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Le risque de méconnaissance du principe d’application directe des conventions internationales

Section II : La voie d'une coopération entre le droit communautaire et le droit international

Section 1: Le risque de méconnaissance du principe d’application directe des conventions internationales

338. Le manque d'attention porté à certains principes de droit public peuvent avoir de

lourdes conséquences sur l'application des conventions internationales. Leur sort est lié à la précaution du juge de procéder à l’étude de leur applicabilité, le risque étant en effet de soumettre une situation à un régime juridique non compétent. Les juges doivent alors s’efforcer de maîtriser les concepts de droit public (A) faute de quoi ils privilégieront pour la résolution du litige une approche nationale, car ils sont plus familiers avec les solutions du droit national (B).

343 DMF 2013, supplément n° 17

A) Le recours aux concepts de droit international public

339. Le droit maritime traite principalement des relations de droit privé. Mais la

« conventionnalisation » de ses règles le rend dépendant des principes de droit international public, qui s’ils sont ignorés, entraînera la mise à l'écart d'une convention directement applicable (1), ou s’ils sont mal interprétés, conduira à une mauvaise interprétation du champ d’application de la convention, comme ce fut le cas avec l’interprétation de la formulation des réserves (2).

1. La mise à l'écart d'une convention directement applicable

340. Ce risque apparaît lorsque d'une part, le juge omet de vérifier le caractère impératif

d'une convention (a) et, d'autre part, il ne pallie pas le défaut de principes régulant la gestion des conflits de convention (b).

a) L’omission de la vérification du caractère impératif d’une convention

341. Le statut d’une convention internationale sur la scène internationale, qui doit

être distingué des effets qu'elle déploie dans chaque ordre juridique national, peut être un élément perturbateur dans l'application directe des conventions. Les traités internationaux

fixent leurs propres critères d'applicabilité qui peuvent varier d'une convention à une autre. Mais avant de procéder à cette recherche, il est indispensable pour le juge de vérifier que la convention soit bien effective dans son propre ordre juridique national. L'entrée en vigueur d'une convention sur la scène internationale ne signifie pas qu'elle soit elle même intégrée en droit national.

342. Omettant cette étape préalable de la vérification du statut de la convention en

droit interne, il est arrivé aux magistrats d’appliquer une convention internationale non ratifiée par la France. C’est ce qui s’est passé dans un litige mettant en cause la convention

d’Athènes dans un transport de passagers entre la France et la Grande Bretagne. La Convention d'Athènes sur le transport de passagers de 1974 est un traité qui avait été ratifié par la Grande

Bretagne à l’inverse de la France.344 Dans une affaire dont les faits remontent à une époque

antérieure à l'adoption de la réglementation européenne en matière de transport de passagers, un passager s'est blessé à bord d'un ferry et a décidé d'engager une action contre le transporteur maritime six ans après les faits. La prescription de l'action a été soulevée et c'est sur la base de la Convention de 1974 que les juges se sont fondés pour déclarer l'action prescrite. En effet, dans un

344 CACHARD Olivier, Clause de juridiction et action pour le dommage corporel, commentaires de l’arrêt No 08-00291

arrêt du 19 mai 1999, la Cour d’appel de Paris déclare la convention applicable, même si la France n'y était pas partie, aux motifs que la Grande Bretagne, pays de destination, avait ratifié cette convention le 31 janvier 1980 et que celle-ci est entrée en vigueur le 28 avril 1987. La cour a jugé que « selon l’article 2 de la Convention, celle-ci s’applique à tout transport international lorsque

selon le contrat de transport le lieu de départ ou de destination se trouve dans un état partie ».345

Cette référence expresse aux dispositions de la Convention d’Athènes de 1974 pour régler

le litige n'a pourtant pas été précédée d'une recherche de la loi applicable. 346 Il a suffi pour le juge

français que cette dernière soit entrée en vigueur sur « la scène internationale » pour qu’il soit lié par son article 2 qui prévoit que ce texte doit s’appliquer à tout transport international lorsque le lieu de départ ou de destination se trouve dans un État partie. La réaction de la doctrine n’a pas été immédiate puisqu'elle ne s'est pas de suite émue de l’application directe d’une convention non

ratifiée par la France.347

343. Il faut attendre le rappel de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 28 mars 2000,

clarifie le statut des conventions non ratifiées dans l'ordre juridique interne. La Cour juge effectivement utile de préciser dans une espèce impliquant les Règles de Hambourg que « la France

n’étant pas partie à la convention de Hambourg, (...) celle-ci n’est pas applicable par les juges français en tant que convention internationale ». 348 Ce principe était pourtant déjà acquis par certaines juridictions. La Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel de Rennes qui avait rejeté les prétentions d’une partie tentant de prendre en compte les efforts de l’assistant dans la prévention d'une pollution éventuelle pour évaluer la rémunération d’assistance. Mais, la faculté d'obtenir une rémunération en lien avec la prévention des pollutions n'est admise que depuis la Convention de Londres du 28 avril 1989. Or, ce texte, au jour de l'arrêt, n’était pas en vigueur en

droit français et ne pouvait donc pas être invoquée. 349

344. Ces divergences jurisprudentielles révèlent un certain aléa dans l'appréciation des

conventions internationales par les juridictions françaises ce qui n’est pas sans fragiliser l’effectivité de leurs dispositions.

345 Cour d'appel de Paris, (17ème Ch. sec. A), 19 mai 1999, DMF 2001, supplément n° 5 346Ibidem

347 ROHART Jean-Serge, Droit applicable et prescription de l’action en réparation d’un préjudice corporel subi par un

passager, DMF 2000, n° 600

348 Cour de cassation (Ch. Com.), 28 mars 2000, navire Teesta, n° 98-11.600

345. Le statut d'une convention internationale doit faire l'objet d'une attention particulière. L'entrée en vigueur d'un texte au plan international n'est pas un indicateur fiable pour

le juge, qui se doit de se référer à son ordre national pour en déterminer les effets.

Si dans l’ordre juridique national, une convention n’a pas été ratifiée, elle ne peut s’appliquer qu’en tant que loi applicable. Il est vain de rechercher dans ses dispositions les critères de son applicabilité en droit interne. En revanche, une fois sa ratification accomplie par le pouvoir exécutif, c'est à dire que les formalités de droit interne ont été respectées pour donner effet à ce texte, elle constitue le droit positif pour les tribunaux. Cette condition ne sera bien sûr, elle-même, remplie que si le nombre de ratifications nécessaires à son entrée en vigueur a été atteint.

346. L'application directe d'une convention peut également être écartée par le

recours automatique aux règles de conflit de droit interne. En présence d'un élément

d'extranéité, le droit interne offre parfois ses propres solutions de résolution de conflits de lois. Toutefois, cette étude ne peut être déclenchée qu’une fois effectué le constat de l’inexistence ou de l’inapplicabilité d’un instrument international. Ce n’est pourtant pas ce qui s'est passé avec l’affaire du navire Sedov, navire russe qui faisait l'objet d'une saisie à Brest. Le Tribunal de grande instance de Brest dans un jugement du 27 juillet 2000 devait se prononcer sur la loi compétente pour déterminer le caractère saisissable du navire. Suivant les principes de droit international privé, les juges tranchent le litige sur le fondement de la loi du statut réel du bien saisi, la loi du pavillon, qui exclut toute mesure d'exécution pour des biens affectés à une personne morale.

347. La doctrine n'a pas manqué de rappeler le caractère surprenant de cette décision qui

n'a à aucun moment fait référence à la Convention de 1952 applicable aux saisies de navire et qui compte, pourtant, la Russie parmi les États parties. La portée de ce jugement est néanmoins limitée car, en l'espèce, l'issue aurait été la même en cas d'application de la convention internationale puisque que le Sedov n'était pas le navire auquel la créance se rapportait. Dès lors, sa saisie aurait

été impossible conformément aux dispositions conventionnelles. 350

b) L'absence de principes régulant les conflits de conventions

348. Le défaut d'applicabilité directe de la convention compétente peut également

s'expliquer par l'absence de règles de résolution de conflits de conventions.

Compte tenu de l'adoption successive de textes internationaux portant sur le même domaine, le juge a pu avoir à juger des conflits dans l'application de conventions ratifiées. En effet, à la suite

de l'adoption d'une convention modifiée par voie d'amendement (généralement en vue de moderniser le régime juridique applicable), la convention originelle n'est pas automatiquement dénoncée. Le maintien de la convention originelle dans le système de droit interne se justifie par la nécessité de conserver un cadre juridique existant avec les États parties n'ayant pas ratifié le nouveau texte. Mais la coexistence de ces deux textes peut également créer des situations dans lesquelles chacun d'eux aurait vocation à s'appliquer. Par exemple, en matière de transport de marchandises, la Convention de Bruxelles de 1924 illustre ce problème de concurrence de textes régissant des domaines similaires, la convention originelle étant elle-même toujours en vigueur au même titre que ses versions amendées.

349. A la suite de l'adoption du protocole de 1968, le régime applicable au transport

maritime a évolué, notamment concernant l'augmentation des plafonds de limitation de responsabilité. La convention amendée est entrée en vigueur en France le 23 juin 1977 sans pour autant que la convention de 1924 originelle n'ait été dénoncée. La question de la désignation de la convention applicable a pu se poser lorsque le pays du chargement et d'émission du connaissement était un État partie à la convention de 1924 amendée tandis que le pays de destination était seulement partie contractante de la version originelle.

350. C'est dans une affaire de transport de grue d'Angleterre vers l'Angola, la marchandise

ayant été endommagée lors des opérations de chargement au port d'Anvers, que la Cour de

cassation a eu l'occasion d'exprimer sa position.351 En l'espèce, le connaissement avait été émis en

Belgique, partie contractante à la convention modifiée, qui n'avait pas dénoncé la convention originelle, à laquelle l'Angola, pays de destination, avait seulement adhéré. Le commissionnaire, dont la responsabilité était en jeu, y avait vu l'opportunité d'invoquer les montants de limitation de la convention originelle, plus avantageux pour lui (donc plus bas). A l'inverse, les ayant droits à la marchandise, prétendaient, bien évidemment, devoir bénéficier des plafonds de limitation augmentés tels que prévus par la convention amendée.

Il était en effet logique de se fonder sur la convention amendée qui avait entière vocation à s'appliquer. Aucun des deux textes ne commande de s’interroger sur la situation du pays de destination pour déterminer le droit applicable. Toutefois, le commissionnaire nourrit une réflexion intéressante qui consiste à observer que la Belgique n'a pas dénoncé la Convention de 1924 originelle et qu'elle devrait, à ce titre, être prise en compte dans la résolution du litige. Une des justifications avancées tenait dans la théorie de la convention commune que contenait la Convention

de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. Selon l'article 30 de cette convention traitant de l'application de traités successifs portant sur la même matière, il est prévu au paragraphe b) que « dans les relations entre un État partie aux deux traités et un État partie à l’un de ces traités

seulement, le traité auquel les deux États sont parties régit leurs droits et obligations réciproques. »

La Cour de cassation ne reçoit pas cet argument et rejette le pourvoi en optant pour une application stricte de la Convention de 1924 amendée en considérant que « l’article 10 de la

Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, modifiée par les protocoles du 23 février 1968 et du 21 décembre 1979, s’applique à tout connaissement relatif à un transport de marchandises entre ports relevant de deux États différents, quand le connaissement est émis dans un État contractant ou quand le transport a lieu

au départ d’un port d’un État contractant ». C'est donc une application stricte que la Cour retient,

sans considération du texte applicable dans le pays de destination. Cette clarification était bienvenue compte tenu des positions divergentes des juridictions du fond sur le sujet, certaines se ralliant à la

théorie de la convention commune.352 La doctrine avait également fait valoir la légitimité de la

jurisprudence visant à favoriser la convention telle qu'en vigueur dans le pays d'expédition de la

marchandise.353 Il s'agissait de respecter le droit des pays n'ayant pas choisi de ratifier le protocole

de 1968.

351. La conclusion est claire : le droit coutumier international ne peut pas priver

d'effets une convention d'application impérative. Encore faut-il préciser que la coutume

internationale, ici incarnée par la convention de Vienne, n'aurait pu avoir de toute manière qu'une portée limitée compte tenu de la place qu'elle occupe en droit interne. En effet, celle-ci n'a pas été ratifiée par la France et à ce titre, elle aurait pu difficilement faire échec, en termes de hiérarchie des normes, à l'application d'une convention internationale. De plus, il peut être soulevé que ce traité limite son effet aux relations entre États, et ne peut dès lors trouver application dans un contentieux de transport maritime.

352. Toutefois, si institutionnellement des doutes peuvent s’élever quant à son autorité,

d’aucun ne pourra remettre en cause la valeur indéniable des règles contenues dans la convention de

352 BLOCH Cyril, Conflit d’application entre la version originelle et la version amendée de la Convention de Bruxelles

du 25 août 1924. Conflit d’antériorité entre un appel en garantie et un déclinatoire de compétence, sur un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 16 octobre 2012, DMF 2013, n° 744.

Vienne qui sera un guide précieux pour le juge dans la résolution de conflit entre deux conventions ratifiées par un même État.

Il existe toujours un risque de voir une convention ratifiée évincée devant les tribunaux même si la Cour de cassation, quand elle aura l’occasion d’intervenir, rétablira les principes de droit applicable, comme ce fut le cas avec l'interprétation de la formulation des réserves d'un État.

2. Les hésitations relatives à l’interprétation des réserves

353. L'application de certaines dispositions des traités peut être écartée par la volonté des

États parties en recourant à la pratique des réserves qui modifie le contenu d'un traité (a) et leur interprétation sera primordiale dans la détermination de l'application directe ou non d'un texte (b).

a) Les réserves, pratique faisant varier le contenu d'un traité

354. Les conventions internationales peuvent parfois prévoir une certaine flexibilité

dans l’application de leurs dispositions. Les États ont parfois la faculté de se libérer de certains

engagements internationaux en choisissant de ne pas être liés par une partie du contenu de la convention. Certes, l’unification du droit souhaitée en pâtit mais ce mécanisme est prévu pour permettre un champ d’application plus large des conventions et promeut l’universalisme des textes internationaux. Le texte de la convention peut donc s'entendre comme une base obligatoire, commune à l'ensemble des États parties, avec à ses côtés un dispositif facultatif, qui sera lui soumis à la volonté de chacun des États. Le consentement requis des Etats peut répondre de différents mécanismes. Les engagements internationaux peuvent être, soit volontairement étendus, soit expressément limités.

355. Dans la future Convention CNUDCI sur les contrats internationaux de transport de

marchandises effectués entièrement ou partiellement par mer, l’article 75 prévoit que « les parties

peuvent convenir que tout litige susceptible de naître à propos du transport de marchandises en

vertu de la présente Convention sera soumis à l’arbitrage ». Ils doivent pour cela manifester leur

volonté d’adhérer aux principes prévus par la convention. Ce chapitre n’est donc pas applicable de plein droit et si cette convention entre en vigueur en France, le juge devra vérifier que le

gouvernement a bien, au moment de la ratification, effectué une déclaration en ce sens.354

354 DELEBECQUE Philippe, La Convention sur les contrats internationaux de transport de marchandises effectué

356. Un mécanisme différent existe pour se soustraire aux obligations de la convention. Il s'agit de la pratique des réserves, aujourd'hui largement acceptée en droit

international public. Avec cette procédure, les États se réservent la possibilité de ne pas appliquer certaines dispositions d’un traité international. Il ne s’agit pas d’une faculté offerte par toutes les conventions mais d’une option prévue par certaines et dont les conditions sont strictement posées par le texte lui-même. Le procédé d’émission de réserves dans les phases successives de la conclusion d’un traité est fréquent et encourage l’universalisme des traités en favorisant l'adhésion

du plus grand nombre d’États. 355 Toutefois, la contrepartie d’une large participation des États est

l'altération du contenu du fait de l'admission de certaines dérogations.

C'est au moment de la procédure de ratification ou d'approbation d’une convention que le

pouvoir exécutif peut formuler des réserves.356 La réserve a été définie comme « la déclaration

formelle par laquelle un État, lors de la signature d'un traité, de sa ratification ou de son adhésion, stipule, comme condition de son consentement à devenir partie au traité, certaines conditions qui limitent l'effet du traité dans la mesure où ce traité s'applique aux relations entre cet État et l'autre État ou les autres États qui peuvent être parties au traité ». 357

357. La faculté d’émettre une réserve s’inscrit dans une procédure très encadrée,

indépendante de toute volonté unilatérale ou de simple déclaration d’un État. 358 Dès la

conclusion d'un texte international, les États parties doivent alors être en mesure d’évaluer l’étendue de leurs engagements quant au champ d'application du texte accepté par eux, et ce consentement ne peut être remis en cause ultérieurement.

L’interprétation des réserves a donné lieu à un débat au sein des juridictions françaises avant de retrouver la voie du droit international classique. Leur interprétation a en effet pu conduire à certaines incompréhensions et confusions dans le domaine d’application d’une convention de droit maritime.

355 DUPUY Pierre-Marie, KERBRAT Yann, Droit international public, Précis Dalloz, 12ème édition, 2014, p. 310 356Article 19 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités : « Un Etat, au moment de signer, de ratifier,

d’accepter, d’approuver un traité ou d’y adhérer, peut formuler une réserve, à moins : a)que la réserve ne soit interdite par le traité; b) que le traité ne dispose que seules des réserves déterminées, parmi lesquelles ne figure pas la réserve en question, peuvent être faites; ou c) que, dans les cas autres que ceux visés aux alinéas a) et b), la réserve ne soit incompatible avec l’objet et le but du traité. »

357 DEHAUSSY Jacques, Fascicule 11 : SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL, LES TRAITES (Conclusion et

conditions de validité formelle), JurisClasseur Droit international, Cote : 11,1958

b) L'interprétation des réserves en matière maritime

358. Conformément à la coutume internationale, certaines conventions internationales de

droit maritime ont permis aux États de volontairement limiter leurs effets. Cette hypothèse est notamment prévue dans la convention de 1976 sur la limitation de responsabilité. Cette convention prévoit à son article 18.1 que « tout Etat peut, lors de la signature, de la ratification, de

l’acceptation, de l’approbation ou de l’adhésion, réserver le droit d’exclure l’application des