Müller (1874), Robinsonne et Vendredine de Xavier Aubryet.
368361 Leclaire-Halté (A.), op.cit., p.129. 362 Leclaire-Halté (A.), op.cit., p.129.
363 Chelebourg (C.), Marcoin (F.), Cahiers Robinson « Civiliser la jeunesse », Artois : Artois Presses Université, 2015. 364 Anne Leclaire-Halté montre ainsi que la voix du personnage peut endosser un rôle axiologique, marqué par la
redondance : « Un même personnage peut, dans du discours rapporté directement, recourir régulièrement tout au long du roman à des énoncés gnomiques et des marques de discours moral. Il manifeste explicitement la norme du texte, d’autant plus qu’il est par ailleurs valorisé par tout le système narratif. » (op.cit., p. 143). Or, dans Alexis le
petit garçon qui n’a jamais marché, l’orientation axiologique générale du récit est non seulement portée par le
personnage-narrateur mais aussi relayée par des « personnages-voix » (Anne Leclaire-Halté, op.cit., p. 145). Aussi Alexis se réfère à ce propos aphoristique de son père : « Papa le dit toujours : « La valeur humaine ne se mesure pas aux gestes que le corps peut faire. » [Alexis le petit garçon qui n’a jamais marché : 23]. Et Alexis de déclarer : « Heureusement, tu le sais bien, l’amitié n’est pas une affaire de jambes qui courent ou ne courent pas. L’amitié n’est pas une affaire d’apparence : cela regarde la tête et le cœur » [23]
365 Genette (G.), Seuils, Paris : Éditions du Seuil, 2002, pp. 89-93. Selon les terminologies de Gérard Genette, le titre
Robinsone apparaît à la fois thématique - par l'évocation d'un personnage - et rhématique - par la référence à un
genre littéraire.
366 Genette (G.), op.cit., p. 21. L'auteur définit le titre comme un « artefact littéraire », p. 60.
367 Ce motif est fondateur. « Les Robinsonnades, variations sur l’aventure de Robinson Crusoé, s’organisent essentiellement à partir du motif de l’île déserte. Le naufragé s’y retrouve, souvent solitaire et démuni, abandonné à la Providence et confronté à lui-même. » (Dubois-Marcoin (D.), « Robinsonnades », in Dictionnaire du livre
jeunesse, op.cit., p. 807).
368 Leclaire-Halté (A.), op.cit., pp. 18-19. Mentionnons également ce titre : La Nouvelle Robisonnette, aventures d’une
92
Claire Julliard dépeint une Robinsone des temps modernes qui vit en France, dans la société
contemporaine et urbaine. Charlotte, l’héroïne, ne doit pas se relever d’un tragique naufrage qui la
contraindrait à survivre. Son arrivée sur l’île (qui n’est en réalité qu’un simple étang) résulte d'une
fugue volontaire de la pension scolaire. Elle échappe ainsi à la discipline ainsi qu’à ce temps social
qu’est « le temps de la journée scolaire, réglé par un strict « emploi temps » »
369. Aussi Charlotte
s’extrait-elle temporairement du « rythme collectif et obligatoire imposé de l'extérieur »
370afin de
jouir pleinement de son rythme individuel et libre. Son aventure insulaire est traitée de manière
détournée, symbolique et même ludique. L’homologie structurelle et générique avec les
robinsonnades passe par la réécriture de quelques « éléments thématico-narratifs »
371caractéristiques. Certaines séquences clés du récit fondateur de Daniel Defoe - et telles qu’elles ont
été analysées par Jean-Michel Racault
372- se retrouvent alors.
Il s’agit, tout d’abord, du « voyage qui entraîne le héros dans des zones inconnues »
373.
L’escapade de « Robinsone » à travers « un dédale de sentiers improbables » [49] est relatée :
« Mes pensées s'échappaient de mon esprit comme autant d'oiseaux en cage. Je marchais sans me
préoccuper du trajet. Un peu plus tard, je m'étais perdue. » [38] Les seuils marquant les
déplacements de la jeune fille sont matérialisés. En attestent les obstacles qu’elle franchit, à
l’exemple de « la baie de haies rouges » [39] et du « petit pont de bois » [40]. Charlotte découvre
alors, par hasard, « un no man's land, en pleine banlieue » [38]. Ces passages descriptifs se
cristallisent autour du « chronotope du seuil » ou « chronotope de la crise, du tournant d'une vie. »
374Le nœud de l'action de Robinsone donne à voir « les lieux où s’accomplit l’événement de la crise,
de la chute, de la résurrection, du renouveau, de la vie, de la clairvoyance, des décisions qui
infléchissent une vie entière. »
375Un exemple en est offert par l’arrivée de la jeune fille sur l’île, qui
constitue, par ailleurs, l’étape principale de la robinsonnade :
Je débouchai sur une sorte de clairière. Là, je me figeai, enchantée par la vue insolite qui s'offrait à
moi. Une sorte d'étang aux eaux verdâtres s'insinuait entre les herbes hautes. Je vis en son milieu, une bande
de terre émergée, un monticule de quelques mètres carrés couverts de ronce. Un petit pont de bois permettait
d'y accéder. Une île, pensais-je, une île! C'était inespéré. J'enjambai le pont avec précaution. Les planches
craquèrent un peu. Le chat gris, intrigué par mes déambulations, me rejoignit d'un bond. J'atteignis l'île.
J'étendis mon caban vert sur les ronces et m'installai dessus. Transportée de bonheur. [39-40]
369 Questions pédagogiques, encyclopédies historiques.
370 Foucault (M.), Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris : Gallimard, 1975, p. 153.
371 Leclaire-Halté (A.), op.cit., p. 50.
372 Racault (J.-M.), L’utopie narrative en France et en Angleterre, 1675-1761, Lille 3: ARNT, 1992, pp. 220-221. 373 Telle est la troisième séquence du scénario de la Robinsonnade.
374 Bakhtine (M.), « Formes du temps et du chronotope », Esthétique et théorie du roman, Paris : Gallimard, « Tel », 1978, p. 389.
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S’ensuit une longue phase d’appropriation de l’île, tant géographique que spirituelle ou
encore technique
376. « Robinsone » adopte alors l’étang-île sur lequel elle s’installe : « C’était bien
mon île. Je n’en doutais plus. Qui d’autre que moi pouvait connaître ce drôle d’endroit ? […]
C’était donc mon île. Un cadeau du ciel, une découverte personnelle comme en faisaient les grands
voyageurs d’antan. » [44]. La jeune fille réinvente et l’espace et son quotidien, en jouant à « la
Robinsone ». Elle marque son territoire par la pièce de monnaie laissée sur le sol ainsi que par
l’attribution d’un nom à son île :
D'autre part, je devais pouvoir y demeurer, au moins quelques heures par jour, sans mourir de faim.
Il me fallait donc trouver le moyen de me nourrir. Je devais me débrouiller seule. Je ne voulais mettre
personne dans la confidence. C'était trop risqué. Une île c’est personnel et ça se garde. C’était ma liberté, ce
petit coin de terre et je me jurai de ne laisser personne le profaner. Cette île, c’était ma récompense, mon
paradis anticipé. Je l’appelai « la Désirade ». Je jubilai de cette possession clandestine. [45].
L'île est perçue par « Robinsone » comme un don quasiment divin, comme l'attestent les
expressions « cadeau du ciel », « paradis anticipé ». La découverte de ce lieu idyllique est donc
empreinte de sacralité. D'ailleurs, son arrivée sur l'île participe de sa renaissance symbolique,
puisqu'elle renaît de l'ambiance mortifère de la pension.
Une fois installée sur l'île, elle aménage son territoire et organise ses conditions d'existence.
Elle imite le mode de vie des naufragés d’une île déserte et réactualise un imaginaire culturel. Elle
se munit de vivres, entretient son territoire pour « le rendre parfaitement vivable » [45] et enfin se
construit « un abri de fortune » [50] contre la pluie. De même, elle apprivoise ou domestique un
chat, « sa bête sauvage de l’île » [41], comme elle s’amuse à le dire. En somme, là encore, par la
maîtrise de la nature, elle se plie aux règles du jeu de la vie insulaire
377. À l’inverse du personnage
d’Alexis, Charlotte expérimente-t-elle concrètement la vie en solitaire et en autonomie sur l’île.
Sont ainsi valorisés son pragmatisme et son ingéniosité.
La retraite de Charlotte sur l’île marque, par ailleurs, la jonction du sauvage et du
domestique, ainsi que du campus et du saltus. De fait, l’étang abandonné qu'occupe la jeune fille se
trouve à l'intérieur de l’espace urbain. Il s'agit donc à la fois d'une ville ensauvagée et d'un saltus
« culturalisé »
378. Par conséquent cohabitent des espaces symboliques. De même, Charlotte porte en
elle une forme de sauvagerie, comme l'atteste le surnom « sauvageonne » [64]. Elle ne s'ensauvage
pas complètement, pour autant. Elle n'est une Robinsone que par intermittence puisqu'elle habite
376 Racault (J.-M.). op.cit., pp.220-221.
377 Marie-Christine Vinson, dans l'article « La civilisation des Robinson » (op.cit.) montre ainsi que le naufragé se soumet à un « processus individuel de civilisation », p. 103.