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CHAPITRE 6. DISCUSSION

6.3 Enjeux des services d’eau potable

6.3.3 Retour sur l’analyse institutionnelle

Les éléments théoriques fournis dans le chapitre trois sur les institutions de gouvernance ont montré que les services d’eau potable ont été gérés le plus longtemps dans un contexte politique coopté par le pouvoir. Le système de gestion de l’eau potable s’insère dans une structure institutionnelle où les arrangements interpersonnels des détenteurs du pouvoir ont primé sur l’ensemble des lois formelles pendant les dernières décennies. Dans un tel contexte, la confiance envers les institutions s’est effritée. Cette impression de ne pas être considéré ou inclus dans le système d’eau potable a, d’une part, réduit les incitations à s’engager dans ce système ou à y intervenir pour se faire entendre et a, d’autre part, engendré de bas niveaux de confiance envers l’opérateur et/ou l’État. Ben Abdelkader et Labaronne mentionnaient que ce type de structure institutionnelle faible ne parvient que peu ou pas à réduire la violence des groupes sociaux et des protestations (voir p.45). Sous le régime policier de Ben Ali, ces protestations étaient pour la plupart étouffées par un système répressif déployé dans toutes les sphères de la société. Après la révolution, la demande d’inclusion de la population dans la vie politique et économique a gagné en amplitude. Conjugué à la chute de la répression policière, cela a résulté en la multiplication des protestations, violentes ou pas, au sujet de l’eau potable et d’une série d’autres problématiques sociales et politiques. L’étude de l’activité conflictuelle est donc une fenêtre sur

les problèmes de fond du secteur à l’étude et ses symptômes dans la vie quotidienne des Tunisiens.

CONCLUSION

En cherchant à élucider les enjeux des services d’eau potable en Tunisie transitoire, nous nous sommes retrouvés devant une problématique multidimensionnelle aux contours très larges. Pour répondre à nos questionnements, nous avons donc emprunté une piste peu ou pas explorée dans le domaine de l’analyse des services publics : l'analyse des conflits émergeant d'un service public. Avec les services d’eau potable en Tunisie post-révolutionnaire comme cas à l'étude, notre intention spécifique a donc été de voir comment les services d’eau potable peuvent être générateurs de conflits. Pour y parvenir, nous nous sommes penchés sur des irrégularités de ce service ayant été problématique au point de créer des tensions entre acteurs et des remous d'ampleur dans les médias.

L'identification des enjeux d'un service public en regard d'articles des médias, eux-mêmes porteurs de biais, demeure une méthode controversée. Cependant, effectuer une collecte de données dans un pays en phase transitoire succédant à quarante années de censure et de surveillance est en soi un exercice complexe, quelle que soit la méthode choisie. Il s'est avéré qu'avec la méthode de l'analyse de la conflictualité, malgré son caractère exploratoire et naissant, un portrait intéressant des services d'eau potable a pu être dressé et des enjeux majeurs du secteur ont pu être identifiés. Ce qui a fait la singularité, voire la complexité de cette méthode est la recherche de validité et l’adaptation constante à un cas à l’étude lui-même en pleine transformation. Cette spécificité du cas tunisien a posé des défis propres à sa réalité et à son histoire et a forgé ce cadre méthodologique plutôt atypique.

Fidèles à l’approche constructiviste, nous avons bâti nos connaissances par un processus de va-et- vient entre l’accumulation de données nouvelles et la tâche d’adaptation et de clarification des références théoriques. Bien que notre première collecte de données ait été plutôt inductive, c’est cette dernière qui a forgé notre cadre méthodologique et nos questions de recherche en plus de faire émerger la nécessité d’une seconde collecte de données pour assurer la validité de nos résultats. La deuxième collecte de données s’est voulue déductive, en ce sens qu’elle cherchait à identifier des éléments d’analyse à l'aide d'indicateurs précis.

Toutes ces caractéristiques de notre démarche sont demeurées cohérentes avec l’étude de cas comme structure générale de recherche, que ce soit pour son caractère exploratoire, son approche

inductive ou l’intégration de plusieurs méthodes d’analyse, qui ont tous été combinés pour analyser des phénomènes qui sont à première vue, plus difficilement saisissables. Par-dessus tout, la pertinence de l’étude de cas s’est exprimé par l’importance qu’elle accorde au contexte du phénomène analysé, ce qui s’est avéré un incontournable dans notre analyse tout comme dans notre démarche.

Pour conclure, toutes les analyses qui ont été conduites montrent que la conflictualité apparaît comme un processus, voire un symptôme de répartition inégale de la ressource tant physique que planifiée. L’activité conflictuelle décelée au sein des services d'eau potable pourrait même être interprétée comme une compétition pour la ressource, ou encore, comme une demande d’inclusion à part entière dans son système de distribution.

L'inventaire des enjeux des services d’eau potable en Tunisie en 2012 illustre que la performance du service est bel et bien liée à sa gouvernance et que la gouvernance du service est effectivement en lien avec la gouvernance politique. Nous avons ainsi montré qu'en 2012, le principal opérateur des services, la SONEDE, fait face aux défis structurels du service, et ce, dans un climat caractérisé par une crise de confiance, à laquelle se conjuguent les interventions politiques d’un jeune gouvernement qui tente tant bien que mal de faire sa place dans un environnement instable. Restreinte financièrement, la SONEDE est coincée entre les besoins à court terme de satisfaction de la demande et de maintenance du réseau, et ceux à long terme qui exigent l’extension de celui- ci. Elle doit également composer avec les habitudes de bas tarifs instaurées par le précédent régime comme forme de régulation et gage de la paix sociale.

Au terme de cette recherche, nous pouvons arguer qu’en pleine crise sociale et politique, certains dossiers sont « sensibles » et que la population est très réactive aux irrégularités qui la privent de services essentiels. Avec les craintes et incertitudes reliées aux débats publics en période transitoire, repenser le dispositif institutionnel et idéologique du service public urbain le plus sensible peut apparaître délicat mais il est aussi porteur d’un grand potentiel de réconciliation entre l’État et la population.