• Aucun résultat trouvé

Faut-il renforcer la situation des dénonciateurs?

B. Les risques à éviter

La réponse aux déséquilibres qui viennent d'être évoqués ne peut cependant résider dans des solutions radicales, comme un large octroi de la qualité de partie aux dénonciateurs ou l'instauration d'un droit à l'information absolu, sans induire quatre dangers principaux.

Le premier risque est celui des procédures abusives. Un octroi trop large de la qualité de partie aux dénonciateurs empêcherait l'administration de se pré-munir efficacement contre les plaintes manifestement mal fondées et les dénonciations obsessionnelles de personnes quérulentes. Une telle évolution exposerait également les personnes visées à des procédures malicieuses dont le système actuel les protège.

THIERRyTANQUEREL

Un deuxième risque consiste dans le fait que, vu le caractère peu onéreux et relativement peu formaliste des procédures administratives, celles-ci soient préférées par les plaignants aux procédures civiles et pénales, qui seraient pourtant, par hypothèse, mieux adaptées à la nature de leurs demandes. Dans ce contexte, les procédures disciplinaires se verraient détournées de leur but d'intérêt public pour devenir des procédures alternatives de règlement de litiges privés.

Des deux premiers dangers découle tout naturellement un troisième, à savoir un alourdissement considérable de la charge des autorités disciplinaires, qui pourrait conduire à de véritables dénis de justice. Paradoxalement, une surcharge insupportable des autorités disciplinaires pourrait aussi entraîner, en réaction, la suppression pure et simple du droit disciplinaire dont elles assurent l'application.

Enfin, comme STERcHll'a fort justement souligné82 et comme nous" l'avons relevé plus haut en relation avec l'information due au dénonciateurS3, la protection de données qui devraient rester confidentielles serait menacée.

Ce problème est particulièrement évident lorsque le dénonciateur n'est pas lui-même victime des agissements qu'il dénonce: peut-on imaginer qu'il ait accès aux dossiers d'un avocat ou d'un médecin qui ne le concement pas?

Mais la question se pose aussi lorsqu'une plainte est déposée par un particu-lier contre l'avocat d'une partie adverse ou lorsque divers clients, respecti-vement patients, d'un avocat, d'un notaire ou d'un professionnel de la santé dénoncent celui-ci84. Le dossier de la procédure disciplinaire comportera des éléments concernant tous les plaignants, mais il ne serait pas acceptable que chacun de ceux-ci puisse avoir accès aux renseignements qui concernent exclusivement les autres85

C. Les voies envisageables

Au vu des considérations qui précèdent, la formule consistant à étendre la qualité de partie au dénonciateur qui n'en remplirait pas les conditions selon

82 83 84

85

STERCHI (1992) ad an. 30 nO 33.

Supra IV, B.

Cette hypothèse a été évoquée par STERCHI (1992) ad art. 30 nO 3a en ce qui concerne les avocats.

Les art. 58 et 59 LPAvND déjà évoqués (supra fIl, B, 4) tentent de répondre à ce problème en limitant les droits des parties «dans la mesure où elles sont concernées}).

Mais l'application d'un tel principe nous semble excessivement difficile en pratique.

Les tiers dans les procédures disciplinaires

les règles générales de procédure n'apparaît guère opportune86 . Dès lors, trOis voies sont envisageables pour rééquilibrer la procédure disciplinaire tout en tenant compte des risques qui viennent d'être évoqués.

La première consiste dans le développement des procédures de plainte formalisée. Cette formule ne devrait cependant être envisagée que lorsqu'il existe un motif sérieux d'intégrer dans une procédure administrative la protection de droits individuels87. Le champ d'application de telles procédu-res devrait en outre procédu-rester clairement délimité par la loi. Enfin, malgré la complication procédurale qui peut en résulter, la phase de constatation de la violation de droits des administrés devrait être séparée de la procédure disci-plinaire proprement dite, à savoir celle qui aboutit au prononcé d'une sanc-tion88 . En permettant de disjoindre, dans la première phase, les plaintes émanant le cas échéant de plusieurs perSOlmes, cette formule est la mieux à même de combiner la reconnaissance de droits de partie au plaignant et le respect de la confidentialité due à d'autres personnes, également plaignantes ou non.

La seconde voie est celle de l'octroi de droits limités aux dénonciateurs. A cet égard, un souci de cohérence à l'intérieur d'un même ordre juridique et surtout une appréciation soigneuse des conséquences des droits conférés aux dénonciateurs, ce qui doit amener à les aménager de manière nuancée, s'imposent. Dans ce contexte, un traitement privilégié des dénonciateurs directement victimes des agissements en cause est certainement légitime.

Enfin, il serait sans doute utile de conférer aux autorités chargées des procé-dures disciplinaires la compétence de faire participer les dénonciateurs à des audiences ou à des actes d'administration des preuves, de les inviter à se prononcer sur des écritures ou des pièces, voire de leur permettre d'être assistés par un avocat lors de leur audition. L'exercice de cette compétence devrait être assorti d'une large liberté d'appréciation permettant à l'autorité de prendre en considération les circonstances de chaque procédure. De cette

86

87

88

C'est cependant la voie proposée par l'arl. 9 de l'avant-projet de loi genevoise sur la Commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients soumis à consultation par le Département cantonal de J'action sociale et de la santé au début 2004, en tout cas lorsque Je dénonciateur est le patÎent victime des agissemems dénoncés.

La réalisation de cette condition a notamment été contestée en ce qui concerne la plainte individuelle en matière de programmes de radio-télévision, cf. BARRELET (2000) p. 32 note 44; STUDER (2000) p. 116.

En ce sens STERCHI (1992) ad art. 30 nO 3a in fine.

THIERRYTANQUEREL

manière, il serait possible de tenir compte des nécessités de l'établissement des faits dans l'intérêt public, mais aussi de la situation particulière de certains dénonciateurs, sans que la personne visée par la procédure puisse y faire obstacle en invoquant la stricte observance des règles générales de procé-dure, pour autant bien sûr que l'autorité n'abuse pas de la liberté d'apprécia-tion dont elle serait ainsi investie.

VI. Conclusion

Vu la nature et les effets de la décision susceptible d'être prise l'issue d'une procédure disciplinaire, il n'yen principe guère de place pour les tiers, et plus particulièrement pour les dénonciateurs, dans une telle procédure si l'on s'en tient aux principes généraux régissant la qualité de partie. Il existe cependant des arguments pertinents en faveur d'un renforcement de la position du dénonciateur, en tout cas quand celui-ci est victime des agissements dénon-cés, et cela tant du point de vue du sentiment de la justice que du point de vue d'une bonne exécution du droit disciplinaire. Les solutions trop schématiques comme l'extension de la qualité de partie au dénonciateur ou l'instauration d'une obligation absolue de l'informer du résultat de la procédure présentent des dangers qui les rendent inopportunes. Il apparaît plus judicieux de passer par un développement contrôlé et mûrement réfléchi des procédures de plainte formalisée, de l'octroi par la loi de droits de procéduraux limités aux dénon-ciateurs ou encore de la faculté accordée à l'autorité disciplinaire d'inviter le dénonciateur à participer à certaines phases de la procédure.

Les tiers dans les procédures disciplinaires

Bibliographie

BARRELET DENIS (2000), «La surveillance des programmes de radio-télévision à l'avenir», Medialex 1/2000, p. 24 ss.

BARRELET DENIS (1998), Droit de la communication, Berne.

BELLWALD PETER (\ 985), Die disziplinarische Verantwortlichkeit der Beamten, Berne.

BOINAY GABRJEL (1998), «Le droit disciplinaire dans la fonction publique et dans les professions libérales particulièrement en Suisse romande», RJJ 1998, p. 1 ss.

BOINAY GABRIEL (1996), La contestation des émissions de la radio et de la télévision, Porrentruy.

BOVAY BENOIT (2000), Procédure administrative, Berne.

CORBOZ BERNARD (1988), «Le contrôle populaire des émissions de la radio et de la télévisioR», in: Mélanges ROBERT PATRY, Lausanne, p. 279 ss.

DUSACH WERNER (1951), «Das Disziplinarrecht der freien Berufe», Actes de la Société suisse des juristes 1951, p. 1 ss.

FAVRE DOMfNlQUE (1988), «Les principes pénaux en droit disciplinaire», in:

Mélanges ROBERT PATRY, Lausanne, p. 329 ss.

FAVRE DOMINIQUE (1982), «La jurisprudence disciplinaire du Tribunal adminis-tratif», SJ 1982, p. 257 SS.

HAFELIN ULRICH, MÜLLER GEORG (2002), Allgemeines Verwaltungsrecht, 4ème éd., Zurich.

HENGGELER OSKAR (1976), Das Disziplinarrecht der freiberuflichen Rechtsanwiilte und Medizinalpersonen, Zurich.

HINTERBERGER WALTER (1986), Disziplinarfehler und Disziplinarmassnahmen im Recht des 6ffentlichen Dienstes, Saint-Gall.

JAAG TOBIAS (200 1), «Sanktionen im Verwaltungsrechb>, in: Wirtschaft und Strafrecht - Festschrift for NIKLAUS SCHMID, Zurich, p. 559 ss.

MARTIN-AcHARD EDMONn (1951), «La discipline des professions libérales», Actes de la Société suisse des juristes 1951, p. 137a ss.

MERKLI THOMAS, AESCHLIMANN ARTHUR, HERZOG RUTH (1997), Kommentar zum Gesetz vom 23,Mai 1989 über die Verwaltungsrechtspflege des Kan/ons Bern, Berne.

THIERRyTANQUEREL

MONTANI VALÉRIE, BARDE CATHERINE (1996), «La jurisprudence du Tribunal administratif relative au droit disciplinaire», RDAF 1996, p. 345 ss.

MOOR PIERRE (2002), Droil administratif, vol. II «Les actes administratifs et leur contrôle», 2eme éd., Berne.

MooR PIERRE (1992), Droit administratif, vol. III «L'organisation des activités administratives», Berne.

ROTH ROBERT (1985), «Les sanctions administratives: un nouveau droit (pénal) sanctionnateum, in: Le rôle sanctionnateur du droit pénal, Fribourg.

STERCHI MARTIN (1992), Kommentar zum bernischen Fürsprecher-Gesetz, Berne.

STUDER PETER (2000), «Unabhaiingige Beschwerdeinstanz oder Abhiingige Politio§tanz fUr Radio und Femsehen ?», Medialex 2/2000, p. 116.

TANQUEREL THIERRY (2002), «Le secret de fonction», in: TANQUEREU BELLANGER (éd.), L'administration transparente, Genève, Bâle, Munich, p. 43 ss.

TANQUEREL THIERRY (2000), «L'évolution du statut de la fonction publique dans l'administration centrale», in: AUBERT/ BELLANGER! TANQUEREL (éd.), Fonction publique: vers une privatisation?, Zurich, p. 7 SS.

Les tiers dans la procédure administrative non