Section II : La voie d'une coopération entre le droit communautaire et le droit international
B) La complémentarité des systèmes favorisée dans le domaine de l'environnement
318. La notion de déchet qui est l’objet même du domaine du droit de
l’environnement va se trouver à la croisée du droit maritime et du droit terrestre. L’article 1er
de la directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative aux déchets définissait la notion de déchet comme « toute substance ou tout objet qui relève des
catégories figurant à l’annexe I, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention de se défaire».329
Cette notion de déchet définie au niveau européen va nourrir un débat lors de l’affaire Erika sur l’articulation des normes relatives à la responsabilité des pollutions maritime avec celles relatives à la responsabilité environnementale.
319. A la suite de la pollution causée par le navire Erika, la Commune de Mesquer a
entendu faire prendre en charge l’élimination des rejets par les sociétés Total France SA et Total International Ltd. La Commune de Mesquer avait fondé sa demande de remboursement des frais engagés pour les opérations de nettoyage et de dépollution de son territoire sur les dispositions de la
loi du 15 juillet 1975. N’ayant pas obtenu gain de cause en appel330, elle se pourvoit en cassation.
Le 28 mars 2007, la Cour de cassation sursoit à statuer sur le pourvoi afin de demander l’analyse de la Cour de Justice ces communautés européennes sur son interprétation du déchet tel que cité dans
l’article 1er de la directive 75/442 CEE du 15 juillet 1975, modifiée par la directive 91/156 CEE du
18 mars 1991 et codifiée par la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006.
320. Il s’agissait alors de savoir si le fioul lourd transporté par le navire Erika et déversé à
la suite d’un accident pouvait être considéré comme un déchet au sens de l’annexe I de la directive
329La directive 2006/12/CE a été modifiée par la directive n° 2011/92/UE du Parlement Européen et du Conseil du 13
décembre 2011 (JOUE n° L 26 du 28 janvier 2012) mais sert toujours de référence dans la nouvelle directive pour la définition du déchet.
330 La Cour d’appel de Rennes dans son arrêt du 13 février 2002 ne considère pas que le fioul déversé à la suite de
2006/12/CE du 5 avril 2006.331 Le but étant de faire supporter les frais d’élimination des déchets, au titre du principe pollueur-payeur inscrit à l’article 15 de cette même directive, à Total raffinage distribution en tant que producteur des déchets et/ou de vendeur et Total International Ltd, affréteur. Ce coût n’était en effet pas pris en charge par le FIPOL.
La difficulté soulevée par cette affaire résidait dans le fait que le fioul n’est devenu un déchet qu’à la suite de l’accident, et qu’il était transporté par un tiers. Procéder à l’opération de
qualification de déchet n’était pas évidente.332
321. La décision rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne en date du 24
juin 2008 met en application, pour un litige d’origine maritime, une réglementation issue du
droit terrestre.333 La Cour de Justice des Communautés européennes retient une définition
multiforme du déchet. 334 Pour la Cour de Justice, le fioul n’est pas en lui-même un déchet mais
peut le devenir et rappelle qu’il revient au juge national d’apprécier la qualité de producteur de
déchets ou affréteur du navire selon les critères de la réglementation communautaire.335
322. La Cour en profite également pour livrer son interprétation sur l’articulation de
la directive avec la limitation de responsabilité du transporteur en droit maritime. A première
vue, un risque de contradiction des normes communautaire et international aurait pu apparaître. D’un côté, le principe du pollueur payeur impose le financement intégral de l’élimination des déchets tandis que d’un autre côté le droit maritime fait bénéficier au transporteur une limitation de responsabilité. Le Professeur Olivier CACHARD résume bien cette problématique en se demandant si « en pratique, un demandeur peut-il obtenir du droit communautaire et de ses textes nationaux de
transposition, ce que le droit maritime lui interdit de demander ? »
La Cour de justice considère que la directive ne fait pas obstacle au bénéfice des limitations de responsabilité prévues par les engagements internationaux. Elle ne prive pas d’effet l’indemnisation accordé par un fonds tel que le FIPOL « en lieu et place des «détenteurs» au sens
de l’article 1er, sous c), de la directive 75/442 [des] coûts liés à l’élimination des déchets résultant
d’hydrocarbures accidentellement déversés en mer ».336
331 LE BIHAN GUÉNOLÉ Martine, Une cargaison d’hydrocarbure accidentellement déversée au cours de son transport
maritime peut-elle être qualifiée de déchet ?, DMF 2007, n° 684
332 CORBIER Isabelle, Affaire Erika : la Cour de cassation suit le juge européen, DMF 2009, n° 700 333 DMF 2009, supplément n° 13
334 CORBIER Isabelle, Affaire Erika : la Cour de cassation suit le juge européen, DMF 2009, n° 700 335Point 78 de l'arrêt
336 CJCE, 24 juin 2008, affaire C-188/07, Commune de Mesquer contre Total France SA et Total International Ltd, point
En l’espèce il n’était pas question de transporteur, affréteur ou propriétaire de navire mais de producteur et vendeur de la cargaison. Ces dernières catégories ne bénéficient d’aucune limitation de responsabilité et, par conséquent, une victime de pollution pourra mettre en jeu leur responsabilité sur la base de l'article 1382 Code civil.
323. La Cour tente de concilier l’application d’une norme communautaire et d’une
convention internationale en l’absence de toute hiérarchie des normes existant dans l’ordre juridique
international.337 Cette approche démontre la volonté de la Cour de justice de coordonner le droit
européen avec le droit international.
Toutefois, le silence de la Cour sur l’application de ces limites à l’affréteur met une fois de plus en lumière la position inconfortable des juridictions à prendre position dans un conflit entre une norme communautaire et une norme internationale.
324. Pour aborder ce conflit de normes, la doctrine propose d’interpréter de manière
extensive les observations de la Cour. Cette approche conduirait à faire bénéficier l’opérateur de
l’immunité prévue à l’article III de la Convention de 1969/1992 en tant qu’affréteur du navire. Mais cette hypothèse est rejetée en considérant que cet affréteur qui aurait commis une faute en tant qu’opérateur/vendeur de la cargaison devrait prendre en charge dans leur totalité les coûts d’élimination des déchets. Les deux statuts affréteur et vendeur de la cargaison seraient donc traités de manière indépendante sans aucune confusion des règles applicables. Les deux réglementations ne se superposent pas mais sont autonomes l’une de l’autre.
Les réglementations propres au vendeur / producteur survivent quelle que soit la réglementation applicable à cette même personne qui aurait agi en même temps comme affréteur. Le responsable ne peut pas se voir attribuer un statut particulier de vendeur-affréteur car une partie de la législation communautaire deviendrait sans effet (article 15 de la directive de 1975 devenant
inopérant) et telle n’était pas l’intention des institutions de l’Union européenne. 338
Cette affaire fut l’occasion pour la Cour de cassation d’appliquer à une situation de droit maritime une réglementation relevant du droit de l’environnement ce qui, pour la doctrine, fait
courir le risque de voir disparaître les spécificités du droit maritime. 339
337 CACHARD Olivier, Un demandeur peut-il obtenir du droit communautaire ce que le droit maritime lui interdit de
demander ?, DMF 2008, n° 695
338 CORBIER Isabelle, Affaire Erika : la Cour de cassation suit le juge européen, DMF 2009, n° 700 339 CORBIER Isabelle, Affaire Erika : la Cour de cassation suit le juge européen, DMF 2009, n° 700
325. A la suite de la décision de la CJCE, la Cour de cassation a rendu un arrêt en
date du 17 décembre 2008.340 Elle casse l’arrêt du 13 février 2002 de la Cour d'appel de Rennes en
reprochant aux juges du fond de ne pas avoir tiré les conséquences de ses constatations alors que «
le vendeur des hydrocarbures et affréteur du navire les transportant (Total international ltd) peut être considéré comme détenteur antérieur des déchets s’il est établi qu’il a contribué au risque de la pollution occasionnée par le naufrage et que le producteur générateur des déchets (Total raffinage distribution) peut être tenu de supporter les coûts liés à l’élimination des déchets si, par
son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution ».
C’est donc à la lumière du droit de l’environnement que la Cour de cassation, en prenant le soin de viser l'article L 541-2 du Code de l’environnement se tourne pour trancher le litige.
326. C’est tout l’effet pervers de l’adoption de normes supranationales, toujours plus
nombreuses, dans des domaines très spécifiques sans qu’une réflexion ne soit menée au niveau global. Il est juridiquement difficile et politiquement inconcevable qu’une hiérarchie des normes ne
soit clairement établie. C’est la raison pour laquelle la conciliation des réglementations existantes est la voie choisie dans la résolution des litiges de conflits de droit applicable.
327. Les conventions internationales de droit maritime jouissent d’une autorité suffisante
pour nourrir l’ambition d’une unification du droit international. D’un point de vue théorique, les conventions internationales sont habilitées à produire leurs effets dans le droit interne français car la mise en œuvre de ses dispositions n’est pas freinée par des mesures d’application nationale.
328. Toutefois, bien qu’il soit acquis que la norme de droit international pénètre
directement dans l’ordre interne, la réception de ses dispositions par le juge est soumise à interprétation ce qui aura parfois pour conséquence d’en dénaturer, parfois, le contenu. Les rapports du droit international et du droit national sont complexes dans leur mise en œuvre, et même si la convention internationale est le meilleur outil juridique pour parvenir à une uniformisation des règles applicables, elle devra se confronter à l’interprétation des juges nationaux qui apprécieront ses dispositions selon leur propre tradition juridique.
340 Cour de cassation (Ch. civ. 3Ème), 17 décembre 2008, Commune de Mesquer c/ Société TOTAL France, Navire