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Le risque d'impacter les valeurs du patient du fait de la modification des habitudes de

PARAGRAPHE II. Changement d'habitudes, changement de valeurs?

A. Le risque d'impacter les valeurs du patient du fait de la modification des habitudes de

1. Le lien existant entre les habitudes de vie et les valeurs de l'individu

1.1. Définition des valeurs

Les valeurs d'une personne se définissent comme étant des "croyances de type prescriptif ou proscriptif servant à déterminer l'acceptabilité ou le caractère désirable des fins et des moyens d'interventions sociales"243. Plus généralement, elles doivent être interprétées comme "la manière d'être et d'agir qu'une personne ou une collectivité reconnaissent comme idéale et qui rend désirables ou estimables les êtres ou les conduites auxquels elle est attribuée"244. Ces valeurs s'inscrivent dans le temps et permettent à l'individu de déterminer, pour lui-même, les comportements et les conduites qu'il juge préférables à d'autres. L'individu apprécie le monde extérieur au regard de ces valeurs. Par conséquent, chaque action peut revêtir la qualité de "bonne, mauvaise, désirable ou non souhaitable"245. D'après la théorie des valeurs246,

241

Rokeach M. The nature of human values. New York: Free Press. 1973.

242 Massé R. Ethique et santé publique : enjeux, valeurs et normativité. Québec: Les Presses de l'Université

Laval. 2003.

243 ibid. 244

Rocher G. Introduction à la sociologie générale. Montréal: Éditions Hurtubise H.M.H. 1968.

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celles-ci revêtent six caractéristiques principales : les valeurs sont des croyances, ont trait à des objectifs désirables, transcendent les actions et les situations spécifiques, servent d'étalon ou de critères, sont classées par ordre d'importance et l'importance relative de multiples valeurs guide l'action de la personne247.

Massé envisage les valeurs d'une personne comme faisant partie intégrante de sa culture248, entendue comme "l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances"249. Pour Ogien, il existe deux grandes théories des valeurs qui s'opposent :

Selon la définition subjective, les valeurs varient en fonction de l'intérêt que ce changement apporte à l'individu. Dans ce cas, les valeurs sont traitées comme des "variables indépendantes qui jouent le rôle de barrières ou de facteurs facilitants face à divers objectifs comportementaux [ou] alternativement, considérées comme des variables dépendantes qui peuvent être manipulées pour atteindre ces objectifs"250.

A contrario, la conception objective considère les valeurs comme conservant une stabilité indéniable, indépendamment des fluctuations des émotions de la personne concernée251.

L'origine des valeurs est délicate à déterminer. La personne garde nécessairement une part d'autonomie en conservant "le pouvoir et la liberté d'en moduler l'importance dans propre vie et sa propre philosophie"252. Ainsi, "chacun de nous accorde des degrés d'importance divers à de nombreuses valeurs : une valeur particulière peut être très importante pour une personne et sans importance pour une autre"253.

246 Schwartz SH. Universals in the content and structure of values: theory and empirical tests in 20 countries. In:

Zanna M. Advances in experimental social psychology. New York: Academic Press. 1992: p.1-65.

247 ibid. 248

Massé R. op.cit

249 Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles,

Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982.

250 Guttman N. Public Health Communication Interventions: Values and Ethical Dilemmas, Thousand Oaks:

Sage Publications. 2000.

251 Ogien R. Normes et valeurs. In: Canto-Sperber M. Ed. Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale. Paris:

Presses Universitaires de France. 1996.

252 Massé R. op.cit 253

Schwartz SH. Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications. Rev Fr Sociol. 2006; 47 : 929-68.

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1.2. Le rôle des valeurs dans la détermination des comportements du patient

Les valeurs d'une personne influencent autant ses comportements que sa conception du sens et de la finalité de la vie humaine254. Les valeurs jouent un rôle fondamental dans l'organisation et le changement d'une société ou d'un individu255 et sont utilisées pour caractériser les personnes, pour suivre leur évolution au cours du temps et "pour expliquer les motivations de base qui sous-tendent attitudes et comportements"256. En réalité, les comportements d'un individu sont toujours déterminés dans le but d'exprimer, de défendre ou de valoriser une ou plusieurs de ses valeurs personnelles. Les choix de la personne dans l'adoption de tel ou tel comportement ne se fait pas par hasard mais plutôt de sorte à ce que les valeurs que l'individu juge les plus importantes pour lui soient privilégiées, au détriment de celles qui ont moins d'importance à ses yeux. Même si certaines valeurs diffèrent en fonction des cultures, certains auteurs répertorient dix valeurs communes: l'autonomie, la stimulation, l'hédonisme, la réussite, le pouvoir, la sécurité, la conformité, la tradition, la bienveillance et l'universalisme257. Les différences de comportements peuvent s'expliquer en partie par les variations observées dans l'importance accordée par l'individu aux différentes valeurs.

Puisqu'il existe un lien causal incontestable entre valeurs et comportements, il est nécessaire de s'interroger sur l'impact que les nouvelles pratiques médicales peuvent avoir sur les valeurs d'un individu. En effet, les professionnels de santé jouent un rôle essentiel dans le changement des comportements du patient dans la mise en oeuvre de l'ETP et de la télémédecine. Partant de ce constat, ne peut-on pas imaginer que la modification comportementale d'un individu malade bouleverse corrélativement ses valeurs personnelles ? Et dans ce cas, comment légitimer ce changement de valeurs fondant l'identité culturelle de la personne ? Bien qu'il soit difficile d'affirmer de manière catégorique que la mise en oeuvre des nouvelles pratiques médicales impacte obligatoirement les valeurs du patient, il semble cependant, qu'elle en présente le risque. Cette menace est d'autant plus plausible que l'ETP et la télémédecine sont elles-mêmes des pratiques médicales porteuses de valeurs.

254 Rokeach M. The nature of human values. New York: Free Press. 1973. 255 Durkheim E. De la division du travail social. Paris: Alcan. 1893. 256

Schwartz SH. op.cit.

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2. De nouvelles pratiques médicales fondées sur des valeurs externes au patient

2.1. La valeur de la bonne santé élevée au rang de finalité ultime dans la mise en oeuvre des nouvelles pratiques médicales

L'individu est considéré par les pouvoirs publics comme potentiellement rationnel et devant considérer la santé comme valeur suprême devant guider ses décisions258. Pourtant, ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, certains patients préféreront opter pour ce qui a le plus de sens à leurs yeux plutôt que ce qui est le plus raisonnable259 au risque de voir leur santé se détériorer. Le risque de modifier les valeurs du patient par la mise en oeuvre de nouvelles pratiques médicales est renforcé par le fait que l'ETP et la télémédecine soient elles-mêmes fondées sur des valeurs fondamentales de notre société. Tel est le cas pour la valeur santé que les pouvoirs publics ont peu à peu élevée au rang de finalité ultime des sociétés industrialisées avancées260. Les nouvelles pratiques médicales ont effectivement pour objectif de préconiser au patient un mode de vie estimé plus sain afin d'améliorer son état de santé et de favoriser sa qualité de vie. Toutefois, ces normes sanitaires ne sont pas neutres mais fondées sur des valeurs externes au patient. Dans ce contexte, ne peut-on pas considérer que le véritable objectif de ces nouvelles pratiques médicales est de faire de la santé, la valeur la plus importante aux yeux du patient chronique au risque de porter atteinte à ses valeurs personnelles ? Peut-on aller jusqu'à parler de manipulation du patient par les pouvoirs publics afin d'assurer le plus grand bien pour le plus grand nombre ? Et dans ce cas, quid du bien et de l'intérêt individuel du patient ?

2.2. Subjectivité dans la transmission de connaissances du fait de l'influence des valeurs personnelles des professionnels de santé

Les nouvelles pratiques médicales menacent également d'avoir des répercussions sur les valeurs personnelles du patient en ce sens que leur mise en oeuvre est assurée par des professionnels de santé eux-mêmes attachés à des valeurs qui leur sont propres. Outre les

258 Massé R. Analyse anthropologique et éthique des conflits de valeurs en promotion de la santé. In: Fournier C,

Ferron C, Tessier S, Sandron Berthon B, Roussille B. (dir.), Education pour la santé et éthique. Paris: Editions du comité français pour l'éducation à la santé. 2001: p. 52-74.

259 Gueullette JM. Une approche éthique de l’éducation thérapeutique du patient : des enjeux multiples. Notes de

conférence. Montpellier. 30 novembre 2012.

260

Adam P, Herzlich C. Sociologie de la maladie et de la médecine. Paris: Editions Armand Colin. La collection universitaire de poche. 2009: p. 40-41.

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valeurs professionnelles auxquelles il a pu adhérer261, le soignant est également guidé par des valeurs, des croyances et des intuitions personnelles. Comme tout être humain, il est habité d'une culture particulière façonnant ses comportements et sa manière de penser. Comment peut-on être certain que les valeurs personnelles du soignant n'interfèrent pas dans la transmission de connaissances objectives fondées sur des preuves scientifiques? Ou plus précisément, comment peut-il transmettre ce qu'il sait sans laisser aussi agir ce qu'il préfère? On peut espérer que les professionnels de santé pratiquant l'ETP et la télémédecine limitent leur intervention à une simple transmission des recommandations scientifiques ayant fait leurs preuves dans l'amélioration de la qualité de vie du patient. Toutefois, une part de subjectivité est à craindre dans l'appréciation faite par les soignants au vu de leurs valeurs et de leurs croyances. Par conséquent, les professionnels de santé peuvent mettre en application différemment des connaissances similaires relatives au mode de vie préconisé dans telle ou telle situation. Par exemple, on peut imaginer qu'un soignant attaché aux valeurs de pouvoir préconise un régime draconien dans un programme d’ l'ETP ou un suivi des constantes particulièrement contraignant via la télémédecine. A contrario, un professionnel de santé attaché plus particulièrement aux valeurs d'autonomie pourrait laisser une plus grande liberté au patient dans la détermination de ses habitudes de vie. Si les valeurs personnelles du soignant peuvent en effet influencer l'appréciation que le professionnel se fait de tel ou tel comportement, de telle ou telle attitude, comment peut-on légitimer l'influence des valeurs personnelles du soignant dans la détermination du mode d'existence d'une personne malade ?