• Aucun résultat trouvé

Une atténuation du rôle des professionnels de santé dans la prise en charge du patient

PARAGRAPHE II. La volonté de rendre le patient "acteur de sa santé"

A. Une atténuation du rôle des professionnels de santé dans la prise en charge du patient

1. La traditionnelle relation paternaliste définitivement évincée par l'apparition des nouvelles pratiques médicales

Traditionnellement, le patient désigne la personne qui "endure, qui supporte avec patience"166. Il possède l’aptitude à ne pas s’énerver des difficultés qui se présentent à lui et dispose de la qualité de pouvoir supporter calmement une situation167. Trop longtemps, la notion de patient s’est associée à l’idée d'une passivité endurante de l'individu malade à subir les évènements sans réagir, sans jamais se manifester. Spectateur de sa prise en charge, le patient se laissait guider par le médecin, unique détenteur du savoir et du pouvoir médical. Dans cette conception paternaliste de la relation de soin, le professionnel de santé imposait " une j f exclusivement relatives au bien- être, au bien, au bonheur, aux besoins, aux intérêts ou aux valeurs de cette personne contrainte"168. La relation paternaliste se justifiait par le devoir de bienfaisance169 du médecin et par le fait que l'inégalité entre soignant et soigné était "la base rationnelle d'un rapport médical naturellement hiérarchique"170. L'individu malade était considéré comme incapable de prendre de bonnes décisions concernant sa santé puisqu'il ne voyait "plus clair en lui-même, car entre lui-même observant son mal et lui-même souffrant de son mal, s'était glissée une opacité et parfois même une obscurité"171. Le patient était perçu comme irresponsable et devait "être pour le médecin comme un enfant à apprivoiser, non certes à tromper, un enfant à consoler, non pas à abuser, un enfant à sauver ou simplement à guérir"172. Dans ce contexte, la volonté du patient n'avait pas à être prise en considération car son consentement n'était pas considéré comme "une donnée médicalement pertinente" et ne devait pas, à cet égard, "être considéré comme de référence dans la décision"173. Face à cet être vulnérable, le médecin se positionnait naturellement comme "la personne la plus

166

Rey A. Dictionnaire historique de la langue française. Le Robert, 2e éd. 1998.

167 Définition Larousse.

168 Dworkin G. Paternalism. London: The Monist; 1972.

169 Beauchamp T, Childress J. Les principes de l’éthique biomédicale. Paris: Les Belles Lettres; 2007. 170

Jaunait A. Comment peut-on être paternaliste? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient. Raisons politiques. 2003; 11: 59-79.

171 Portes L. Du consentement du malade à l'acte médical. Communication à l'Académie des sciences morales et

politiques. 1950.

172

ibid.

63

compétente pour réaliser le bien-être du patient"174 et se voyait reconnaître la responsabilité morale de décider pour lui. En France, cette conception paternaliste a longtemps prévalue. D'ailleurs, le premier ouvrage de déontologie médicale175 concevait la relation de soin comme étant nécessairement de nature paternaliste.

Depuis une dizaine d'années, cette conception paternaliste de la relation médicale est largement remise en question. En effet, "en comptant sur un paternalisme selon lequel le médecin doit toujours agir dans le meilleur intérêt du patient, la tradition du serment d'Hippocrate ne tient pas compte de l'autonomie du patient"176. La consécration légale des droits des patients177 vient amoindrir ce déséquilibre de la relation de soin. Elle conditionne notamment l'intervention du médecin au recueil préalable du consentement libre et éclairé du patient. L'émergence de l'ETP et de la télémédecine vient consolider ce changement des mentalités : l'objectif premier de ces nouvelles pratiques médicales étant de rendre le patient toujours plus autonome dans la gestion de sa maladie. La mise en oeuvre de ces nouvelles pratiques médicales fait naître une nouvelle conception du rôle des soignants dans la prise en charge du patient.

2. Une nouvelle conception du rôle des professionnels de santé dans la prise en charge de la maladie

La tâche du médecin et plus généralement, de tout professionnel de santé est de chercher à "rétablir, à préserver et à promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux"178. Bien que la notion de guérison soit "au œ de l'exercice médical ou de nombreuses activités thérapeutiques"179, il est difficile de lui accorder une définition consensuelle. Le verbe "guérir" est entendu aussi bien comme "la disparition de symptôme que la fin de la maladie, le retour à ce qui est considéré comme la normale de valeurs biologiques ou de comportements sociaux, ou bien la prise de distance salutaire avec telle ou telle forme de malheur auquel un sujet s'était temporairement trouvé identifié"180 . L'expansion actuelle des maladies chroniques remet en question la capacité des professionnels

174 ibid.

175 Simon M. Déontologie médicale ou des devoirs et des droits des médecins dans l'état actuel de la civilisation.

Paris : Baillière; 1845.

176

Hervé C, Mormont C, Weisstub D. Réflexions philosophiques et historiques. Paris: L'Harmattan; 2001.

177 Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. 178 Conseil National de l'Ordre des Médecines. Le serment d'Hippocrate. Paris : CNOM; Janvier 2012. 179 Starobinski J. Dictionnaire de la pensée médicale. Paris: PUF; 2004.

180

Gueullette JM. Guérir: un désir, un rêve; une fonction sociale, entre compétence et charisme ; un don gratuit ou un devoir moral. Revue d'éthique et de théologie morale. 2011; 266 :9-32.

64

de santé à répondre à cette mission de guérison. En effet, puisque la maladie chronique est évolutive et inscrite dans la durée de la vie du patient, il est illusoire de tenter de la supprimer. L'apparition de nouvelles pratiques médicales vise à répondre à cette évolution sociétale. Le rôle du professionnel de santé dans la relation de soin est entièrement repensé par l'ETP et la télémédecine. L'objectif commun de ces pratiques est de favoriser au maximum l'autonomie du patient. En souhaitant privilégier une relation juste181, elles lancent le défi de bouleverser la relation de soin en instaurant un partenariat relationnel entre soignant et soigné.

Afin d'y répondre, il s'avére nécessaire en amont, d'atténuer voire de minimiser l'intervention des soignants dans la prise en charge de la maladie. Dans le cadre de l'ETP ou de la télémédecine, la mission du professionnel de santé n'est plus tant de supprimer le mal mais plutôt d'aider le patient et ses proches à se familiariser avec la maladie. Le rôle du soignant s'apparente davantage à une mission d'accompagnement dans la prise de conscience du patient de la nécessité de se prendre en charge seul. Loin de la conception paternaliste, son point de vue ou sa décision ne doivent jamais être imposés au patient. Il doit apprendre à "jouer d'une apparente passivité" en consacrant un temps particulier pour l'écoute, l'analyse, l'acceptation des difficultés et des émotions du malade. Tous ces éléments doivent désormais faire partie intégrante de la prise en charge du patient. Une reconsidération de sa manière de travailler est essentielle. Aujourd'hui, il doit accepter de partager voire de remettre une partie de ses compétences au malade et doit faire en sorte qu'il devienne "son propre médecin"182. En questionnant ainsi le rôle prédominant du professionnel de santé dans la relation de soin, l'apparition des nouvelles pratiques médicales s'avère être l'occasion unique de "faire fructifier énergie créatrice et rigueur scientifique dans l'alliance entre deux êtres humains qui s'enrichissent l'un de l'autre"183.

B. Le souhait de privilégier l'autonomie du patient dans la gestion de sa