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1.4 La mission Mars Science Laboratory

1.4.5 La ride de Vera Rubin

1.4.5.1 Donn´ees orbitales

Depuis la s´election du crat`ereGale comme site d’atterrissage de Curiosity, l’exploration de la ride de Vera Rubin (ou VRR) est l’un des objectifs majeurs de la mission MSL, et son ´etude l’un des th`emes principaux de ce travail de th`ese.

Cette ride a ´et´e d´efinie depuis l’orbite avant l’arriv´ee sur place du rover Curiosity (Anderson et Bell, 2010; Millikenet al., 2010; Fraemanet al., 2013, 2016). Elle correspond `a une unit´e g´eomorphologique poss´edant une expression topographique positive, s’´etalant sur environ∼50 m en ´el´evation depuis la base. Sa limite sup´erieure est sur´elev´ee de∼10 m par rapport `aGlen Torridon(ouKnockfarril Hill), le membre de la colonne stratigraphique suivant. Elle est localis´ee `a la base du Mont Sharp dans la formation de

Murray, et mesure environ∼200 m de large sur∼6.5 km de long suivant la direction Nord-Est/Sud-Ouest (Anderson et Bell, 2010 ; voir Figure 1.17). Le nom donn´e `a cette structure fait r´ef´erence `a l’astronome am´ericaine Vera Cooper Rubin (1928-2016), dont les travaux sur la vitesse de rotation des galaxies spirales ont permis de consolider l’hypoth`ese de la mati`ere noire. Elle ´etait ´egalement une fervente d´efenseuse de l’´egalit´e femme-homme dans les sciences.

Figure1.17 – a) Mosa¨ıque HIRISE de la traverse de Curiosity depuis son atterrissage et jusqu’au sol 2359 (ligne blanche). La localisation de la sc`ene `a l’´echelle du crat`ereGale est ´egalement repr´esent´ee (en haut `

a gauche) ainsi que certains noms cl´es. Les zones en rouge correspondent aux fortes absorptions `a 860 nm dans les spectres de r´eflectance CRISM, t´emoignant de la pr´esence d’h´ematite cristalline (d’apr`es Fraeman

et al., 2016). b) Repr´esentation en 3 dimensions de la ride deVera Rubin, illustrant sa topographie posi-tive vis-`a-vis des terrains adjacents deMurray. Cr´edit : NASA/JPL-CalTech/MRO/UofA/HIRISE/Sean Doran

Cette ride poss`ede plusieurs propri´et´es qui contrastent avec les autres unit´es g´eologiques de

Murray, ce qui en fait une structure particuli`ere dans le crat`ere Gale. Tout d’abord, VRR poss`ede une inertie thermique mesur´ee depuis l’orbite plus importante que les terrains avoisinants (Edwards et al., 2018). L’inertie thermique est fonction des propri´et´es physiques des mat´eriaux constituant la partie su-perficielle de la sc`ene observ´ee. D’une mani`ere g´en´erale, les mat´eriaux peu consolid´es comme la poussi`ere ou les sols granulaires poss`edent une inertie thermique faible. En revanche, les roches s´edimentaires bien ciment´ees ou les roches cristallines ign´ees poss`edent une plus forte inertie thermique (Edwards et al., 2009). L’inertie thermique de VRR refl`ete donc d´ej`a la singularit´e de ses roches. Les images prises par la cam´era HIRISE montrent ´egalement une texture des roches qui est diff´erente entre la ride et les ter-rains adjacents. Sa topographie positive t´emoigne d’une plus grande r´esistance `a l’´erosion que les terrains avoisinants. Cette plus grande r´esistance `a l’´erosion se traduit par ailleurs dans la capacit´e de la ride `a

mieux pr´eserver les crat`eres d’impacts (Fraeman et al., 2016) que les autres terrains de Murray. Cette propri´et´e sera ´egalement confirm´ee par les analyses in situ du rover, lorsque celui rencontrera parfois quelques difficult´es `a forer, pour pr´elever des ´echantillons (Fraemanet al., 2020a).

Le spectrom`etre imageur CRISM r´ev`ele la pr´esence de fortes absorptions `a 0.53 et 0.86µm dans les spectres de r´eflectances obtenus sur la ride. Ces propri´et´es spectrales sont coh´erentes avec la pr´esence d’h´ematite cristalline (Milliken et al., 2010; Fraeman et al., 2013, 2016). Cette forte signature qui la distingue des terrains alentours est la principale caract´eristique de VRR, qui fut longtemps d´esign´ee comme l’Hematite ridge. Par ailleurs, aucune d´etection de smectites, sulfates, ou de phases hydrat´ees n’est observ´ee depuis l’orbite, `a la diff´erence des terrains de Murray sous-jacents. D’autres d´etections d’h´ematite ont ´et´e faites dans le crat`ere Gale, mais VRR correspond `a la premi`ere d´etection associ´ee `a une structure morphologique distincte (Figure 1.17.a). Cette structure g´eomorphologique corr´el´ee avec une forte signature spectrale ´etait donc particuli`erement intrigante avant mˆeme l’arriv´ee de Curiosity sur place, et a ´et´e la raison du classement de VRR comme une cible prioritaire parmi les objectifs du rover.

1.4.5.2 Premi`eres hypoth`eses de formation

La source de cette signature pourrait t´emoigner d’un enrichissement en h´ematite cristalline dans la ride, bien que d’autres effets puissent ´egalement influencer la profondeur des bandes d’absorption des mesures CRISM. En effet, des effets li´es `a une variabilit´e des tailles de particules ou `a la texture peuvent jouer sur les donn´ees orbitales. Un degr´e de recouvrement variable par la poussi`ere ou un effet provoqu´e par les phases associ´ees `a l’h´ematite sont ´egalement des facteurs possibles (Johnsonet al., 2019; Fraeman et al., 2020a). Des analyses in situ sont ici particuli`erement n´ecessaires car elles permettent d’obtenir une v´erit´e terrain, et de faire le lien avec ces donn´ees orbitales. Les analyses min´eralogiquesin situr´ealis´ees par l’instrument CheMin n’ont ´et´e faites que tardivement durant la campagne d’exploration de VRR, car depuis d´ecembre 2016 et jusqu’en f´evrier 2018, le syst`eme permettant de forer les roches et d’approvisionner cet instrument n’´etait pas op´erationnel.

Pour expliquer un possible enrichissement en h´ematite dans la ride, plusieurs hypoth`eses (pr´ e-analysesin situ) ont ´et´e propos´ees :

1. La premi`ere hypoth`ese sugg`ere une formation authig´enique des oxydes de fer avec une pr´ecipitation directe depuis un milieu lacustre. Le mod`ele de lac stratifi´e d’Hurowitz et al. (2017) pourrait s’appliquer. Alternativement, le lac pourrait ˆetre dans son ensemble anoxique et riche en fer ferreux Fe2+, par l’apport d’eau fluviale et souterraine ayant alt´er´e des min´eraux mafiques ou des smectites trioctah´edrales riches en fer. Puis, un ´episode temporaire d’oxydation provoquerait la pr´ecipitation massive d’oxyde de fer ferrique Fe3+ (Figure 1.18.a). Un fort d´egazage volcanique pourrait ˆetre `

a l’origine de l’augmentation d’oxydants produits par r´eaction photochimique dans l’atmosph`ere (e.g., O2, O3ou OH) tel que sugg´er´e par Fraemanet al.(2016). Ce sc´enario pr´esente des similitudes avec le m´ecanisme de formation `a grande ´echelle des gisements de fers ruban´es de l’Arch´een (Banded Iron Formation) que nous observons sur Terre (bien que le mod`ele sur Mars n’implique pas la pr´esence de micro-organismes pour expliquer l’oxydation).

2. La seconde hypoth`ese propose une formation diag´en´etique plus tardive avec un enrichissement superg`ene. De la mˆeme mani`ere que dans la premi`ere hypoth`ese, un processus redox est impliqu´e. Le fer ferreux (Fe2+) mobile serait transport´e lors de l’´ecoulement d’une solution anoxique sou-terraine. Lors de la rencontre entre ce fluide et un environnement oxydant vis-`a-vis du fer, ce dernier pr´ecipiterait (Figure 1.18.b). Les contextes g´eologiques dans lesquels pourrait se former la ride incluraient une interface redox entre des eaux r´eductrices et oxydantes en milieu

sub-aquatique (analogue au m´ecanisme de formation des sph´erules d’h´ematite dans les sandstones Navajo du Jurassic ; Chanet al., 2004; Orm¨oet al., 2004; Chanet al., 2005), ou en environnement suba´erien (e.g., Henmi et al., 1980; Childs et al., 1982). Dans ce dernier cas, la source d’oxyda-tion serait l’atmosph`ere. Dans un tel sc´enario, le taux d’oxydation important peut conduire `a former des oxydes de fer mal cristallis´es comme la ferrihydrite (Cornell et Schwertmann, 2003), pr´ecurseur `a l’h´ematite. Comme l’origine du Fe2+ dans les fluides peut provenir de sources rela-tivement lointaines, une augmentation significative de la concentration en fer est attendue sur la zone d’oxydation.

3. Un ´episode diag´en´etique avec une alt´eration oxydante sur place de pr´ecurseurs riches en fer ferreux en syst`eme ferm´e est ´egalement un sc´enario possible (Figure 1.18.c). Ce processus est l’un des mod`eles propos´es comme responsables de la pr´esence d’h´ematite (au d´etriment de la magn´etite) plus bas dans la formation deMurray (Rampeet al., 2017). Ce m´ecanisme est ´egalement impliqu´e dans la formation des bancs rouges riches en h´ematite observ´es dans les d´eserts de Californie (Sonoran) et du Colorado (Walker, 1967), `a partir de l’alt´eration de silicates riches en fer (en particulier de smectite). Une alt´eration isochimique locale n’impliquerait pas une mobilit´e du fer, ce qui par cons´equent n’impliquerait pas de variation de l’abondance totale en fer entre les roches non-alt´er´ees et alt´er´ees.

4. La derni`ere hypoth`ese (Figure 1.18.d) implique une alt´eration en syst`eme ouvert par des eaux mod´er´ement acides qui permettrait de laisser un d´epˆot r´esiduel de phases insolubles telles que des oxydes de fer (de la mˆeme mani`ere que les lat´erites terrestres ; Schellmann, 1994). Cette hypoth`ese a toutefois ´et´e jug´ee peu probable depuis l’orbite en raison du manque de d´etection des phases associ´ees pour ce sc´enario, comme des argiles riches en aluminium ou des r´esidus riches en silice (Fraemanet al., 2016).

Figure1.18 – Sc´enarios propos´es pour expliquer la formation d’h´ematite `a VRR : a) Formation en milieu lacustre (riche en Fe2+), `a la suite d’un ´episode global d’oxydation. b) Le Fe2+ est mobilis´e par un fluide diag´en´etique et s’oxyde localement par contact avec l’atmosph`ere ou lors de la rencontre avec un autre fluide. c) Alt´eration oxydante sur place de pr´ecurseurs riches en fer lors de la diag´en`ese. d) Alt´eration en syst`eme ouvert qui laisse un d´epˆot r´esiduel de phases insolubles telles que des oxydes de fer.