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Pour l’ergonomie, analyser l’activité dans une perspective de compré- hension du stress et des conséquences sur la santé, cela revient donc à se de- mander comment l’agent répond à la tâche prescrite, quelle représentation il en a, comment il la redéfinit, ce qu’il met en œuvre pour l’accomplir et quel est le sens de son action pour lui et pour les autres. La mission de l’ergonomie étant d’agir sur les conditions de travail pour les adapter à l’homme en vue d’écarter les dangers pour sa vie et sa santé, tout en respectant les objectifs de l’efficacité dans le registre de la production. Toutefois, l’activité représente à la fois, l’accomplissement de la tâche et l’expression de la subjectivité, en action et représentation. L’expression subjective de l’agent est indispensable pour accéder à ses représentations et par là même à la compréhension de l’activité et de ses conséquences.

Clot (1999a) cherche à contribuer au renouvellement de la tradition francophone d’analyse de l’activité (l’écart entre le prescrit et le réel). Il lui pa- raît nécessaire d’aller au-delà de cette conception du travail. Selon lui, il n’existe pas d’un côté la prescription sociale, et de l’autre l’activité réelle. Il existe entre l’organisation du travail et le sujet lui-même, un travail de réorga- nisation de la tâche : une re-création. Ainsi, le travail n’est pas seulement orga- nisé par les concepteurs ou l’encadrement, il est réorganisé par ceux qui le réa- lisent, qui le questionnent et cherchent à se développer par les actes qu’ils élaborent en situation et avec autrui.

Clot (1999a) met l’accent sur la fonction psychologique du travail dans le développement du sujet. Ses travaux portent essentiellement sur la fonction de la subjectivité et du travail collectif dans l’activité.

Selon l’auteur, il y a donc entre le prescrit et le réel un troisième terme : le genre social du métier, le genre professionnel, c’est à dire les obligations sur lesquelles s’entendent ceux qui travaillent et leurs collectifs pour arriver à tra- vailler. « Sans la ressource de cette histoire commune de la vie professionnelle, on assiste à un dérèglement de l’action individuelle, à une chute du pouvoir d’action et de la tension vitale du collectif, à une perte d’efficacité du travail et de l’organisation elle-même » (Clot, 1999a, 81-89).

Pour lui, le genre repose sur un principe d’économie de l’action, la par- tie sous-entendue de l’activité : « ce que les travailleurs d’un milieu donné connaissent et voient, attendent et reconnaissent, apprécient ou redoutent, ce qui leur est commun » (op. cit. 81-89). C’est comme un « mot de passe », con- nu seulement de ceux qui appartiennent au même milieu social et profession- nel. Ainsi, cette mémoire impersonnelle et collective donne de la contenance à l’activité en situation.

De nos jours, les genres sont extrêmement malmenés dans les organisa- tions, notamment par manque de temps accordé à l’organisation des collectifs eux-mêmes ou par leur destruction volontaire par des modes de management « individualisants ». Il devient difficile de s’accorder sur les contraintes et les possibilités communes du travail, et les opérateurs ont souvent recours à « l’usage pathogène et nécrosé des idéologies défensives de métiers » décrites par Dejours (1995b). Pour Clot (1999a), le renoncement au genre représente toujours le début d’un dérèglement de l’action individuelle. Le genre possède une fonction psychologique, il règle les relations interprofessionnelles. C’est à travers lui que les travailleurs s’estiment et se jugent mutuellement.

« Le genre est constamment exposé à l’épreuve du réel, toujours transi- toire et c’est le travail du style qui produit une stylisation des genres suscep- tibles de les garder en état de marche, c’est à dire de les transformer en les dé- veloppant » (Clot & Faïta, 2000, 7-43). Dans la terminologie de Clot, les styles métamorphosent les genres. Ils sont le « re-travail des genres en situation ». L’histoire d’un milieu de travail se poursuit grâce aux contributions stylistiques personnelles, « le genre vit dans le présent, se souvient de son passé et forme une mémoire pour prédire » (op. cit. 7-43).

Clot (1999a) propose de regarder l’activité réelle comme une activité qui s’accomplit entre deux mémoires (l’une personnelle, le style, l’autre imperson- nelle, le genre). L’activité serait alors « le théâtre d’un mouvement aux direc- tions opposées : stylisation des genres et variation de soi ».

Clot (1999a) illustre ses propos avec cette citation de Bruner (1991, p 48) : « Lorsque nous arrivons sur un lieu de travail, c’est comme si nous pé- nétrions sur une scène de théâtre où la représentation a déjà commencé : l’intrigue est nouée, elle détermine le rôle que nous pouvons y jouer et le dé- nouement vers lequel nous pouvons nous diriger. Ceux qui étaient déjà en scène ont une idée de la pièce qui se joue, une idée suffisante pour rendre pos- sible la négociation avec le nouvel arrivant ».

L’agent n’est pas un simple exécutant de la tâche prescrite. Cette tâche s’inscrit dans son histoire. Pour Clot, à travers les contributions sociales aux- quelles il est exposé dans son travail, le sujet se mesure aux conflits de sa propre histoire (des projets qu’il y a réalisés ou abandonnés …). Le sujet redé- finit cette tâche par rapport aux tâches des autres et par rapport à la qualité de la vie collective.

Il s’agit, comme nous l’avons indiqué plus haut, d’une perspective cli- nique en psychologie ergonomique : une approche développementale du tra- vail. Les dimensions physiologiques, affectives ou sociales ne sont pas ex- ternes au fonctionnement cognitif. Clot (1999a) tente d’en expliquer les rapports et la contribution de chacune à la réalisation des autres ou à leur in- hibition.

Pour l’auteur (Clot & al., 2000), ce qui se fait (l’activité réalisée) est l’actualisation d’une des activités réalisables dans la situation (celle qui a vaincu dans le conflit avec les autres concurrentes). Donc, l’activité c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce que l’on aurait voulu ou pu faire et ce que l’on fait pour ne pas faire ce qui est à faire. Faire c’est souvent et tout autant refaire ou défaire. « Les activités suspendues, contrariées, empêchées et les contre-activités » doi- vent aussi être analysées puisqu’elles ne sont pas absentes pour autant et qu’elles pèsent dans l’activité présente. Elles peuvent rendre compte de l’évolution inattendue de certaines activités, de certaines impasses et d’éventuelles souffrances. L’objectif de cette approche est moins l’activité en tant que telle mais le développement de cette activité et ses empêchements. Il justifie, pour Clot, l’adoption de méthodologies nouvelles dont l’auto- confrontation.

Dans la perspective de la « clinique de l’activité », c’est la dynamique d’action des sujets qui est analysée en situation. Elle concerne ce que les hommes font des épreuves qu’ils traversent et les solutions qu’ils trouvent ou ne trouvent pas pour s’y mesurer. Les auteurs de ce courant proposent de faire une co-analyse qui mise sur un développement des sujets, des collectifs et de la situation. D’après les résultats de leurs études, c’est le dysfonctionnement de la dynamique des rapports entre styles et genres qui se trouve être à

l’origine des situations pathogènes de travail, les sujets se trouvent mis en souffrance par l’amputation du pouvoir d’agir.

Les auto-confrontations auxquelles ils participent rendent le genre vi- sible et discutable, en le mettant à l’épreuve (dans la confrontation) avec sa propre activité et avec celle de l’autre. Ainsi, chaque auto-confrontation fait revivre le genre d’une façon personnelle. De la sorte, les confrontations pren- nent la forme d’une activité réflexive du sujet sur son propre travail. Elle privi- légie l’augmentation du pouvoir des collectifs de transformer les buts, les moyens et les connaissances de leur activité.

« L’auto-confrontation, indissociable d’une clinique de l’activité, est au centre du renouvellement en analyse du travail. Mais elle est aussi une contri- bution à une approche de la santé comme pouvoir d’action du sujet sur son milieu et sur lui-même » (Clot 1999b, 142-152).