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Politiques publiques relatives à la gestion de l’eau potable : de l’indépendance à nos jours

CHAPITRE 1. MISE EN CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE

1.3 Politiques publiques relatives à la gestion de l’eau potable : de l’indépendance à nos jours

1.3.1 Les grandes orientations du secteur

L'État adopte une stratégie de développement national qui mise sur le développement des pôles économiques -principalement le tourisme et l’industrie- pour stimuler l'activité économique de l'ensemble du pays vers le début années 1970. Ces pôles, à l’exception du grand Tunis, se concentrent tous sur le littoral, ce territoire à l’est du pays qui présente l’énorme désavantage d'être pauvre en ressources hydriques. L’État n’a d’autre choix que de faire du secteur de l'eau un secteur stratégique pour faciliter la réalisation de ses objectifs de développement national. Une nouvelle politique hydraulique est donc élaborée et intégrée au plan de développement écono- mique de l'État afin de résoudre les problèmes que pose la disparité spatiale de la ressource (Touzi 2009).

Cette nouvelle politique hydraulique se concrétise par une mobilisation accrue des eaux du nord et leur transfert vers les pôles de développement économique. L’ambitieux programme de construction de barrages et leur interconnexion a été mis en place à l’échelle du pays afin de combler les besoins de l'activité touristique et industrielle, de la consommation domestique et de l'agriculture irriguée : l'eau de surface en abondance au nord-ouest est ainsi transférée vers le littoral, soit le Sahel, Sfax, le Cap Bon, de même que Tunis, tel que le démontrait la figure 1.2 (page 7).

Jusqu’au milieu des années 1980, les politiques hydriques sont avant tout orientées vers la gestion de l'offre. Cette approche a permis une augmentation significative du taux de raccordement aux services d’eau potable en milieu urbain ainsi que la construction de grandes infrastructures hydrauliques. De la fin des années 1980 jusqu’au milieu des années 2000, la SONEDE unit ses efforts à ceux de la Direction du Génie Rural pour le raccordement en milieu semi-rural, puis rural. Suite à la réalisation des objectifs de raccordement, la SONEDE se penche sur la gestion de la demande et l’amélioration de la qualité des eaux, puisque les eaux souterraines de plus en plus saumâtres posent problème aux opérateurs d'eau potable en milieu

rural. Quatre stations de dessalement des eaux saumâtres voient ainsi le jour pendant cette dernière période7

.

Malgré les limites qualitatives et quantitatives8 de la ressource sur le territoire tunisien, les réalisations de la SONEDE ont permis au secteur d’atteindre un niveau de performance qui, selon les institutions internationales, est bien au-delà des standards observés dans le monde en développement (Banque mondiale 2006; Banque Mondiale 2009 ; Touzi 2009) : un taux de branchement de 100% en milieu urbain, de 93,8% en milieu rural et une infrastructure hydraulique qui mobilise 90% des ressources en eau utilisables (Kamel 2000).

1.3.2 Système de gestion partagée et solidarité nationale

Le raccordement à l’eau potable de la population tunisienne se base sur un système de gestion partagé entre la SONEDE et la Direction du Génie Rural, qui intègre un principe de solidarité nationale. Issu de la politique sociale élaborée au lendemain de l’indépendance, ce principe s’exprime par deux mesures d’application précises. D’une part, un mécanisme de péréquation tarifaire est appliqué entre tous les usagers de la SONEDE. La structure tarifaire est établie selon cinq niveaux de consommation. De cette manière, les grands consommateurs subventionnent l’accès au service des plus démunis. D’autre part, la solidarité nationale se fonde sur un mécanisme de péréquation territoriale. La structure de tarifs uniformisée à l’échelle du pays prévoit une répartition nationale des coûts d’approvisionnement. Les charges d’investissement sont partagées entre tous les usagers de la SONEDE, et la localisation géographique n’influence donc pas les tarifs. Cependant, même avec la péréquation territoriale, les investissements ruraux seraient trop lourds à porter par la SONEDE. Pour solutionner la rupture de l’autonomie financière de la SONEDE qu’occasionneraient les investissements ruraux, ces derniers sont pris en charge par la Direction du Génie Rural.

Officiellement, le Génie Rural a à sa charge les agglomérations de moins de 2500 habitants (à moins que la densité de population en milieu rural permette d’assurer une rentabilité minimale ; dans ces cas, la SONEDE en assume la responsabilité). Ainsi, en milieu rural dispersé, la

7Kerkennah (1984), Gabes (1995), Zarzis (1999) et Jerba (2000) (Seddik 2009).

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La limite qualitative s’exprime par la détérioration de sa qualité, et la limite quantitative, par l’insuffisance de la ressource dans certaines régions du pays.

Direction du Génie Rural entreprend la construction des infrastructures, et l’exploitation est ensuite déléguée à des associations d’usagers appelées Groupes de développement agricoles (GDA). L'approvisionnement y est assuré par des branchements collectifs, contrairement aux branchements individuels opérés par la SONEDE, et les usagers des GDA ne sont pas compris dans le principe de péréquation tarifaire mentionné ci-haut.

En bref, la gestion de l’eau potable en milieu rural s’avère assez complexe, principalement en raison de l’intervention d’une multiplicité d’acteurs issus de divers organes administratifs. Globalement, il faut rappeler que la péréquation territoriale est une initiative nationale, à laquelle contribuent la SONEDE et le Génie Rural.

Afin de clarifier la part de la population prise en charge par le Génie rural au sein de chaque gouvernorat et de chaque grande région, nous avons fourni le tableau et la carte qui suivent. Le tableau indique pour chaque gouvernorat la part de la population desservie par le Génie rural relativement au total de la population desservie9

. La figure 1.4 localise chacun des gouvernorats tunisiens au sein de la région dont ils font partie.

9 Il est à noter qu’au sein de chaque gouvernorat, la population desservie n’atteint pas 100%. C’est ce qui explique que les pourcentages du tableau se réfèrent à la population desservie et non totale. La population non-desservie varie de 0,00% à 9,05% selon les gouvernorats, avec une moyenne de 2,52% (Direction des statistiques et de la planification de la SONEDE 2013)

Tableau 1.2 : Part de la population desservie, approvisionnée par la Direction du Génie rural Grande région Gouvernorat & Région Part du Génie rural / Total desservi Grand Tunis Tunis 0,00% Centre-Est Sousse 3,52% Ariana 0,37% Monastir 0,00%

Ben Arous 1,63% Mahdia 13,94%

Manouba 3,82% Sfax 12,76% Total 1,04% Total 7,85% Nord-Est Nabeul 12,38% Sud-Ouest Gafsa 14,58% Zaghouan 30,22% Tozeur 1,61% Bizerte 19,59% Kebili 4,39% Total 17,02% Total 9,65% Nord-Ouest Beja 29,82% Sud-Est Gabes 6,57% Jendouba 40,81% Medenine 7,64% Le Kef 31,56% Tataouine 4,41% Siliana 35,94% Total 6,76% Total 35,13% Centre- Ouest Kairouan 34,06% Kasserine 49,91% Sidi Bouzid 49,82% Total 43,65%

Source : Laurence A. Morin (2014) à partir des données de la SONEDE (SONEDE, 2012)

Figure 1.4 : Localisation des grandes régions sur le territoire tunisien

Ce tableau démontre que la Direction du Génie rural est quasi absente dans la région du Grand Tunis, et qu’elle œuvre très peu sur le littoral et dans le sud tunisien. Ses activités se localisent davantage dans les régions du centre ouest, du nord-ouest, et dans une moindre mesure, du nord- est.

1.3.3 Déresponsabilisation financière progressive de l’État envers la SONEDE

La SONEDE a été fondée dans un contexte de consolidation des pouvoirs de l’État tunisien pour la concrétisation des objectifs de développement social et économique. À cette époque, l’État était un État développeur, centralisateur et planificateur (Ben Romdhane 2011).

On retrace les premières intentions de l’État tunisien de réduire son champ d'action dans différents secteurs de l'économie dans son VIe Plan de développement économique et social (1982-1986)10

. Ce changement de vision quant au rôle de l’État s’inscrit dans une période où la libéralisation économique est prônée, et justifiée par une idéologie de « moins d’état, mieux d’état ». On cherche donc à réduire la taille de l’État dans les économies en développement, pour « résoudre » leurs problèmes d’endettement sévère. La Tunisie n’y fait pas exception.

Dans le Xe Plan quinquennal de l’État tunisien (2002-2006), les orientations définies entraînent des impacts significatifs sur les finances de la SONEDE. Le nouvel objectif prioritaire de réduction de l'endettement de l'État oblige les entreprises publiques à améliorer leur capacité d'autofinancement.

Il est important de mentionner à ce stade que la SONEDE, autonome financièrement, se doit d’équilibrer ses finances, mais elle ne fixe pas elle-même ses tarifs. Ceux-ci sont établis à la suite d’une proposition de la SONEDE à son conseil d’administration, qui est ensuite présentée à son ministère de tutelle, et doit être ultimement approuvée par le Ministère des Finances et le Premier Ministre. La décision finale d’accepter ou non les tarifs relève de ces organes politiques. En ce qui concerne la sélection et l’attribution du financement des programmes et projets concernant les ressources hydriques, ils sont sous la responsabilité du Ministère du Développement et de la Coopération Internationale.

10 « Chaque fois que c'est possible, faire et n'entreprendre directement que là et où stratégiquement, sa présence est nécessaire », extrait du VIe Plan de Développement Économique et Social, cité par Alaya (1984, 9).

Bien que l'État ait largement modifié son implication et son soutien financier dans le secteur de l’eau depuis les dernières décennies, la structure de la SONEDE est restée relativement inchangée depuis sa création. Les arrangements institutionnels entre la SONEDE et son ministère de tutelle n'ont pas connu l'équivalent de ces transformations.

Jusqu’ici, nous avons vu qu’en Tunisie, les grands tournants historiques ont à chaque fois modifié la configuration du système de l’eau potable. Les transformations de l’environnement écono- mique, politique et social, ont été porteuses de changements dans ce secteur. Un survol du passé plus ou moins récent de la Tunisie est incontournable pour éventuellement faire le point sur les enjeux auxquels fait face le secteur de l’eau actuellement. Nous nous pencherons donc sur les caractéristiques et l’influence de l’ère du président Zine el-Abidine Ben Ali sur l’organisation des services d’eau potable ainsi que sur la phase transitoire, notre période à l’étude.