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Prise en compte des facteurs limitants

B. Influence du contexte historico-politique

B. 2. LE ROLE DE L’ARCHEOLOGIE PREVENTIVE

J.-P. Demoule notait en 2007 que, dans tous les pays où elle se développe, l’archéologie préventive produit 90% de l’information nouvelle (Demoule, 2007). Dans un pays comme la France, l’archéologie préventive a contribué à changer le paysage du Paléolithique. Par exemple, lors du colloque sur le Paléolithique moyen à Amiens en 200824

, on a vu que la vision du peuplement et des entités techniques du Moustérien (grotte au Sud/plein air au nord, biface au sud/laminaire au nord, etc.) à été bousculée par la découverte notamment de sites de plein air dans le sud de la France. En Europe centrale, la quasi totalité des sites connus pour cette période a été découverte grâce aux travaux d’exploitation de carrières (Korolevo, Kärlich-Seeufer, Rusko, Trzebnica, Bilzingsleben et Vértesszölös). Mais les découvertes de ces sites remontent toutes à plus de vingt ans. La situation économique et les dispositifs réglementaires dans les pays concernés étant très différents, l’impact sur la reconnaissance des sites anciens est donc essentiel. Il est donc nécessaire de s’interroger sur la législation concernant l’archéologie préventive en vigueur dans ces pays.

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Journées SPF des 28 et 29 mars 2008 : "Les plaines du Nord-Ouest : carrefour de l'Europe au Paléolithique moyen ? organisées par P. Depaepe, É. Goval, H. Koehler et J-L. Locht. Direction des Affaires Régionales et Culturelles (DRAC) de Picardie, 5 rue Henri Daussy – 80 000 Amiens.

En Russie, la politique en matière de surveillance archéologique des chantiers remonte à la fin du 19ème

siècle. En 1932 est crée le « comité spécial pour la surveillance des nouvelles constructions » sous l’égide de l’académie nationale de la culture matérielle (Engovatova, 2010). Tous les pays de l’Union Européenne ont ratifié la convention de Malte « pour la Protection du Patrimoine Archéologique » (Série des traités européens, 1992). Dans cette convention, il est indiqué que « chaque partie s'engage à mettre en œuvre, selon les modalités propres à chaque Etat, un régime juridique de protection du patrimoine archéologique prévoyant l'obligation pour l'inventeur de signaler aux autorités compétentes la découverte fortuite d'éléments du patrimoine archéologique et de les mettre à disposition pour examen » (Article 2, alinéa 3). Mais la mise en œuvre de cette prérogative dépend d’une part des moyens mis en œuvre pour permettre l’indentification des vestiges et d’autre part de la prescription des fouilles. En Allemagne, par exemple, l’organisation administrative de l’archéologie préventive dépend de chaque Land. Concernant la prescription des sondages, dans un rapport du Sénat français sur l’archéologie préventive en Europe (Documents de travail du sénat n° LC 138), il est noté que « En pratique, en matière d’archéologie préventive, les principales décisions sont prises en cas de découverte fortuite. D’après les différentes lois, l’administration compétente prend les mesures qui lui semblent appropriées pour protéger les vestiges. Le chantier est de toute façon interrompu, pour une durée généralement comprise entre trois et sept jours, avec obligation de ne pas modifier l’état des lieux. » (Documents de travail du sénat, 2004, p. 13-14). Il n’y a donc pas de politique de prescription préalable au démarrage d’un chantier. Ceci est d’ailleurs le cas dans la plupart des pays concernés, sauf dans le cas de grands travaux comme en Hongrie ou en Pologne (Burdukiewicz, 2007 ; Raczky, 2007).

La question du statut des archéologues varie aussi d’un pays à l’autre. Presque partout, les fouilles préventives sont confiées à des entreprises privées. Dans un rapport sur l’archéologie en Méditerranée (Braemer & Angevin, 2011), les auteurs constatent que « le point de faiblesse potentiel du système de l’archéologie commerciale, totalement assumé en Espagne et seulement pour partie en France et Italie, de fait occulté en Grèce, réside dans la précarité du statut des personnes. Les crises économiques ont des conséquences dramatiques (Schlanger & Aitkinson, 2010) et les contrats ne sont pas renouvelés. (…) En Grèce, en l’absence de système reconnu d’entreprises spécialisées, les archéologues sont totalement isolés avec des contrats individuels de courte durée. » (Bremer & Angevin, 2011, p. 40).

En conséquence même si tous les pays de l’union européenne (ce qui exclut donc l’Ukraine, la Russie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie et l’Albanie) reconnaissent la nécessité de la protection du patrimoine, les politiques de mise en application de lois sur

l’archéologie préventive varient. Y compris dans un pays comme l’Allemagne, la programmation des opérations est peu développée. Il faut donc compter sur le hasard pour la découverte de sites, contrairement à ce qui se passe en France où la prescription par le SRA permet parfois de provoquer ce hasard. Ceci a une influence exponentielle sur la découverte de sites paléolithiques généralement conservés à des profondeurs plus importantes, qui ne sont souvent pas concernées par l’emprise même des travaux. Les politiques d’aménagement du territoire jouent aussi un rôle important dans la découverte des sites. Les pays très industrialisés développant des programmes de grands travaux ont plus de chance de faire des découvertes fortuites que des pays plus ruraux comme dans la région des Balkans par exemple.

La crise économique récente a évidemment un impact sur le développement de la recherche notamment en archéologie préventive (Schlanger & Aitchison, 2010). Très concrètement, la crise a conduit à une modification des lois sur la protection du patrimoine en Hongrie (Bánffy & Raczky, 2010). En Pologne c’est plutôt le ralentissement des grands travaux d’infrastructures qui a nuit au développement de l’archéologie préventive (Marciniak & Pawleta, 2010).

C. Conclusion

Si la nature des formations superficielles, les conditions réglementaires et historiques sont très différentes dans les pays considérés, chacun de ces facteurs joue un rôle dans la découverte de sites anciens. On pourrait grossièrement délimiter deux zones souffrant chacune de conditions défavorables à la découverte de nouveaux sites, mais pour des raisons différentes.

La première région est constituée par les pays les plus industrialisés d’Europe centrale, Allemagne, Pologne, République Tchèque et Hongrie. Même si la recherche dispose de moyens financiers et législatifs pour protéger le patrimoine, le hasard joue ici un rôle majeur. Les conditions naturelles sont défavorables à la découverte fortuite de sites du Paléolithique inférieur puisque les grottes sont rares et les dépôts pléistocènes très épais. De plus la crise économique contribue à ralentir le développement des infrastructures et donc la réalisation des grands travaux.

Dans le sud de la région étudiée, dans les Balkans au sens large (Albanie, Grèce, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Macédoine, Moldavie) les conditions naturelles sont plus favorables notamment en raison de la présence de grottes. Mais l’intérêt pour l’archéologie est davantage tourné vers les périodes de l’antiquité. De plus ces régions sont davantage rurales et surtout moins développées ce qui évidemment est un frein à l’essor de l’archéologie préventive. Ainsi les possibilités de découvrir des sites anciens sont

encore plus ténues. Néanmoins cette région nous apparaît aujourd’hui comme centrale dans la compréhension des dynamiques de peuplement au Paléolithique inférieur. Entre Proche-Orient et Europe occidentale, tournée vers la Méditerranée elle pourrait être une région clé dans l’étude des premières occupations humaines en Europe. Il n’est donc pas étonnant de voir que les deux missions d’études ciblées récentes en Bulgarie (Guadelli et al., 2005 ; Sirakov et al., 2010) et en Roumanie (Iovita et al., 2012), ont permis la mise au jour de sites très prometteurs.

Chapitre III :