Permaculture Réseau français de
3. La honte et la culpabilité d'avoir recours à des pratiques qui sont mal vues
3.1.3 Les facteurs de la transition agroécologique au regard des institutions franciliennes
Les extraits mobilisés dans ce qui suit proviennent d’entretiens réalisés auprès de personnes aux statuts divers (chargé de mission, directeur de département, élu, etc.), représentant un organisme en lien avec l’agriculture francilienne. Ces entretiens sont disponibles en annexes.
Par leurs postures, ces personnes portent un regard sur l’agriculture francilienne, voire l’agriculture française ou européenne, plus large que celle d’un agriculteur ayant nécessairement le fonctionnement de son exploitation comme biais. Cela est sans doute moins vrai pour les élus et représentants syndicaux ayant aussi la charge d’une exploitation agricole ; mais leurs visions politiques ainsi que leurs responsabilités les amènent à des considérations plus générales.
La pression urbaine
Le rapport à la ville a été précédemment évoqué, sans pouvoir être véritablement repris, faute d’éléments quantitatifs suffisants. La région ÎledeFrance, même dans ses composantes agricoles les plus en marge, ne peut être détachée de la pression urbaine. L’urbanisation est perçue comme une menace pour les terres agricoles :
« [l’un des pôles du département] a pour objectif de préserver le foncier, en lien avec les problèmes qu’on connait en ÎledeFrance sur la vision des champs comme espace vide. Donc il y a des zones agricoles protégées, on fait de la préemption PPEAMP, c’est un acronyme barbare, un outil de 2005 qu’on utilise avec les collectivités locales, on en a de beaux exemples ici, pour protéger de gros projets fonciers. C’est un outil assez fort, mais y’en a très peu. Notre outil principal, c’est la commission, la CDPENAF, là aussi un acronyme un peu barbare. En fait, ça rassemble les différents représentants du monde agricole et environnementaux ainsi que des élus qui donnent leurs avis sur les PLU lorsqu’ils sont révisés. Notre but, c’est d’éviter que les collectivités tapent dans les zones cultivées, pour qu’elles aillent plutôt remplir les dents creuses. » (Entretien DDT 77)
« L’agriculture couvre 60% de notre département, ce n’est pas si urbain, donc y’a une volonté de défendre les surfaces pour ne pas perdre la production. On n’est pas dans la défense d’un modèle par contre ; on n’a pas plus de circuitcourt ou autre. On est plutôt sur des enjeux de foncier, pour du paysage, pour de la respiration. » (Entretien DDT 95)
« Bon, mais l’agriculture à une place économique importante : c’est l’exportation. L’agriculture devrait avoir une place plus forte, et pour ça on a besoin de filières, et de l’appui de l’exécutif. L’agriculture en ÎledeFrance, ce n’est pas une valeur d’ajustement par rapport aux autres sujets, comme le Grand Paris. Certains pensent encore que les espaces agricoles sont vides, ne sont pas productifs. Alors que derrière, y’a beaucoup de monde ! Il ne faut plus voir ces espaces comme des espaces vides. » (Entretien CESER)
Ces trois extraits donnent à voir différentes dimensions du rapport au foncier et de la pression urbaine. Ces trois acteurs s’accordent sur l’impossibilité d’endiguer le phénomène, et dès
3ème partie
lors l’enjeu se concentre sur la meilleure façon de le limiter ou de le contourner, d’en réduire les conséquences.
Pour la DDT 77, le principal enjeu sur la dimension foncière consiste à exhorter les collectivités à optimiser leurs documents d’urbanisme afin de limiter le mitage. Des dispositifs législatifs et réglementaires sont déployés à cette fin. Ces mesures sont déployées sur le territoire seineetmarnais par la DDT, qui assure ainsi l’une de ces missions. Mais, bien qu’il soit dans la nature de cet organisme d’agir sur ces problématiques, elle est ici prise en charge à travers une volonté de maintenir des espaces agricoles viables. La question foncière est principalement abordée de façon normative.
De façon assez logique, le même processus est mis en place pour la DDT 95. Tout en affirmant le caractère majoritairement agricole du département, il est question de conserver cette caractéristique. Dans cet extrait, il importe de souligner la neutralité de l’interlocuteur, qui ne défend aucun modèle en particulier et cherche simplement à s’assurer de la conservation des terres agricoles, quels que soit la technique de production retenue par l’agriculteur. D’ailleurs, ces espaces agricoles sont associés au paysage et à la respiration, reprenant les termes du SDRIF. La valorisation des terres importe moins que le maintien de leur statut pour la DDT 95.
Enfin, pour le CESER, organisme dont la vocation est d’émettre des avis et de produire des rapports après être saisi par le Conseil Régional, la question est évoquée avec conviction lors de l’entretien. La personne interrogée était alors président du CESER, sénateur en SeineetMarne et ancien président de la FDSEA 77. Son discours est assez vif, et défend avec force le besoin de lutter contre la perte des terres agricoles. Pour convaincre de l’importance de ces espaces, les arguments principalement mobilisés sont la productivité et l’emploi : l’ÎledeFrance serait une grande région agricole, et derrière chaque exploitation il y aurait plusieurs emplois, de la production à la vente en passant par la transformation. Cette dimension de filière est essentielle et défendue plus largement dans les différents rapports du CESER (cf. rapport TOULALLAN74).C’est par cette entrée,
essentiellement économique, qu’est défendue l’agriculture francilienne.
Cette pression urbaine, bien identifiée par ces trois acteurs, jouetelle un rôle dans le processus de transition agroécologique ? Si pour la DDT 77 et 95, le lien n’est pas formellement établi, pour le président du CESER la réponse est affirmative : « Et puis, vous dire aussi qu’il y a un vrai problème sur le foncier, c’est très fort en Îlede France, car une surface bétonnée est une surface qui ne produit plus, et dès lors, il faut produire 74https://www.ceseriledefrance.fr/sites/default/files/travaux/rapportenjeuxproductionapprovisionnement alimentaireilefrance_0.pdf
plus à l’hectare. Il ne faut pas non plus perdre de vue que nous sommes dans un contexte international… Tout cela fait que l’agroécologie se fera de plus en plus, et de plus en plus naturellement. Quand je vois les jeunes, ils ne se posent même plus la question. Ils voient les produits comme une méthode de rattrapage. » (Entretien CESER) La citation précédente donne à voir à la fois la logique du CESER mais aussi, plus largement, celle des instances « classiques » agricoles : il y a une nécessité vitale pour les exploitations agricoles franciliennes d’évoluer vers des pratiques associées à l’agroécologie. Les contraintes évoquées dans le chapitre 2.3 prennent ici une place majeure dans la transition agroécologique pour le CESER et son président qui, rappelonsle, exerce d’autres fonctions et bénéficie d’une certaine influence sur le milieu agricole francilien et les politiques publiques régionales.
Sur les trois organismes évoqués, c’est donc celui qui agit à l’échelle régionale et dont les missions reposent sur l’observation, la synthèse et la proposition qui va le plus loin sur le rôle de la pression urbaine. Les deux autres, ayant des missions davantage normatives et réglementaires, ne sont peutêtre pas en position d’émettre un tel avis : en effet, les DDT sont prioritairement occupés à gérer la situation présente, tandis que le CESER joue un rôle plutôt prospectif. C’est pour cela que ce dernier dépasse le simple constat, et avance aussi des conséquences à venir. Le propos devient alors paradoxal, puisque le CESER défend avec véhémence la sauvegarde des terres agricoles, mais voit dans l’urbanisation un levier de transition agroécologique par contrainte : il est nécessaire d’augmenter la productivité, tout en réduisant les coûts de production. De ce dernier point découle des conséquences positives, tel qu’un meilleur respect de l’environnement. L’écologisation de l’agriculture, conséquence logique de l’évolution agricole ou moteur de la transition l’agroécologie ? La pression urbaine est identifiée par un seul acteur, le CESER, comme facteur de transition agroécologique par contrainte. Toujours selon cet acteur, il s’agit donc d’une réponse à une contrainte, d’une adaptation nécessaire au maintien d’une agriculture vivante en ÎledeFrance. Reprenant l’exemple de sa propre exploitation, le président du CESER continue son exposé, démontrant que la trajectoire de la réduction est appelée à se généraliser :
« Et, la place des enjeux environnementaux dans tout cela est importante, mais il ne faut pas se limiter aux qu’en diraton de la société. Les gens sont effrayés quand ils voient un pulvérisateur ! Alors que c’est indispensable…Deux exemples pour illustrer ce que je dis : quand j’ai fait de la pommedeterre, je traitais contre le mildiou, et on n’avait pas des produits comme aujourd’hui, c’estàdire qu’il fallait traiter toutes les semaines, pour que le produit se