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En France, selon les dispositions constitutionnelles, la ratification d'un traité, suivie de sa publication, est la condition de base de la primauté du traité sur les normes de

Chapitre 1 : La présomption d’applicabilité directe des conventions internationales de droit maritime

99. En France, selon les dispositions constitutionnelles, la ratification d'un traité, suivie de sa publication, est la condition de base de la primauté du traité sur les normes de

droit national. Elle est l’expression de la volonté d’un État de s’engager formellement dans le

117 DUPUY Pierre-Marie, KERBRAT Yann, Droit international public, Précis Dalloz, 12ème édition, 2014, p. 452 118 Ibidem

respect d'obligations réciproques à l'égard des autres États parties au traité. Cette ratification est une étape nécessaire qui ne découle pas de la signature du texte par l’Etat. La phase préalable de négociation des traités permet aux gouvernements d'échanger sur l'orientation que le traité doit emprunter. Toutefois, cela n'implique nullement un quelconque engagement dans la ratification du texte, initiative indispensable à toute entrée en vigueur.

100. Il est d'ailleurs intéressant de voir la place réservée à la procédure de ratification dans l'autorité conférée aux conventions internationales de droit maritime. Les

textes de droit maritime font l'objet de nombreux amendements successifs afin de répondre aux attentes de la communauté internationale de modernisation des règles existantes, particulièrement dans les domaines techniques.

C’est en effet le cas par exemple de la Convention SOLAS. Celle-ci prévoit le mécanisme d'acceptation tacite, qui implique qu'un amendement entre en vigueur à une date donnée sauf à ce qu'un certain nombre d’États ne s'y opposent. La question est de savoir si ces amendements sont applicables en l’absence de toute publication au Journal officiel.La doctrine a considéré que, tenant compte de l’article 55 de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil d’État, ces amendements doivent faire l’objet d’une ratification et publication au JORF mais que leurs effets remontent à la date fixée pour leur entrée en vigueur. L'OMI a mis en place le mécanisme d'acceptation tacite afin de faciliter le processus d'amélioration et d'évolution des traités sans que les États ne soient enfermés dans des contraintes administratives qui peuvent ralentir l'adoption de tels amendements. Toutefois, cette procédure « passive » vient en contradiction avec l'intégration en droit français des textes internationaux, qui requiert une action, à savoir la publication au Journal Officiel.

La jurisprudence reste ferme à l'égard de la condition de la publication au Journal Officiel mais, eu égard au contenu des traités concernés, mettant en place des règles essentiellement techniques ou mineures, les conséquences dans l'effectivité des traités d’une telle situation seront limitées.119

L’article 55 de la Constitution pose les conditions de la pénétration de la norme internationale dans l’ordre juridique interne mais il reste à déterminer quels sont les critères

dégagés par la jurisprudence pour que cette norme puisse être dotée de l'effet direct et donc reconnue comme invocable devant les tribunaux nationaux.

2. Les conditions de l’effet direct d’une convention internationale en droit interne

101. Il incombe aux juges la mission de rechercher si une norme est auto- exécutoire120 en analysant si celle-ci confère un droit subjectif à celui qui l’invoque dans un contexte judiciaire. En cas de réponse positive, il écartera la disposition interne contraire et

appliquera donc par substitution la norme internationale au litige. Cette pratique est en conformité avec la coutume internationale codifiée à l'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 selon laquelle : « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son

droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. »

102. La qualité d’une norme à être dotée de l’effet direct implique la réunion de deux conditions, une objective et une subjective.121 Tout d’abord, pour ce qui est du critère

subjectif, il faut se référer à l'intention des parties pour apprécier si la convention créé directement des droits pour les particuliers. Ensuite, le critère objectif guide le juge à examiner la rédaction de la norme pour analyser la précision et la clarté de la disposition créatrice de norme. Le contenu de la norme doit être suffisamment précis et ne doit pas comporter la nécessité de recourir à des mesures d’applications internes ou internationales.

103. Le critère rédactionnel appelle tout de même la plus grande prudence.122 Il

tend à rechercher l'intention des rédacteurs dans les formules employées en préambule des textes internationaux. En fonction des traités, les États expriment leurs engagements de reconnaître, respecter, garantir un droit, ou bien de reconnaître ou d’assurer un droit. Cette nuance dans la rédaction ne pourrait clairement justifier que le traité dans lequel l’État « s'engage » seulement

120 MAZIAU Nicolas, La réception du droit international (public) par la Cour de cassation, Journal du droit

international (Clunet) n° 3, Juillet 2013, doctr. 8

121

DUPUY Pierre-Marie, KERBRAT Yann, Droit international public, Précis Dalloz, 12ème édition, 2014, p. 448

122

ABRAHAM Rony, Les effets juridiques, en droit interne, de la Convention de New York, relative aux droits de l'enfant, Conclusions sur Conseil d'Etat, Section, 23 avril 1997, Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), RFDA 1997, p. 585

puisse être dépourvu de tout effet direct. Les formulations des traités sont diverses et la concrétisation de leurs engagements peut se traduire de différentes manières.

Par ailleurs, il serait trop hâtif de mettre à la charge du législateur international une quelconque intention de faire doter un texte de l'effet direct sachant que le droit international est indifférent au statut du traité en droit interne.

De plus, les dispositions conventionnelles ne sont pas systématiquement analysées par les juridictions pour déterminer l'effet direct d'une norme. Certains textes sont reconnus être directement applicables sans pour autant qu'une étude minutieuse de la rédaction de leurs dispositions ne soit opérée. C'est en effet le cas avec la Convention européenne des droits de l’homme ou du Pacte sur les droits civils et politiques. En revanche, dans une décision du 25 janvier 2005, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté un pourvoi au motif que les dispositions de l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ne produisant pas d'effet direct dans l'ordre juridique interne, ce texte ne peut être utilement invoqué devant les tribunaux.123

Pourtant, l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels prévoit que « les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne

à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille ».

104. Le critère rédactionnel n'est donc pas suffisamment fiable pour déterminer si une norme internationale est dépourvue ou non de l'effet direct. Toutefois, il sera utile pour apprécier du degré de précision de la norme que le particulier pourra invoquer devant le juge à l'appui de sa prétention. Il ne révèle pas de manière définitive la position que les tribunaux pourront adopter mais la précision de ses termes dans la création des droits à l'égard des particuliers sera un indice précieux. Dans un arrêt du 16 décembre 2008, la chambre sociale de la Cour de cassation déclare que l'article 6-1 de ce même Pacte, qui reconnaît le droit à toute personne de gagner sa vie par un travail librement choisi et accepté, est directement applicable en droit interne.124 Il n'existe pas de méthode irréfutable sur la reconnaissance de l'effet direct des traités dès lors que la jurisprudence ne s'est elle-même pas prononcée.

123Cour de cassation (Ch.com., 25 janvier 2005, n° 03-10.068

105. Malgré l’évolution des jurisprudences, il ne ressort pas de position unanime des tribunaux quant à la reconnaissance du caractère d’effet direct des conventions internationales. Frappant la totalité de ses dispositions ou seulement une partie de son texte, il n’existe pas d’automatisme dans la reconnaissance des effets juridiques accordés à un traité. Les critères dégagés par la jurisprudence mettent l’accent sur l’objet et le contenu des dispositions qui sont déterminant dans la recherche de l’applicabilité directe d’une convention internationale.

La jurisprudence n'a pas systématisé les critères de l'effet direct et semble utiliser le concept d'applicabilité directe de manière discrétionnaire en s'appuyant sur les conditions objective et subjective pour justifier sa position. Ces hésitations imposent de s'interroger au cas par cas si les dispositions d'un traité sont dotées de l'effet direct.

106. La doctrine propose de son côté une approche plus pragmatique en optant pour une présomption d'applicabilité directe des traités compte tenu de leur objet.125 Sur la

base de ces critères, la doctrine identifie trois catégories de dispositions qui sont dépourvues d’effet direct : les engagements si vagues et si généraux qu’ils perdent tout caractère normatif, les traités qui ne créent d’obligations à l’encontre des États, les traités nécessitant des mesures nationales d’exécution.126 Pour cette dernière catégorie, le commissaire du gouvernement Ronny Abraham proposait de dissocier l'effet direct de l'invocabilité. Il argumente que le traité international dépourvu d'effet direct fait partie du droit national et pourrait à ce titre être invoqué dans l'étude de la conformité d'une norme de droit interne. En effet, si une norme de droit interne venait à méconnaître les termes d'un traité international dépourvu d'effet direct, le non respect de la norme internationale ne serait pas sanctionné. C'est la leçon qu'en a tirée le juge de l'Union européenne qui a accepté qu'une norme dépourvue d'effet direct puisse produire des effets par le biais d'une invocabilité d'interprétation ou d'exclusion.

107. La compréhension du mécanisme de l’applicabilité directe est essentielle pour apprécier la portée d’un texte international au sein du droit national. La multiplication des

125 CHABERT Cyril, Acceptation judiciaire de l’applicabilité directe de la Convention de New York, La semaine

juridique Edition générale n° 36, 7 Septembre 2005, II 10115

126ABRAHAM Rony, Les effets juridiques, en droit interne, de la Convention de New York, relative aux droits de

l'enfant, Conclusions sur Conseil d'Etat, Section, 23 avril 1997, Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), RFDA 1997, p. 585

conventions internationales en vigueur dans l’ordre juridique français impose de prendre toute la mesure de l'autorité des normes dans le droit interne.

108. Les conventions internationales de droit maritime occupent une place particulière dans la sphère juridique. Elles sont souvent ignorées du débat et pour cause, leur objet ne laisse guère de place à l'hésitation. Régissant des relations de droit privé, elles sont le fondement de litiges mêlant des intérêts commerciaux et privés. Elles ne diffèrent pas, dans leur structure, des autres conventions étudiées précédemment mais ont su s'imposer au même titre que les lois nationales maritimes qu'elles côtoient.

Pour reprendre l'approche pragmatique de la doctrine, les conventions internationales de droit maritime font partie de cette catégorie de conventions qui doivent être reconnues d'effet direct compte tenu de la limpidité de leur objet et de leur contenu. Elles bénéficient d'une présomption d'applicabilité directe, ce qui les distingue de l'approche originelle des juridictions à l'égard des traités de droit international. Les conventions internationales de droit maritime sont l'illustration parfaire de l'évolution du recours au droit international ces dernières décennies. D'origine réservées exclusivement aux relations entre États, les conventions internationales sont désormais largement utilisées pour régir les relations entre particuliers.

Si les juridictions ont plutôt tendance à partir du principe de l’absence d’effet direct des conventions internationale, ce n’est pas le principe retenu en matière maritime. L’objet des conventions internationales portant essentiellement sur des relations de droit privé, l’invocabilité directe de leurs dispositions sera implicitement admise.

Section II : L’admission implicite de l'invocabilité des conventions internationales de droit