• Aucun résultat trouvé

Robinson des demoiselles par Mme Woillez (1834), Robinsonnette, histoire d’une petite orpheline d’Eugène

Müller (1874), Robinsonne et Vendredine de Xavier Aubryet.

368

361 Leclaire-Halté (A.), op.cit., p.129. 362 Leclaire-Halté (A.), op.cit., p.129.

363 Chelebourg (C.), Marcoin (F.), Cahiers Robinson « Civiliser la jeunesse », Artois : Artois Presses Université, 2015. 364 Anne Leclaire-Halté montre ainsi que la voix du personnage peut endosser un rôle axiologique, marqué par la

redondance : « Un même personnage peut, dans du discours rapporté directement, recourir régulièrement tout au long du roman à des énoncés gnomiques et des marques de discours moral. Il manifeste explicitement la norme du texte, d’autant plus qu’il est par ailleurs valorisé par tout le système narratif. » (op.cit., p. 143). Or, dans Alexis le

petit garçon qui n’a jamais marché, l’orientation axiologique générale du récit est non seulement portée par le

personnage-narrateur mais aussi relayée par des « personnages-voix » (Anne Leclaire-Halté, op.cit., p. 145). Aussi Alexis se réfère à ce propos aphoristique de son père : « Papa le dit toujours : « La valeur humaine ne se mesure pas aux gestes que le corps peut faire. » [Alexis le petit garçon qui n’a jamais marché : 23]. Et Alexis de déclarer : « Heureusement, tu le sais bien, l’amitié n’est pas une affaire de jambes qui courent ou ne courent pas. L’amitié n’est pas une affaire d’apparence : cela regarde la tête et le cœur » [23]

365 Genette (G.), Seuils, Paris : Éditions du Seuil, 2002, pp. 89-93. Selon les terminologies de Gérard Genette, le titre

Robinsone apparaît à la fois thématique - par l'évocation d'un personnage - et rhématique - par la référence à un

genre littéraire.

366 Genette (G.), op.cit., p. 21. L'auteur définit le titre comme un « artefact littéraire », p. 60.

367 Ce motif est fondateur. « Les Robinsonnades, variations sur l’aventure de Robinson Crusoé, s’organisent essentiellement à partir du motif de l’île déserte. Le naufragé s’y retrouve, souvent solitaire et démuni, abandonné à la Providence et confronté à lui-même. » (Dubois-Marcoin (D.), « Robinsonnades », in Dictionnaire du livre

jeunesse, op.cit., p. 807).

368 Leclaire-Halté (A.), op.cit., pp. 18-19. Mentionnons également ce titre : La Nouvelle Robisonnette, aventures d’une

92

Claire Julliard dépeint une Robinsone des temps modernes qui vit en France, dans la société

contemporaine et urbaine. Charlotte, l’héroïne, ne doit pas se relever d’un tragique naufrage qui la

contraindrait à survivre. Son arrivée sur l’île (qui n’est en réalité qu’un simple étang) résulte d'une

fugue volontaire de la pension scolaire. Elle échappe ainsi à la discipline ainsi qu’à ce temps social

qu’est « le temps de la journée scolaire, réglé par un strict « emploi temps » »

369

. Aussi Charlotte

s’extrait-elle temporairement du « rythme collectif et obligatoire imposé de l'extérieur »

370

afin de

jouir pleinement de son rythme individuel et libre. Son aventure insulaire est traitée de manière

détournée, symbolique et même ludique. L’homologie structurelle et générique avec les

robinsonnades passe par la réécriture de quelques « éléments thématico-narratifs »

371

caractéristiques. Certaines séquences clés du récit fondateur de Daniel Defoe - et telles qu’elles ont

été analysées par Jean-Michel Racault

372

- se retrouvent alors.

Il s’agit, tout d’abord, du « voyage qui entraîne le héros dans des zones inconnues »

373

.

L’escapade de « Robinsone » à travers « un dédale de sentiers improbables » [49] est relatée :

« Mes pensées s'échappaient de mon esprit comme autant d'oiseaux en cage. Je marchais sans me

préoccuper du trajet. Un peu plus tard, je m'étais perdue. » [38] Les seuils marquant les

déplacements de la jeune fille sont matérialisés. En attestent les obstacles qu’elle franchit, à

l’exemple de « la baie de haies rouges » [39] et du « petit pont de bois » [40]. Charlotte découvre

alors, par hasard, « un no man's land, en pleine banlieue » [38]. Ces passages descriptifs se

cristallisent autour du « chronotope du seuil » ou « chronotope de la crise, du tournant d'une vie. »

374

Le nœud de l'action de Robinsone donne à voir « les lieux où s’accomplit l’événement de la crise,

de la chute, de la résurrection, du renouveau, de la vie, de la clairvoyance, des décisions qui

infléchissent une vie entière. »

375

Un exemple en est offert par l’arrivée de la jeune fille sur l’île, qui

constitue, par ailleurs, l’étape principale de la robinsonnade :

Je débouchai sur une sorte de clairière. Là, je me figeai, enchantée par la vue insolite qui s'offrait à

moi. Une sorte d'étang aux eaux verdâtres s'insinuait entre les herbes hautes. Je vis en son milieu, une bande

de terre émergée, un monticule de quelques mètres carrés couverts de ronce. Un petit pont de bois permettait

d'y accéder. Une île, pensais-je, une île! C'était inespéré. J'enjambai le pont avec précaution. Les planches

craquèrent un peu. Le chat gris, intrigué par mes déambulations, me rejoignit d'un bond. J'atteignis l'île.

J'étendis mon caban vert sur les ronces et m'installai dessus. Transportée de bonheur. [39-40]

369 Questions pédagogiques, encyclopédies historiques.

370 Foucault (M.), Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris : Gallimard, 1975, p. 153.

371 Leclaire-Halté (A.), op.cit., p. 50.

372 Racault (J.-M.), L’utopie narrative en France et en Angleterre, 1675-1761, Lille 3: ARNT, 1992, pp. 220-221. 373 Telle est la troisième séquence du scénario de la Robinsonnade.

374 Bakhtine (M.), « Formes du temps et du chronotope », Esthétique et théorie du roman, Paris : Gallimard, « Tel », 1978, p. 389.

93

S’ensuit une longue phase d’appropriation de l’île, tant géographique que spirituelle ou

encore technique

376

. « Robinsone » adopte alors l’étang-île sur lequel elle s’installe : « C’était bien

mon île. Je n’en doutais plus. Qui d’autre que moi pouvait connaître ce drôle d’endroit ? […]

C’était donc mon île. Un cadeau du ciel, une découverte personnelle comme en faisaient les grands

voyageurs d’antan. » [44]. La jeune fille réinvente et l’espace et son quotidien, en jouant à « la

Robinsone ». Elle marque son territoire par la pièce de monnaie laissée sur le sol ainsi que par

l’attribution d’un nom à son île :

D'autre part, je devais pouvoir y demeurer, au moins quelques heures par jour, sans mourir de faim.

Il me fallait donc trouver le moyen de me nourrir. Je devais me débrouiller seule. Je ne voulais mettre

personne dans la confidence. C'était trop risqué. Une île c’est personnel et ça se garde. C’était ma liberté, ce

petit coin de terre et je me jurai de ne laisser personne le profaner. Cette île, c’était ma récompense, mon

paradis anticipé. Je l’appelai « la Désirade ». Je jubilai de cette possession clandestine. [45].

L'île est perçue par « Robinsone » comme un don quasiment divin, comme l'attestent les

expressions « cadeau du ciel », « paradis anticipé ». La découverte de ce lieu idyllique est donc

empreinte de sacralité. D'ailleurs, son arrivée sur l'île participe de sa renaissance symbolique,

puisqu'elle renaît de l'ambiance mortifère de la pension.

Une fois installée sur l'île, elle aménage son territoire et organise ses conditions d'existence.

Elle imite le mode de vie des naufragés d’une île déserte et réactualise un imaginaire culturel. Elle

se munit de vivres, entretient son territoire pour « le rendre parfaitement vivable » [45] et enfin se

construit « un abri de fortune » [50] contre la pluie. De même, elle apprivoise ou domestique un

chat, « sa bête sauvage de l’île » [41], comme elle s’amuse à le dire. En somme, là encore, par la

maîtrise de la nature, elle se plie aux règles du jeu de la vie insulaire

377

. À l’inverse du personnage

d’Alexis, Charlotte expérimente-t-elle concrètement la vie en solitaire et en autonomie sur l’île.

Sont ainsi valorisés son pragmatisme et son ingéniosité.

La retraite de Charlotte sur l’île marque, par ailleurs, la jonction du sauvage et du

domestique, ainsi que du campus et du saltus. De fait, l’étang abandonné qu'occupe la jeune fille se

trouve à l'intérieur de l’espace urbain. Il s'agit donc à la fois d'une ville ensauvagée et d'un saltus

« culturalisé »

378

. Par conséquent cohabitent des espaces symboliques. De même, Charlotte porte en

elle une forme de sauvagerie, comme l'atteste le surnom « sauvageonne » [64]. Elle ne s'ensauvage

pas complètement, pour autant. Elle n'est une Robinsone que par intermittence puisqu'elle habite

376 Racault (J.-M.). op.cit., pp.220-221.

377 Marie-Christine Vinson, dans l'article « La civilisation des Robinson » (op.cit.) montre ainsi que le naufragé se soumet à un « processus individuel de civilisation », p. 103.

94

quotidiennement deux espaces hétérogènes. Elle passe alternativement de la pension scolaire – lieu

fermé et même perçu comme une prison - à son île de « La Désirade » – lieu ouvert et connotant

une liberté absolue. Les phases d'arrivée et de départ sur l'île ont lieu de manière cyclique. Se joue

ainsi une transgression vis-à-vis du schéma narratif canonique de la robinsonnade. Charlotte passe

donc constamment de la nature à la culture. De plus, l'adolescente ne rompt pas avec toute forme de

civilisation mais uniquement et symboliquement avec l’organisation sociale de l'institution scolaire.

Et Marie-Christine Vinson d'évoquer le monde à soi propre à l'adolescence : « En effet, la

robinsonnade pour la jeunesse correspond au temps de l’adolescence où l’existence se déroule à

l’abri de la vie des adultes, dans un monde à part, dans des sortes « d’enclaves, d’îlots de jeunesse »

(N. Elias). »

379

Charlotte finit d'ailleurs par accepter la présence de son amie sur son île. Elle maintient ainsi

un lien de socialisation. Elle apprend, par ailleurs, à maîtriser « son corps d'émotions »

380

. Elle se

réfugie sur son île pour recouvrer la tempérance qui lui manque tant dans sa vie de collégienne. Son

aventure insulaire a une valeur initiatique puisqu'elle s'accompagne d'apprentissages physiques et

psychologiques. Son initiation au féminin remplit ainsi les mêmes fonctions que l'initiation

masculine que définit ainsi Marie-Christine Vinson : « Les phases de ce processus initiatique au

masculin sont ponctuées d'un apprentissage de l'ensauvagement, qui suppose la maîtrise de la

nature, tant extérieure (la flore et la faune) qu'intérieure (envie, désirs, pulsions) ».

381

Si à la fin du récit, « Robinsone » a quitté son île, elle exprime l'espoir de s'en approprier

une autre, en compagnie d'un autre chat qu'elle a apprivoisé : « Tous les deux, repris-je. On trouvera

bien une île. » [180] De même, elle met en avant la « nostalgie de Robinson solitaire » [174] qui

continue à l'habiter. En somme, son parcours est marqué par une liminarité irrévocable. Même si

elle est scolarisée au lycée, elle ne s'agrège pas complètement au groupe social formé par ses pairs.

Elle privilégie la vie individuelle à la vie collective. Un ratage culturel de sociabilité se fait alors

jour.

Dans les albums de jeunesse, l'imaginaire de l'enfant se cristallise parfois autour d'une