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L’ergonomie de l’activité humaine est « l’analyse globale des situations de travail en vue de les améliorer » (Darses & de Montmollin, 2006, p. 6). Elle poursuit deux objectifs: le premier est centré sur les organisations et sur les performances (efficacité, productivité, fiabilité, etc.) ; le second est centré sur les personnes (sécurité, santé, confort, facilité d’usage, satisfaction, intérêt du travail, plaisir, etc.).

Les méthodes privilégiées par les ergonomes issus de ce courant sont celles de l’analyse de l’activité. Il s’agit d’analyser l’activité de personnes particulières dans des situations où elles effectuent des tâches particulières. Le cœur de l’analyse est donc l’activité humaine dans le travail, qui est définie comme « un processus où interagissent l’opérateur [...] et son environnement sociotechnique » (Darses & de

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Montmollin, 2006, p. 14). Le travail de l’ergonome consiste alors à comprendre (diagnostic ergonomique) et à intervenir (intervention ergonomique) sur les situations de travail.

Des distinctions existent quant à la notion de tâche. La tâche affichée est celle qui est officiellement prescrite (également appelée tâche prescrite), et la tâche attendue est celle qui est réellement exécutée (également nommée tâche réelle), en tenant compte des événements techniques et organisationnels (Falzon, 2000).

2.2.1 Théorie de l’activité

La théorie de l’activité prend racine dans les théories des psychologues russes Vygotsky, Leontjev et Lurija, et elle forme la base sur laquelle se constitue aujourd’hui une communauté internationale et multidisciplinaire. Il s’agit d’un cadre théorique pour l’étude des différentes formes de pratiques humaines en tant que processus développemental, tant au niveau individuel que social (Kuutti, 1995).

L’idée centrale de la théorie de l’activité est que l’approche dualiste qui oppose généralement l’individu et la société ne permet pas d’expliquer les profondes transformations sociales qui s’opèrent. L’approche préconisée par les théoriciens de l’activité est une approche dialectique qui lie l’individu et la structure sociale dans laquelle il s’insère (Engeström, 1999a).

Une activité est une pratique sociale orientée vers un objet, et les différentes activités se distinguent entre elles par leurs objets. L’activité existe à travers un motif (outcome) qui va transformer l’objet (qui peut être tangible ou non, comme par exemple une idée) en un résultat. Il est possible que l’objet et le motif changent pendant la réalisation de l’activité. La relation entre l’objet et le sujet est médiée par un outil. Le sujet construit l’objet, en utilisant des artefacts. Ces derniers peuvent être physiques (un livre, un caillou, par exemple) ou abstraits (un système de symboles, un ensemble de règles, des représentations internes telles que les modèles mentaux, par exemple) (Engeström, 1999b; Rogers, 2012). Le cadre d’analyse proposé par Engeström (1987) tient compte des différents acteurs du système et de leurs relations (voir Figure 1).

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Il s’agit d’un ensemble systémique qui contient des relations mutuelles entre sujet, objet et communauté. La relation entre sujet et objet est médiée par les outils, tandis que la relation entre le sujet et la communauté est médiée par les règles.

Quant à la relation entre objet et communauté, elle est médiée par la division du travail. Un outil, qu’il soit matériel ou qu’il permette de soutenir la réflexion, est utilisé dans le processus de transformation. Les outils ne doivent pas être confondus avec les objectifs. Les objectifs sont liés à des actions spécifiques, ces dernières ayant un début et une fin bien déterminés et un cycle de vie relativement courts. Les systèmes d’activité, quant à eux, évoluent à travers des cycles dans lesquels le début et la fin sont difficiles à identifier (Engeström, 1999b). Les règles sont à la fois des normes explicites et implicites, et des conventions sociales. La division du travail, qui correspond à l’organisation de la communauté, amène au processus de transformation de l’objet vers un résultat précis (Kuutti, 1995).

Figure 1. Le modèle d’un système d’activité selon Engeström, 1987

Pour Kuutti, le lien entre la théorie de l’activité et les sciences de l’information réside dans la capacité des technologies de l’information à automatiser certaines opérations, se substituant aux opérations effectuées par l’humain, et élargissant ainsi l’étendue des actions possibles pour les humains. Non seulement la technologie peut servir d’outil, mais elle peut former une matrice d’activités (Kuutti, 1995).

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La théorie de l'activité peut être appliquée à plusieurs d'activité, en particulier l'analyse du travail, la technologie et l'éducation (Rogers, 2012). Un numéro spécial de la revue Computer Supported Cooperative Work a été dédié à démontrer la pertinence de ce cadre théorique pour le développement de logiciels. En introduction de ce numéro spécial, Redmiles (2002) constate que la définition de la complexité de l'activité de conception de logiciels s'est transformée. Alors que la complexité était traditionnellement expliquée à travers des algorithmes, la définition s'est étendue, incluant de nombreux composants et niveaux d'abstraction. La complexité est alors définie « en termes d'activités dans lesquelles des personnes intéressées sont impliquées et dans lesquelles des logiciels remplissent un certain rôle » (ibid, p. 1). La théorie de l'activité permet alors de décrire des phénomènes sur différents niveaux.

Collins, Shukla & Redmiles (2002) ont proposé l'étude de cas d'une équipe de travail d'une grande entreprise multinationale. Après avoir mené des entretiens avec 32 employés d'un groupe de travail responsable du support à la clientèle, les auteurs ont identifié les différents éléments qui constituent la théorie de l'activité:

objet, sujet, artefacts, règles, communauté, ... Cela leur a permis d'émettre des recommandations dans le but d'améliorer les pratiques de travail dans l'équipe étudiée. Lorsque les auteurs ont présenté leurs résultats aux participants de leur étude, ils ont constaté que le modèle d'Engeström n'était pas évident à comprendre, provoquant quelques confusions chez les participants, notamment en ce qui concerne les relations entre les différents éléments et la notion d'objet, mal comprise. Cela est dû au langage commun, qui ne comprend pas "objet" dans le même sens que dans la théorie de l'activité. Cependant, comme points positifs, les auteurs relèvent que leur analyse a permis une prise de conscience de la part des personnes impliquées de leurs activités. Cela a également permis aux auteurs d'identifier les aspects fondamentaux du système d'activité étudié. Bien que cette approche demande une grande maîtrise des concepts sous-jacents, elle possède des aspects pertinents pour la conception.

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