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La rhétorique de Gorgias et la justice

CHAPITRE I : LES VISAGES DE LA RHÉTORIQUE

C. Le rôle de la conception de la justice dans l’émergence de la rhétorique

1. La rhétorique de Gorgias et la justice

a. L’origine sicilienne de la rhétorique

Pour commencer notre réflexion sur les liens entre la justice et la rhétorique chez le rhéteur Gorgias, commençons par rappeler une anecdote de la tradition. La naissance de la rhétorique est souvent située en Sicile, l’île dont est originaire Gorgias. Cicéron nous dit à ce sujet :

Suivant Aristote, ce fut seulement après l’abolition de la tyrannie en Sicile, quand les procès, après une longue interruption, furent de nouveau soumis à des tribunaux réguliers que, chez ce peuple sicilien d’une intelligence aiguisée […] deux hommes, Corax et Tisias, composèrent une

théorie de la rhétorique, avec des préceptes.389

Cette histoire est intéressante à plusieurs titres, même si elle est « invérifiable et très probablement controuvée »390. D’abord elle associe la naissance de la rhétorique à celle de

la démocratie, montrant que c’est après l’effondrement d’un régime tyrannique que la liberté de parler a pu se développer. Or, ce changement de régime politique entraîne le retour des tribunaux réguliers. C’est donc dans un contexte démocratique et judiciaire que la rhétorique

388 En revanche, nous laissons de côté la réfutation de ces thèses et la position de Socrate pour y revenir dans le

quatrième chapitre de la thèse.

389 Pernot précise que cette référence se trouvait dans un ouvrage perdu d’Aristote selon Cicéron, Brutus, §46

et Pernot, La rhétorique dans l’Antiquité, p. 25.

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émerge. Mais l’anecdote va plus loin : si l’on suit Sextus Empiricus391, Tisias et Corax sont

restés célèbres à cause du procès qu’ils s’intentèrent mutuellement. Tisias était le disciple de Corax. Il était allé le trouver pour apprendre la rhétorique en s’engageant à lui payer un salaire s’il gagnait son premier procès. L’accord étant conclu, lorsque Tisias fut formé, Corax demanda salaire et le jeune homme refusa de payer son maître. Au tribunal, Corax affirma qu’il devait, qu’il gagnât ou perdît, recevoir un salaire puisque s’il gagnait, il gagnait, et s’il avait le dessous, Tisias gagnait son premier procès, donc l’accord devait s’appliquer. Tisias répondit lui aussi que s’il gagnait ou perdait, il ne devait rien verser non plus à Corax, puisque s’il gagnait, il gagnait, s’il perdait, Corax n’aurait pas respecté l’accord qui était de lui faire gagner son premier procès. Les juges, désemparés, décidèrent de chasser les deux en disant : « Au méchant corbeau, méchante couvée ! » La dernière partie de l’anecdote nous renseigne sur le caractère problématique de l’enseignement de la rhétorique392. Dans cet exemple, les

deux individus sont en conflit, car ils ont tous deux utilisé la rhétorique comme une arme permettant de défendre leur intérêt personnel. Leur dispute est révélatrice d’un problème récurrent dans l’art oratoire : si le rapport entre maître et élève est tant sujet à conflit et souvent questionné393, c’est parce que la préservation de soi est en jeu dans la transmission

de cet usage. Pour résumer, dès son émergence sicilienne, la rhétorique soulève deux problèmes : elle sert d’arme pour régler des contentieux judiciaires entre des intérêts privés et elle crée une tension dans l’enseignement entre maître et élève. Dans le Gorgias, ces deux enjeux sont immédiatement présents, puisque Gorgias conçoit la rhétorique comme un moyen de défense de l’individu dans la cité et s’empresse de déresponsabiliser le maître quant à un usage injuste du discours. C’est sur ces deux aspects que nous allons nous attarder pour expliquer sa conception de la justice.

b. La fin de la rhétorique

Le Gorgias ne se déroule pas en Sicile, mais à Athènes. Dans la cité, la rhétorique joue sur deux plans : d’un côté, elle est utilisée par les orateurs à l’Assemblée pour conseiller;

391 Sextus Empiricus, Contre les professeurs, II, 97-99. Une anecdote semblable était rapportée à propos de

Protagoras et son élève Euathlos, voir Pernot, La rhétorique dans l’Antiquité, p. 27.

392 Comme le fait remarquer Pernot : « Un tel récit exprime à la fois l’émerveillement et l’inquiétude devant un

certain usage de la rhétorique, ainsi que la satisfaction de voir la rouerie se retourner contre son auteur. » Ibid., pp. 26‑27.

393 Il suffira de regarder les nombreuses justifications omniprésentes dans la littérature des professeurs de

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de l’autre, elle possède un volet judiciaire essentiel pour les citoyens qui se présentent aux nombreux tribunaux qui se déroulent chaque jour394. L’importance de la parole dans ces deux

sphères favorise la présentation de la rhétorique comme l’art politique par excellence (452e1- 8), supérieure à tous les autres (456a9-10) et suffisante pour toutes les situations de la vie démocratique athénienne (459c3-5). Gorgias affirme ainsi que la rhétorique concerne les biens les plus grands dans les affaires humaines (451d7-8), et précise qu’elle est cause à la fois de liberté, et en même temps de commandement (452d5-7). Cette assertion, comme nous l’avions déjà remarqué, souligne à la fois la fonction défensive et offensive de la rhétorique. Elle permet de garantir son indépendance, sa liberté, son autonomie dans la cité, donc de se défendre face aux autres (volet judiciaire), et en même temps de leur commander (volet politique). Bien que la notion d’eleutheria ne soit pas explicitée davantage à ce moment-là du dialogue, elle renvoie à l’absence de contrainte dont Pôlos et Calliclès se feront les défenseurs et plus généralement à l’idée de « faire ce que l’on veut » sur laquelle nous reviendrons. Les deux dimensions, protectrice et offensive de la rhétorique, ne font qu’une en réalité, puisqu’il s’agit à la fois de se défendre contre les injustices ou d’en commettre en toute impunité, le plus grand des biens étant de garantir l’intérêt personnel d’un individu dans la cité (dimension également mise en avant par Pôlos et Calliclès). Cette phrase révèle donc que la rhétorique ne sert pas l’intérêt public de la démocratie, mais l’intérêt privé d’un individu (qui s’oppose généralement aux lois de la cité395). L’art oratoire de Gorgias s’inscrit

donc dans un calcul d’intérêts396 et ouvre la possibilité d’un usage injuste, au sens d’un refus

d’obéir à la loi397, si cela est moins avantageux. Cet usage fait fi de la moralité démocratique

et du savoir, pour ne conserver que le point de vue de l’individu qui recherche le pouvoir398.

394 Pour plus de détails sur le fonctionnement des tribunaux, on consultera volontiers la section « E.4 People’s

court (dikasteria) » dans le chapitre III « Public Speakers and Mass audiences » dans Ober, Josiah, Mass and elite in democratic Athens : rhetoric, ideology, and the power of the people, Princeton, Princeton University Press, 1989, pp. 141‑148 ; ainsi que la section sur les procès politiques et le rôle des tribunaux populaires dans Mossé, Politique et société en Grèce ancienne, pp. 154‑173.

395 Si la justice démocratique est belle, elle ne vaut que pour son apparaître, l’injustice demeurant préférable,

voir sur ce point le discours d’Adimante (République, II 362d-367e).

396 Calcul qui va de soi, tout individu cherche à maximiser son profit et ses chances de réussite. S’il est plus

avantageux de commettre l’injustice, comme le souligne Glaucon dans la République, il faudrait être un fou pour agir autrement (République, II, 359b).

397 Le terme « eleutheria » le souligne bien, l’individu peut s’affranchir par l’usage de la rhétorique de la

contrainte dans la cité.

398 Dodds résume l’idée : « Men like Callicles did not pay high fees to Gorgias because they enjoyed playing

tricks with words, but because they were hungry for power and the new education was αἴτιον τοῦ ἄλλων ἄρχειν ἐν τῇ αὑτοῦ πόλει… » voir son introduction dans Plato. Gorgias, p. 10.

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Ce point est illustré par l’exemple que donne Gorgias à la suite de sa définition. Il reprend les figures du médecin, du gymnaste et du financier que Socrate avait introduites comme des spécialistes de biens en 452a-d pour montrer qu’ils peuvent tous être dominés par le rhéteur, si celui-ci le veut (452e). Il souhaite ainsi réaffirmer la supériorité de son art sur les autres

technai, en montrant que la rhétorique est non seulement maîtresse dans la sphère judiciaire

(où se jouent des décisions sur lesquelles les autres technai n’ont aucune prise), mais aussi dans tous les domaines quels qu’ils soient. En possédant une technê supérieure, le rhéteur s’assurera d’être supérieur aux autres, de pouvoir faire du médecin et du gymnaste son esclave. Le renversement du pouvoir du financier est particulièrement frappant, pour montrer l’usage privé de la rhétorique. Gorgias affirme à son sujet : « Quant à notre magnifique financier, c’est à un autre, et non pas à lui-même, que profiteront apparemment ses opérations de finance : à toi bien plutôt, qui as le pouvoir de parler et de persuader la multitude ! » (452e6-8). Gorgias soutient ici que celui qui possède la capacité de bien parler peut tourner à son avantage toute situation, et cela au détriment même de l’intérêt de la personne qui, pourtant, possède un savoir. Il emploie d’ailleurs le verbe « ἀναφαίνω », révélateur du jeu sur les apparences que réalise le langage399. L’intérêt de la rhétorique est donc de servir tout

but personnel que l’individu se fixe, indépendamment de la justice commune et du savoir (cela apparaîtra encore plus explicitement dans la section suivante). D’une part, la ligne que prétend tracer le pouvoir de la rhétorique est celle entre l’homme libre et l’homme esclave, dans un contexte pourtant démocratique, où les lois posent une égalité entre tous les citoyens. La possession d’une telle technê permet d’outrepasser un principe démocratique essentiel, en créant entre les citoyens une inégalité. D’autre part, Gorgias insiste sur la supériorité de l’orateur sur le spécialiste, dont il donne de nombreux exemples, se prenant lui-même comme modèle. Il rappelle ainsi comment il a convaincu un patient récalcitrant à prendre le remède de son frère Hérodicos, pourtant médecin (456b1-5). Ainsi, même si l’orateur est ignorant de la médecine ou de la finance, il peut toujours passer pour savant sans l’être devant une foule. Gorgias ne présente donc pas la rhétorique comme une technique neutre, servant simplement à mettre en forme un discours pour être persuasif. Dans la manière même dont il aborde son

399 Cela fait écho à cette remarque du Phèdre de Socrate sur Gorgias : « … et Gorgias […] eux qui, par la force

de leur parole, font apparaître grandes les choses qui sont, au contraire, petites, et petites celles qui sont grandes ? qui ont trouvé à dire des nouveautés d’une antique façon, et, d’une façon neuve, d’antiques choses ? Qui, sur tout sujet, ont trouvé aussi bien la concision que l’amplification sans limites ? » (Phèdre 267a-b).

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art, il renvoie sans cesse à l’idée d’une puissance de commandement400 du discours, puissance

servant à la préservation de soi dans tous les domaines. Cette puissance de commandement est illustrée finalement par Thémistocle et Périclès, puisque Gorgias montre que les citoyens parmi les plus importants de la cité utilisent la rhétorique pour faire passer leur avis personnel par-dessus celui des spécialistes (455e-456a).

c. L’usage juste de l’enseignement de la rhétorique

À partir de 452e, Socrate estime que Gorgias a montré au plus près qu’il se peut quel art est, à son jugement, la rhétorique. Elle se voit définie comme une ouvrière (δημιουργός) de persuasion (πειθοῦς) et son « affaire », toute son « occupation » (πραγματεία) et ce en quoi elle trouve à se réaliser, c’est de « persuader » (452e10-453a5). Une fois cette première étape définitionnelle franchie, Socrate demande à Gorgias de préciser la nature de l’objet sur lequel porte la persuasion qui est produite par son art401. Gorgias rappelle alors qu’elle se

place « dans les tribunaux et dans les autres endroits où des hommes s’assemblent en foule », et ajoute, nouvel élément, qu’elle concerne « les choses justes et injustes » (δίκαιά τε καὶ ἄδικα) (454b6-7). Cet ajout est déterminant dans la discussion entre les deux protagonistes. Gorgias ne réalise pas la conséquence de son propos qui ouvrira la porte à sa réfutation402.

Dans le contexte de ce passage, le rhéteur cherche à satisfaire Socrate en identifiant un objet propre à la rhétorique qui permette de distinguer la spécificité de sa persuasion par rapport aux autres arts. Il avance ainsi l’idée qu’elle concerne le juste et l’injuste, dans la mesure où les décisions prises par l’Assemblée sont généralement le produit des ῥήτορες403, comme

l’illustre l’exemple de Thémistocle et Périclès cités en 455e. Toutefois, si la persuasion produite par la rhétorique de Gorgias a bien un certain rapport avec la détermination de ce qui est juste dans les instances démocratiques, l’enjeu est ici de savoir sur quelle conception de la justice Gorgias s’appuie-t-il pour défendre l’usage de la rhétorique ? Selon Marie-Pierre

400 Ici, il reprend la vision du Gorgias historique pour qui le discours est un maître très puissant, Gorgias, l’Éloge

d’Hélène, §8.

401 « Socrate : – […] De quelle sorte de persuasion, et de la persuasion relative à quel objet, l’art oratoire est-il

un art ? » (454a8-9).

402 À partir de cette affirmation, Socrate peut montrer que pour être véritablement un orateur, il faut posséder la

connaissance de la justice, ce qui implique de toujours agir justement. Sans ce savoir, l’orateur n’est pas compétent pour donner un enseignement au tribunal sur le juste ou l’injuste, il ne produira qu’une persuasion de croyance en présence d’une foule (455a). Cette concession force Gorgias à démontrer la puissance de la rhétorique et à justifier son enseignement. Nous y reviendrons dans le quatrième chapitre.

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Noël, la justice n’est pas prise dans un sens absolu pour Gorgias : il ne s’agit pas de « faire reposer les discours sur la connaissance préalable des choses justes; […] le juste est ici sujet de délibération du peuple dans les assemblées »404. Voilà pourquoi, ajoute-t-elle, Gorgias cite

en premier les discours judiciaires et les tribunaux, car ce sont les lieux où l’on trouve une conception relative de la justice humaine, qui repose sur le consensus par le grand nombre. Autrement dit, le rhéteur s’appuierait sur une conception démocratique de la justice, basée sur une égalité arithmétique. Si Noël a raison de souligner que la rhétorique de Gorgias a lieu dans des institutions où la justice est déterminée relativement à la loi de la majorité, il nous semble que la compréhension du rhéteur ne corresponde pas au juste et à l’injuste déterminée suite aux délibérations d’une assemblée démocratique. Rien ne laisse entendre dans le texte une telle possibilité. Au contraire, il semble essentiel de distinguer la justice « démocratique » produite par l’égalité arithmétique des citoyens qui votent d’une forme opposée de justice que Gorgias et par la suite Pôlos ainsi que Calliclès mettent en avant et sur laquelle repose un usage légitime de la rhétorique. En effet, dans sa présentation, Gorgias a surtout insisté sur le pouvoir que la rhétorique procurait à l’individu en posant qu’elle concernait le plus grand des biens. Si la rhétorique se déploie dans des contextes où l’on discute sur la base d’une justice commune, déterminée par débat démocratique, son usage ne s’appuie pas sur cette justice « officielle » comme le sous-entendent à plusieurs reprises les propos de Gorgias. Ce dernier insiste sur le fait qu’elle sert les intérêts de l’individu (451d, 452d). En ce sens, comme rappelé plus haut, il cite la capacité oratoire de certains individus, Thémistocle et Périclès, qui ont réussi grâce à elle à faire primer leur avis personnel face à la foule. La rhétorique consiste donc à obtenir un pouvoir de se défendre ou d’attaquer autrui dans les instances démocratiques en se basant sur l’idée que le juste est ce qui est avantageux d’un point de vue individuel405. De sorte que la rhétorique de Gorgias ne se présente pas

comme un art au service de la cité ou du grand nombre, mais elle se place explicitement du côté de l’individu qui veut influencer ses instances et ses décisions, qui veut apporter ses conseils pour servir son bien ou se défendre dans les multiples occasions dont regorge la démocratie et dans lesquelles l’individu est menacé (tribunaux, etc.) Pour Gorgias, il s’agit ainsi de garantir la liberté (ἐλευθερίας, 452d6) de l’individu face à la cité. Il ne faut donc pas

404 Noël, « L’art de Gorgias dans le Gorgias », p. 138‑139.

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confondre ce qui semblera juste ou injuste à la foule sous l’influence du discours de la conception de la conception du juste qui motive l’usage de cet « art » par un orateur. Or, c’est précisément parce que ses principes sont peu compatibles avec une justice démocratique garantissant l’égalité entre ces membres que Gorgias sent la nécessité de redonner une « moralité » plus démocratique à son art en distinguant ses aspects offensif et défensif.

Cette conception de la justice comme ce qui correspond aux intérêts individuels transparaît clairement dans l’éloge de la rhétorique fait par Gorgias en 456a7-457c4 (dans la suite du dialogue, Pôlos et Calliclès jugent d’ailleurs l’intérêt de la rhétorique dans cette perspective). Dans le premier temps de sa tirade, Gorgias revient sur la puissance de son art, en montrant que « s’il le veut » (εἰ βούλοιτο, 456c2), l’orateur peut aisément gagner sur un médecin dans un affrontement à l’assemblée. Toutefois, il y a un risque à présenter d’emblée la rhétorique comme une arme pour protéger ses intérêts personnels et à l’enseigner en sachant qu’il est fort possible qu’on en abuse. C’est pourquoi dans la deuxième partie de son discours, Gorgias nuance l’usage de la rhétorique en insistant sur sa dimension défensive plus qu’offensive. Il souligne que malgré sa puissance, cela n’est pour autant un motif pour « frustrer de leur réputation, ni les médecins, pour la simple raison qu’il aurait le pouvoir de le faire, ni les autres professionnels, mais au contraire une raison d’user aussi de la rhétorique justement (δικαίως), comme on le fait également de la compétition qui vous met aux prises avec un autre » (457b1-5). En introduisant la notion d’usage injuste lorsqu’on attaque autrui, Gorgias cherche à redonner une certaine moralité à la rhétorique et à distinguer le professeur de rhétorique de son élève. Si, en effet, l’étudiant fait un mauvais usage de l’art en attaquant, ce n’est pas de la responsabilité du maître qui l’a enseigné pour se défendre face à une agression injuste. Cette déresponsabilisation est clairement explicitée par l’analogie avec les techniques de combat que fait Gorgias, comme si le contexte de l’usage de la rhétorique était semblable à celui d’un « ring ». Si le maître a transmis l’art de la boxe, de l’escrime ou du pancrace, c’est dans l’idée que ses étudiants les utilisent pour se défendre face à des ennemis (456e). Autrement dit, la rhétorique servira dans le contexte démocratique où l’on est attaqué injustement406. C’est dans cette perspective que l’enseignant aura transmis son art, et non

dans l’idée que son étudiant puisse en abuser pour devenir agresseur. La puissance de la

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rhétorique n’est donc pas à blâmer, ni l’enseignement du professeur, mais bien l’utilisateur lui-même, qui aura agi immoralement. Cette explication s’appuie sur l’idée que l’individu a un légitime besoin de savoir se défendre en démocratie, lieu non pas de l’égalité407, mais

d’une compétition entre les citoyens. En ce sens, la rhétorique fait écho à une peur profonde du citoyen athénien, celle d’être dominé par un autre, d’être incapable de se défendre et d’être esclave du bon vouloir d’autrui. Cette angoisse transparaît clairement dans les menaces de Calliclès à Socrate, puisque c’est le procès qui est le malheur le plus redouté408, situation où

l’on a le plus à perdre individuellement si l’on ignore la rhétorique. On voit donc que l’art