aléas qui interviennent dans l’organisation elle-même ou dans son environnement externe (changements organisationnels, restructurations, contextes devenus très concurrentiels entrainant des difficultés financières ou des baisses de performances).

• La renonciation par manque de volonté se présente pour Morris- son et Robinson sous deux angles : l’organisation (ou ses représen- tants) ne tiennent pas la promesse soit parce qu’elle n’a jamais eu l’intention, soit parce qu’elle en a décidé autrement. Ces mêmes chercheurs soutiennent que l’organisation aura tendance à ne pas respecter ses engagements lorsqu’elle considère que « les bénéfices liées à la renonciation sont supérieurs aux coûts qu’elle occasionne » (Morrisson et Robinson, 2009, pp. 91-92). Ce processus serait in- fluencé par l’asymétrie des pouvoirs (entre employé et employeur), le comportement de l’employé et le type de relation d’échange. Ain- si, Morrisson et Robinson défendent l’idée que la rétraction de la part de l’organisation est plus fréquente quand les employés possè- dent peu de pouvoir dans la relation d’emploi. De même, lorsque l’organisation juge que l’employé n’a pas tenu ses promesses : il s’agira alors « d’une expression de revanche ou d’une restauration d’équité » (Morrisson et Robinson, 2009, pp. 91-92) ; ou encore, lorsque la relation d’échange est basée sur un contrat de type rela- tionnel.

b) L’incongruence quand à elle se traduit par une différence de percep- tions concernant les obligations mutuelles qui définissent la relation d’emploi. Cette incongruence peut, selon Morrisson et Robinson, porter sur les conte- nus des obligations ou leurs accomplissements. Ils définissent trois éléments en interaction qui permettent de comprendre cette différence de perceptions :

• la divergence des schémas : les schémas mentaux se dévelop- pent, nous l’avons décrit plus haut, progressivement en fonction des expériences, personnelles et professionnelles, antérieures (phases de socialisation durant l’enfance et l’adolescence, sociali- sation professionnelle…) et en fonction des différentes cultures (familiale, scolaire, de métier, organisationnelle…) et des valeurs qui façonnent les individus. La probabilité d’une divergence entre les schémas de l’employé et de l’employeur (ou de celui ou ceux qui le représentent) est donc élevée. Les perceptions des contri- butions et rétributions de chaque partie engagée dans cette rela- tion d’emploi (des obligations mutuelles) diffèrent alors. Dulac, Delobbe et Saffery (2009) ont montré dans leurs études sur la socialisation organisationnelle des nouveaux entrants, que plus ce processus de socialisation est institutionnalisé, plus les croyances et présupposés convergent entre le nouvel entrant et l’organisation. De même, ces auteurs ont montré que les percep- tions de rupture et de violation du contrat psychologique sont moindres lorsque l’intégration des nouveaux entrants est institu- tionnalisée.

• la complexité et l’ambiguïté des obligations : les informations que reçoivent les employés à propos des obligations sont sou- vent nombreuses, ambigües, complexes mais incomplètes, ce qui influence la perception et l’interprétation et altère le processus de mémorisation (Morrison et Robinson, 1997 ; Rousseau, 1998). Selon Griffin et Ross (2009), les individus vont tenter de com- bler les informations manquantes à partir de signaux contextuels et d’expériences antérieures. Ainsi, le risque d’une divergence entre les perceptions (de l’employeur et de l’employé) est impor- tant.

• l’insuffisance de communication : Morrison et Robinson souli- gnent l’importance de la communication et ce, déjà, durant la phase de recrutement car rappelons le, le contrat psychologique se forme avant même l’entrée dans l’organisation. Dulac, De- lobbe et Saffery (2009) précisent que lorsque la communication durant la phase de recrutement est de qualité, c'est-à-dire lorsqu’il y a un échange sur le contenu du contrat psychologique lorsque les obligations mutuelles sont évoquées, les perceptions de rup- ture et de violation sont moins fréquentes durant la phase d’intégration. Par contre, selon Morrison et Robinson (1997), la

probabilité d’incongruence augmente avec le temps du fait du changement d’interlocuteurs car les représentants de l’organisation qui émettent des promesses au début de la relation ne sont pas toujours les mêmes que ceux qui doivent les tenir. Les mêmes auteurs affirment qu’une relation et une communica- tion de qualité, entre l’employé et le représentant de l’organisation, « minimise la perception de brèche » Robinson et Morrison (2000).

D’après Morrison et Robinson (1997), pour que l’employé perçoive une rupture du contrat psychologique, deux conditions sont nécessaires :

• l’employé a le sentiment qu’une ou plusieurs promesses n’ont pas été tenues,

• l’employé considère avoir tenu ses promesses vis-à-vis de son employeur et estime qu’il y a un déséquilibre entre rétributions et contributions.

Selon ces mêmes auteurs, ce processus de comparaison est affecté à la fois par le biais ‘d’autocomplaisance’, c'est-à-dire que l’employé a tendance à surestimer ses contributions et par l’effet de seuil. Morrison et Robinson (1997) soutiennent que l’effet de seuil est influencé par : la sensibilité à l’équité (les personnes qui ont une sensibilité à l’équité élevée interprètent une promesse non tenue rapidement comme une rupture). Cet effet de seuil dé- pend aussi du type de relation d’échange. Ainsi, un contrat psychologique de type transactionnel basé sur des échanges direct et rapides prédit, selon ces auteurs, un seuil de détection de la rupture bas.

Comme nous l’avons déjà précisé, Morrison et Robinson (1997) ont établi une distinction entre la perception de la rupture (qui consiste en une comparaison cognitive entre ce qui a été reçu et ce qui a été promis) et la per- ception de violation (qui est une réaction émotionnelle qui peut accompagner la perception de la rupture). Cette réaction affective se traduit par des senti- ments d’incompréhension, de frustration, d’injustice, d’amertume, d’indignation, parfois d’humiliation mais surtout d’une perception d’avoir été trahi… Selon les auteurs, ce processus d’interprétation est influencé par :

• l’évaluation des résultats : l’importance de l’écart (négatif) per- çu entre les contributions respectives.

• le processus d’attribution des causes de la rupture : l’employé jugera en fonction du degré de prévisibilité, du contrôle de ceux qui représentent l’organisation et des facteurs qui ont entrainé la rupture (comme l’éventuelle responsabilité de l’organisation). Ce processus d’attribution est modulé à la fois par le degré de con- fiance entre l’employé et son organisation (Robinson, 2009) et par les explications fournies par l’organisation sur les raisons d’une promesse non tenue (Turnley et Feldman, 1999).

• l’évaluation en termes de justice et d’éthique qui recouvre l’impartialité des décisions, le degré de respect et d’honnêteté en- vers l’employé (Morrison et Robinson, 1997).

• le contrat social prédominant, c'est-à-dire les valeurs et les normes sur lesquelles se base le contrat psychologique. Ces con- trats sociaux varient en fonction du contexte et du moment. « La perte de confiance et le sentiment de trahison engendrés par la perception de violation peuvent diminuer, voire même éliminer, tout attache- ment de l’employé à l’organisation. L’employé aura tendance, par prudence ou par méfiance, à transformer un contrat relationnel en contrat transactionnel comportant le moins d’émotions possible … » (Lemire et Martel, 2007, p. 160).

Les changements organisationnels, à l’origine de contraintes nouvelles pour les salariés, ont modifié les exigences de la tâche souvent sources de stress mais également le contenu de ce lien moral entre le travailleur et l’organisation. Et par voie de conséquence, ces transformations engendrent des risques de déstabilisation de la relation de travail spécifiée par le contrat psychologique. Peut en résulter une expérience psychologiquement doulou- reuse pour le salarié, qui risque d’entraîner des problèmes de santé (physiques ou mentaux), dés lors que les processus de régulation des contradictions qu’il vit sont altérés et « tournent à vide ». Dans ce cas, la rupture du contrat psy- chologique est perçue comme une violation, le sujet se trouve dans l’incapacité (durable ou provisoire) à pouvoir traiter ces contradictions. Nous pensons que ces situations de souffrance sont liées en grande partie à des conflits intra per- sonnels provoqués par une mise en doute des activités auxquelles le sujet a adhéré, attaché du sens et des valeurs auxquelles il tient (et qui les tiennent).

Rappelons que selon Morrison et Robinson (2009, p. 54), les valeurs in- tériorisées durant les différents moment de socialisation (durant l’enfance,

l’adolescence, les premières expériences avec la vie professionnelle) « sont in- fluencées par la famille, les différentes écoles, les groupes de pairs et les inte- ractions avec les autres travailleurs » Ces valeurs rentrent en jeu dans la cons- truction du schéma mental à propos de leur relation d’emploi (Rousseau 1998). Mais dans le concept du contrat psychologique, tout comme dans les approches décrites précédemment dans le chapitre II qui traitent du phéno- mène de stress et de la souffrance, la sphère professionnelle apparaît comme dominante. Nous considérons cependant, que le « hors travail », c’est à dire les autres sphères et les autres temps des activités des sujets, constituent des res- sources ou des contraintes (matérielles, psychiques, relationnelles…) au main- tien de l’équilibre de l’individu et qu’elles participent à la création de nouvelles représentations et motivations. L’interdépendance entre les sphères de vie, active ou inhibe les ressources. Ce transfert de ressources peut entraîner la définition de projets. Il peut par exemple s’agir de nouvelles sources de com- pétences que le sujet cherche ou conforte en fonction d’engagements qu’il a dans d’autres domaines de sa vie personnelle et sociale.

Ainsi, la sphère non professionnelle doit être prise en considération dans l’étude de la souffrance au travail pour comprendre sa genèse et la réac- tion des salariés face aux situations génératrices de souffrance. En ce sens, notamment, les valorisations des différents domaines de vie peuvent avoir un rôle modérateur dans l’investissement au travail, de la même façon que les évènements de vie dans les autres sphères ou dans les autres temps de l’histoire du sujet ont un impact sur les représentations du travail. L’identité des salariés se trouve « reconfigurée » par des processus qui relèvent du milieu professionnel et dialectiquement des milieux de la vie hors travail.

CHAPITRE IV

Problématique et hypothèse

générale de la recherche

IV-1. CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS,