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Retour sur le concept d’agriculture alternative

1.2 Les agricultures alternatives, modalités de la 

1.2.1   Retour sur le concept d’agriculture alternative

transition agro­écologique 

 

1.2.1 Retour sur le concept d’agriculture alternative 

 

L’agro­écologie  française,  telle  que  définie  précédemment,  a  des  contours  assez  poreux.  Un  ensemble  assez  vaste  de  pratiques  est  donc  susceptible  de  s’y  retrouver.  Ces  pratiques  peuvent  être  regroupées  sous  la  dénomination  commune  d’agriculture  alternative.  Le  concept  d’agriculture  alternative  est  issu  de  l’expression  anglaise  « alternative  agriculture »,  dans  laquelle  « alternative »  indique  une  solution  de  remplacement  cherchant  à  minimiser  l’usage  d’intrants  de  synthèse  (Pervanchon  et  Blouet,  2002).  La  sociologue  Estelle  Deléage  en  donne  la  définition  suivante :  « des  pratiques agricoles respectueuses des humains et de l’environnement contre le modèle dominant d’une  agriculture productiviste » (Deléage, 2011).   La sociologue ajoute que les mouvements agricoles alternatifs sont liés aux « effets néfastes de la  mise en œuvre d’une agriculture intensive après 1945 » (ibid.). Des mouvements précurseurs ont vu le jour dès le début du XXème siècle autour de ce qui deviendra l’agriculture biologique (Besson, 2009).  D’autres sont nés dans l’Ouest de la France dans les années 1970, avant de se diffuser plus largement sur  le  territoire  national  (Deléage,  ibid.).  Il  existe  par  ailleurs  un  site  français,  www.agricultures­ alternatives.org,  qui  regroupe  différents  mouvements  ayant  en  commun  « de  se  poser  comme  des  alternatives,  plus  ou  moins  radicales,  au  modèle  dominant  représenté  par  une  agriculture  intensive, 

réduite à sa seule fonction de production et parfois qualifiée d’industrielle 20». Cette dernière définition 

souligne le caractère relatif de la rupture avec le modèle dominant, celle­ci pouvant être marquée ou  superficielle.  Ce  point  est  à  retenir,  dans  la  mesure  où  il  est  possible  de  regrouper  sous  cette  même  appellation des pratiques cherchant à ajuster les pratiques dominantes et d’autres rejetant totalement  l’agriculture conventionnelle.  

Dans un article de 2001, Samuel Féret et Jean­Marc Douguet ont mis en avant la diversité des agricultures  alternatives  (Féret  et  Douguet,  2001).  Cette  première  synthèse  a  depuis  été  reprise  et  retravaillée lors d’un numéro spécial de la revue TransRural Initiative mettant en avant les alternatives à  l’agriculture conventionnelle (TransRural Initiatives, 2009). Ce premier travail donne à voir le « jeu des         

1ère partie 

sept  familles »  des  agricultures  alternatives  françaises,  mais  nécessite  une  actualisation  au  vue  des  évolutions de ces dernières années.  

Pour autant, il ne s’agit pas de simplement compléter le tour d’horizon déjà établi. L’intérêt des  agricultures alternatives, au regard de cette thèse, réside dans leur capacité à répondre à de nouvelles  injonctions.  C’est  donc  dans  un  double  objectif  que  se  situe  ce  chapitre :  recenser  plus  largement  les  agricultures alternatives, et les intégrer dans le contexte de l’agro­écologie française. Précisons toutefois  que  ce  travail  n’a  pas  pour  ambition  de  définir  avec  exactitude  chaque  mouvement,  mais  plus  modestement d’en donner les grandes lignes. 

Pour  cela,  tout  en  s’appuyant  sur  la  base  posée  par  Feret  et  Douguet  puis  par  TransRural  Initiative,  un  état  de  l’art  a  permis  de  compléter  le  tour  d’horizon.  Une  investigation  sur  Internet  a  ensuite été nécessaire pour compléter les travaux scientifiques traitant d’une alternative en particulier  ou de la comparaison d’une ou de plusieurs d’entre elles. Cette enquête s’est basée, dans un premier  temps,  sur  un  recensement  des  sites  Internet  tenus  par  les  différents  acteurs  de  chaque  agriculture  alternative.  Feret  et  Douguet  en  identifient  quelques­uns.  Ils  ont  été  complétés  par  les  partenaires  affichés sur les sites, ainsi que par les organismes évoqués dans la littérature scientifique. Ensuite, et sur  chaque plateforme, les ressources disponibles ont été parcourues à la recherche de documents cadres :  chartes, cahier des charges, textes précisant la position de l’organisme dans l’agriculture alternative en  question,  etc.  A  titre  d’exemple,  pour  l’agriculture  paysanne  un  site  dédié  existe21,  sur  lequel  il  est 

possible de consulter la charte de l’agriculture paysanne. Un onglet « partenaire » permet aussi de voir  les organismes sympathisants, dont les sites ont été visités dans l’objectif de compléter les informations déjà  recueillies  via  la  charte.  Deux  aspects  sont  alors  visés :  des exemples  d’application,  afin  de  saisir  l’application  concrète  de  l’alternative,  et  des  textes  positionnant  l’agriculture  paysanne  par  rapport  à  l’agriculture  conventionnelle  et  aux  autres  alternatives.  Un  suivi  régulier  des  principaux  organes  de  presses  agricoles  (la  France  Agricole,  Terre­net,  Pleinchamps,  Agridées)  a  aussi  été  effectué,  afin  de  surveiller l’évolution de chaque agriculture alternative dans le contexte de transition agro­écologique, et  de repérer son discours dans ce cadre.  Pour certaines alternatives, les références scientifiques sont ténues tandis que pour d’autres, un  état de l’art complet n’était pas possible dans le cadre de cette thèse. A titre d’exemple, et rien que pour  le cadre français, plus de 35 500 références bibliographiques sont recensées sur l’Agriculture Biologique          21 http://www.agriculturepaysanne.org/  

sur le site Abiodoc22 ; il est alors impossible de prendre en compte tout ce qui se dit sur l’AB. Les sites des 

principaux  acteurs  ont  été  enquêtés,  ainsi  que  les  documents  juridiques  encadrant  ces  pratiques.  Il  a  ainsi  été  possible  de  présenter  assez  finement  chacune  de  ces  alternatives  mais  aussi  de  regarder  lesquelles avaient le plus d’affinités et, au contraire, le plus de divergences. 

Ce  travail  de  recensement  permettra  par  la  suite  d’avoir  une  compréhension  plus  fine  des  évolutions agricoles franciliennes, en ayant un référentiel des différentes alternatives agro­écologiques.  Il appelle aussi à une enquête plus approfondie, reposant sur une base de donnée plus robuste que celle­ ci, afin de mieux classer et répertorier les différentes alternatives agro­écologiques.   

1.2.2 Les agricultures alternatives au regard de l’agro­écologie 

 

Treize  agricultures  alternatives  ont  été  identifiées  suite  à  ce  travail  préalable.  Elles  ont  été  traitées de façon à faire ressortir les principaux traits de chacune d’entre elles, au regard des attendus de  l’agriculture et sous le prisme de l’agro­écologie à la française.  

Pour cela, deux des trois grands axes de l’agro­écologie française ont été retenus : le rapport à  l’environnement  et  au  social.  La  dimension  économique  a  dû  être  écartée  faute  de  données  pour  la  plupart des alternatives. Cet aspect est essentiel puisqu’il crédibilise ou non la mise en application d’une  agriculture  alternative,  mais  en  l’absence  de  publication,  cette  dernière  a  été  écartée  pour  ne  pas  fausser le rendu final. En effet, chercher à savoir quel modèle est économiquement le plus rentable ou le  plus viable est une tâche dépassant l’ambition de cette thèse. Il faudrait pour cela comparer des modèles  économiques  allant  de  l’élevage  de  montagne  à  la  grande  culture,  regarder  de  près  les  subventions,  prendre en compte les débouchés privilégiés, le prix des différents intrants, etc. 

C’est  donc  sur  deux  axes  qu’a  été  construite  la  figure  1,  qui  positionne  les  agricultures  présentées  par  la  suite.  Plus  une  agriculture  alternative  affiche  un  cadre (cahier  des  charges,  décret  officiel,  charte,  etc.)  dans  lequel  est  affiché  une  volonté  de  (1)  promouvoir  l’emploi  rural  et  (2)  augmenter  l’autonomie  financière  de  l’exploitation,  plus  son  degré  d’engagement  dans  la  dimension  sociale  est  jugée  important.  De  même,  plus  son  cadre  annonce  comme  priorité  le  respect  de  l’environnement  au  sens  large  (biodiversité,  qualité  de  l’air,  de  l’eau,  du  sol,  paysagère)  plus  son  engagement  dans  la  dimension  environnementale  est  jugée  fort.  Ainsi,  si  une  agriculture  alternative         

1ère partie 

limite son engagement environnemental à un seul aspect (biodiversité auxiliaire, du sol, etc.), elle est  considérée moins engagée qu’une autre prenant en compte l’eau, l’air ou encore la biodiversité dans son  ensemble.  

 

Le  cadre  étant  généralement  donné  par  les  promoteurs  d’une  pratique,  le  risque  n’est  pas  négligeable  de  rencontrer  un  écart  entre  les  ambitions  et  le  niveau  d’exigence  affiché  d’un  côté  et  l’application sur le terrain de l’autre. C’est pourquoi, lorsque cela est possible, des retours plus objectifs  (littératures scientifiques) ont été pris en considération. Ont ainsi été mises en perspective : 

 L’agriculture  biologique :  Lamine  et  al  (2009)  reviennent  sur  les  différentes  modalités  de  la  conversion à l’AB en la comparant à des agriculteurs faisant le choix de l’agriculture intégrée,  donnant  ainsi  à  voir  que  la  robustesse  d’une  transition  repose  notamment  sur  la  solidité  des  échanges  et  des  réseaux  d’agriculteurs.  Stassard  et  Jamar  (2009)  réactualisent  le  débat  de  la  conventionnalisation de l’AB, montrant que deux systèmes d’AB, l’un porté par l’agro­industrie  et  l’autre  par  des  acteurs  historiques,  cohabitent  tout  en  étant  totalement  incompatible.  Alavoine­Mornas et Madelrieux (2014) montrent la diversité des profils amenant à la conversion  à l’AB ; leurs travaux sont présentés plus en détail dans le chapitre 2.2. Cordona (2014) met en  avant comment la progression de l’AB sur le territoire francilien est repris par des acteurs non­ agricole  pour  appuyer  des  demandes  visant  à  « écologiser »  un  territoire,  et  que  le  monde  agricole francilien s’en saisit aussi plus aisément, connaissant désormais mieux l’AB. Fleuy et al  (2014) montrent qu’il existe des ponts entre AB et AC, et que ces deux agricultures alternatives  sont  amenées  à  se  croiser,  du  moins  sur  leurs  marges.  Enfin,  Leroux  (2015)  revient  sur  la  structuration progressive, en France, de l’AB depuis les années 1950. 

 

 L’agriculture  intégrée :  Girardin  (1993)  détaille  tout  au  long  de  son  article  sur  l’intérêt  de  déployer à large échelle l’agriculture intégrée, tout en soulignant que derrière cette appellation  n’existe pas un cahier des charges applicables partout de la même manière, mais plutôt un fil  directeur à adapter en fonction de chaque contexte. Bonny (1997) revient sur plusieurs éléments  de définition et met à jour les différences entre l’agriculture intégrée et l’agriculture raisonnée,  tout  en  soulignant  le  danger  de  ces  appellations,  qui  pourrait  notamment  servir  la  communication de groupes agro­industriels. Ponge (2000) présente les avantages agronomiques  de  l’agriculture  intégrée,  avec  un  travail  comparatif avec  le  conventionnel,  le non­labour  sans  pesticide et le labour superficiel avec pesticide, montrant que l’agriculture intégrée est la plus  favorable à la biodiversité. Les travaux de Lamine et al. (2009) ont été présenté dans le cadre de  l’AB.  

 

 L’agriculture  de  conservation :  Hall  (2008)  montre  comment  l’agriculture  de  conservation  apparaît comme une solution d’avenir pour les agriculteurs canadiens, en les invitants à revoir  leurs pratiques via un respect du sol et la diminution des traitements. Les travaux de Fleury et al  (2014) ont été présentés dans le cadre de l’AB. Enfin, Laurent (2015) fait un état des lieux du 

1ère partie  développement de l’AC à travers le monde puis, dans un second temps, sur le cas particulier de  la France, en s’appuyant sur un travail d’informations géographiques.         L’agriculture durable : Landais (1998) voit dans l’agriculture durable un nouveau contrat social,  amenant  à  un  virage  nécessaire  de  l’agriculture,  où  la  durabilité  comprise  au  sens  du développement durable est le nouveau pilier. Féret et Douguet (2001) font un travail comparatif  entre agriculture raisonnée et agriculture durable, soulignant que l’agriculture raisonnée est une  évolution technicienne de l’agriculture productiviste, tandis que l’agriculture durable ne s’inscrit  pas  dans  cette  dynamique  productiviste  et  repose  sur  des  considérations  « d’ordre  éthique,  sociale et sociétale » (Féret et Douguet, ibid.).  

 

 L’agroforesterie : Sanchez (1995) montre comment l’agroforesterie est peu à peu devenue un  domaine  scientifique  à  part  entière  dont  l’ambition  est  de  combiner  durabilité,  compétitivité,  complexité  et  productivité.  Jose  (2009)  souligne  quant  à  lui,  d’après  une  large  analyse  bibliographique,  que  l’agroforesterie  fournit  quatre  grands  services  écosystémiques :  la  séquestration de carbone, le maintien d’une certaine biodiversité, l’enrichissement des sols et  enfin participe à la qualité de l’air et des eaux. Enfin, Ramachandran Nair et al (2009) reviennent  plus en détail sur le rôle majeur de l’agroforesterie pour la séquestration du carbone.       L’agriculture HVE : Vilain (2009) s’interroge sur la pertinence d’un nouveau label dans le paysage  agricole  français,  et  sur  son  opérabilité,  notamment  face  à  l’AB.  Bessou  et  Colomb  (2013)  reprennent  les  mêmes  interrogations,  soulignant  la  difficulté  d’harmoniser  l’ensemble  des  démarches  environnementales  prises  au  sein  du  monde  agricole  malgré  une  volonté  de  simplifier l’affichage et la communication. 

 

 L’agriculture écologiquement intensive : Bonny (2011) met en avant la pertinence de miser sur  l’intensification  des  processus  et  services  écologiques  pour  l’agriculture,  tout  en  revenant  sur  l’importance de mieux définir la place de l’agriculteur dans ce renouveau agricole. Goulet (2012)  montre comment l’emploi du terme « intensive » permet de séduire une partie des acteurs de  l’agriculture : dont le syndicat majoritaire (FNSEA) et le réseau FARE, regroupant les principales  firmes  agro­industrielles.  Enfin,  Griffon  (2013)  présente  l’agriculture  écologiquement  intensive 

comme  la  septième  révolution  agricole,  applicable  à  l’échelle  mondiale  aussi  bien  pour  l’agriculture des pays développés que pour l’agriculture de petite paysannerie. 

 

La principale difficulté réside dans l’engagement de certains de ces auteurs dans la promotion de  l’alternative étudiée.  Toutefois,  en  croisant  ces  différentes sources,  il est  possible  de  trouver  des  avis  s’accordant avec récurrence sur une direction prise par tel ou tel type d’agriculture alternative.  

 

Encore  une  fois,  l’idée  est  d’éclairer  sous  un  nouvel  angle  le  positionnement  des  agricultures  alternatives les unes par rapport aux autres à travers le filtre de l’agro­écologie à la française, tout en  gardant à l’esprit le caractère exploratoire de cette première tentative de classification.  

 

Les  agricultures  alternatives  ainsi  positionnées  révèlent  un  engagement  environnemental  globalement plus fort que l’engagement social, la plupart d’entre elles se limitant généralement à des  changements d’ordre technique (implantation d’arbres, utilisation de haute technologie, valorisation de  la biodiversité auxiliaire, etc.). La dimension sociale est sans doute plus rare car, par la teinte politique  qu’elle  donne,  elle  peut  limiter  le  déploiement  d’une  technique  aux  seuls  sympathisants  à  cette  sensibilité. D’autre part, le fait que la dimension environnementale soit plus prégnante souligne la prise  en compte des injonctions agro­écologiques, qui est davantage en attente d’évolution environnementale  que sociale.     Ces agricultures demandent à être présentées dans leurs principales caractéristiques. Toutes  ne sont pas logées à la même enseigne, les informations disponibles variant considérablement d’une  pratique à l’autre comme indiqué en début de chapitre. Afin de rester en cohérence avec le travail de  classification  préalablement  établi,  elles  sont  par  la  suite  classées  en  fonction  de  leur  degré  d’engagement tel que présenté dans la figure 1.   

 

1.2.2 Tour d’horizon des agricultures alternatives 

 

Les treize agricultures identifiées se distinguent par leurs techniques agricoles et agronomiques  mais  aussi  par  leurs  engagements  agro­écologiques.  Dans  un  premier  temps,  ce  sont  les  agricultures  alternatives  ayant  un  engagement  social  et  environnemental  jugé  fort  qui  sont  présentées,  avant  de