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Les conséquences d'un échec des nouvelles pratiques médicales du fait de l'attitude fautive

PARAGRAPHE II. Les conséquences de la responsabilisation du patient

B. Les conséquences d'un échec des nouvelles pratiques médicales du fait de l'attitude fautive

1. La non-intégration des nouvelles normes sanitaires envisagée comme une faute juridique: la notion de responsabilité

1.1. Le non respect des normes sanitaires comme faute juridique

Puisque l'ETP et la télémédecine visent à responsabiliser davantage le patient, il est nécessaire de s'interroger sur l'éventuelle mise en jeu de la responsabilité juridique du malade qui

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n'adopte pas un comportement vertueux pour sa santé314. Si la responsabilité pénale et disciplinaire sont à exclure de la réflexion, l'éventualité d'engager la responsabilité civile d'un patient qui, disposant de l'ensemble des outils nécessaires à sa bonne prise en charge, fait le choix autonome de ne pas les mettre en oeuvre de porter atteinte à sa propre santé. Dès lors, peut-on condamner civilement l'individu malade responsable d'un état de santé qu'il n'a manifestement pas géré comme un bon père de famille en adoptant un comportement sanitairement correct ?315

L'article 1382 du code civil dispose que "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer"316 induit une logique d'indemnisation de la personne lésée par le versement de dommages et intérêts. Pour pouvoir engager la responsabilité civile d'un individu, trois conditions cumulatives doivent nécessairement être réunies : une faute commise, un préjudice subi et un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice. Si la détérioration de l'état de santé du patient du fait du non respect des normes sanitaires peut facilement constituer le préjudice subi, il est plus difficile d'apporter la preuve du lien de causalité et de la faute commise par l'individu malade. En effet, peut-on reprocher une faute au sens juridique du terme au patient qui n'a pas suivi les recommandations des soignants ? Et peut-il être condamné au titre de non-respect des normes sanitaires induites par les nouvelles pratiques médicales ?

Pour répondre de sa responsabilité juridique, la faute commise par le patient doit être concrétisée notamment par un/des manquement(s) à ses obligations. Or, le patient est-il tenu d'une/plusieurs obligation(s) dans la pratique de la mise en oeuvre de l'ETP ou de la télémédecine? Comme nous l'avons vu précédemment, le patient doit en principe être respecter dans l'exercice de son autonomie qui se concrétise essentiellement par sa liberté de choix d'intégrer ou non les normes sanitaires des professionnels de santé dans son quotidien. Par conséquent, envisager le non respect des normes sanitaires comme une faute juridique du patient renforce l'idée par laquelle l'intégration des recommandations des soignants est une obligation pour lui. Dans ce cas, l'individu malade ne dispose d'aucune liberté de choix et le respect de son autonomie risque encore une fois d'être transgressé.

314 Laude A. Le patient entre responsabilité et responsabilisation. Les Tribunes de la santé. 2013 ; 41 : 79-87. 315 Léonard C. Faire des choix en soins de santé. Vers une responsabilisation capacitance des citoyens.

Humanisme et solidarité. 2010; 16.

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1.2. Les conséquences juridiques envisageables

Pour certains auteurs, il est regrettable que "l'affirmation d'un droit des malades ne s'accompagne pas, en miroir, de l'énoncé des obligations ou du moins des responsabilités des patients et usagers afin d'accéder, [...] à un équilibre harmonieux des responsabilités entre les usagers, les professionnels, les institutions sanitaires et l'Etat"317. Aujourd'hui, les quelques obligations reconnues au patient relèvent en réalité des devoirs généraux incombant à chaque citoyen fréquentant une structure collective318. Dès lors, le patient est notamment tenu à une obligation de bonne conduite, de rémunération de l'établissement ou du professionnel le prenant en charge, de respect des autres personnes hospitalisées, de l'interdiction de porter atteinte aux biens et aux équipements de l'établissement. Parallèlement, il est également tenu à une obligation de collaborer avec le professionnel de santé en lui révélant notamment les symptômes de l'affection qu'il présente, ses antécédents médicaux et familiaux. Bien qu'il n'existe actuellement aucune disposition particulière relative aux devoirs des patients, la jurisprudence est d'ores et déjà intervenue pour sanctionner le comportement non-vertueux d'un patient. Ainsi, la Cour de cassation exonère le médecin de sa responsabilité engagée par un patient qui n'a délibérément pas suivi les conseils du chirurgien orthopédiste concernant le port d'une genouillère319, l'appui à l'aide de cannes et le recours à un kinésithérapeute320, et qui a repris une vie "normale" en pratiquant plusieurs activités physiques321. En outre, le tribunal administratif considère qu'une faute peut être retenue à l'encontre du patient qui adopte un comportement négligeant en ne suivant pas les recommandations du professionnel de santé lui permettant d'éviter toute complication ultérieure à son opération322.

Même si le comportement non-vertueux d'un patient peut être sanctionner par l'exonération totale ou partielle de la responsabilité du soignant, l'idée d'une mise en cause de la responsabilité civile du malade à l'égard de son comportement et plus généralement de sa santé dans le cadre de l'ETP et de la télémédecine semble difficilement envisageable. En effet, l'engagement de la responsabilité civile nécessite un rapport d'obligation entre deux patrimoines de sorte que cette responsabilité ne peut être envisageable qu'entre deux

317 Rapport n°174 de Giraud MM, Dériot G, Lorrain JL, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Déposé le 16 janvier 2002.

318 ibid.

319 Cass. Civ. 1ère.26 octobre 2004. n°20-20747. 320 ibid.

321

ibid.

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personnes distinctes323. Dans le cas d'un non respect des normes sanitaires des professionnels de santé, le patient est à la fois celui qui commet la faute, si on considère que cela relève d'un comportement fautif de l'individu, et celui qui en subit les conséquences dommageables. L'idée de sanction financière apparaît "comme la seule sanction adéquate d'un comportement non-vertueux aussi bien dans sa dimension individuelle que collective"324.

2. La menace d'une limitation du remboursement de l'assuré social adoptant un comportement non-vertueux pour sa santé

2.1. La responsabilisation du patient au regard des dépenses de santé

Pour beaucoup, la responsabilisation des patients passe également par la prise de conscience de ces individus malades concernant leur responsabilité au regard des dépenses de santé qu'ils engendrent de par la consommation des services et des soins325. En effet, "il ne faut pas faire croire aux Français qu'ils vont pouvoir user à volonté et sans aucune responsabilité de l'ensemble des services. Un jour ou l'autre, ils devront payer une telle logique"326. Aujourd'hui, l'article L.1111-1 du code de la santé publique met, pour la première fois en exergue une obligation pécuniaire du patient envers ses dépenses de santé. Dès lors, "les droits reconnus aux usagers s'accompagnement des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose"327. Le processus de responsabilisation est renforcé par cet article qui vient poser les jalons d'une responsabilité financière générale du patient, en contre partie des droits affirmés par la loi du 04 mars 2002328. Si pendant longtemps, le droit de la santé et le droit de la sécurité sociale ont été considérés comme deux droits s'ignorant329, il semble qu'aujourd'hui, le législateur souhaite mettre à la charge du patient un véritable devoir de respect et de maîtrise des dépenses de l'assurance maladie330. Par conséquent, l'idée d'une responsabilité financière du patient s'illustre par le fait qu'en tant qu'assuré social, il pourrait avoir une part financière des frais de

323 Dabin J. Faute dommageable envers soi-même et responsabilité à l'égard des proches. In: Mélanges offerts à

Jean Brethe de la Gressaye. Paris: Brière.1967.

324 Laude A. op.cit. 325

Rapport n°174 de Giraud MM, Dériot G, Lorrain JL. op.cit.

326 ibid.

327 Art. L.1111-1 CSP

328 Loi n°2002-303 du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. 329

Tabuteau D. Santé et devoirs sociaux. RDSS. 2009; 2 : 42.

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santé mise à sa charge331, dès lors qu'il ne prend pas toutes les mesures nécessaires pour garantir l'amélioration ou au moins la stabilisation de son état de santé.

2.2. Les conséquences économiques envisageables

L'idée selon laquelle l'assuré social se verrait mettre à sa charge une part financière des frais de santé n'est pas nouvelle. En effet, plusieurs évolutions sociétales ont mis en évidence la volonté des pouvoirs publics de responsabiliser davantage les assurés sociaux au regard du système de santé. Ainsi, "l'augmentation du ticket modérateur, l'ajout de forfaits et de franchises conduisant le patient à avoir une participation directe de plus en plus importante aux frais de santé"332 représentent autant d'éléments illustrant combien la responsabilisation des patients conduit à "un transfert de responsabilité financière du collectif, à savoir l'assurance maladie, vers une responsabilité financière individuelle de l'assuré social"333. S'il est difficilement envisageable de condamner civilement un patient adoptant un comportement risqué pour sa santé, on peut légitimement se demander si la sanction à défaut d'être juridique, soit financière. Face "à la propension de l'assuré social à négliger la prévention, à développer des comportements à risque"334, la solution de limitation du remboursement de l'assuré social adoptant un comportement non-vertueux pour sa santé n'est pas dénuée de sens. Ainsi, un décret en Hongrie a imposé aux patients diabétiques de se soumettre obligatoirement à un contrôle trimestriel du taux de glucose au risque d'être sanctionné par une baisse du taux de remboursement des traitements par l'Etat et une éviction de l'accès aux médicaments les plus efficaces335. Par conséquent, n'est-il pas envisageable que la France adopte la même démarche en limitant le remboursement et l'accès aux soins d'un patient chronique ne suivant pas le mode de vie recommandé par les soignants dans le cadre de l'ETP ou de la télémédecine ? Cette menace de pénalisation financière planant au dessus de l'assuré social ne respectant pas les normes sanitaires des soignants, avive "les craintes de voir l'assurance maladie se muer progressivement en une véritable police des moeurs"336.

331

Laude A. op.cit.

332 ibid. 333 ibid.

334 Tabuteau D. Démocratie sanitaire, les nouveaux défis de la politique de santé. Paris: Odile Jacob. 2013: 178. 335

ibid.

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Partie II. Une évolution de la relation de