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CHAPITRE 4. STRATÉGIE MÉTHODOLOGIQUE

4.2 Méthode de collecte de données, phase 1 : terrain de mémoire

4.2.2 Particularités du terrain de recherche

4.2.2.1 Limites

Réaliser un terrain de recherche en terre étrangère comporte des barrières qui, autrement, ne se poseraient pas. Le fait que notre réseau de contacts n’ait pas atteint les sphères politiques et plus spécifiquement le Ministère de l’Agriculture incarne une première lacune de cette collecte de données.

Aussi, la différence de langues maternelles entre l'intervieweur et les interviewés a parfois généré du « bruit » dans la communication ; ces bruits ont « coloré » les entretiens sans toutefois les altérer de manière significative. Dans l'année précédant le terrain de recherche, l’apprentissage des bases de l’arabe littéraire et du dialecte tunisien, avec respectivement, un cours d'arabe débutant à l'Université du Québec à Montréal et plusieurs cours privés, ont permis de maîtriser les fondements de cette langue complexe. Lors du séjour en Tunisie, cet apprentissage s’est poursuivi avec un cours d'arabe dialectal tunisien intensif d'un mois offert par l'Institut Bourguiba des langues vivantes à Tunis. Ces efforts d'apprentissage de l'arabe tunisien n'ont pas été réalisés dans le but de mener les entretiens en arabe, mais plutôt d'initier l'immersion culturelle et de permettre la maîtrise d'un vocabulaire usuel. Bien que ces connaissances n'aient pas servi à la

collecte de données en arabe, elles ont tout de même facilité le travail de terrain. En effet, le chercheur qui tente tant bien que mal d'apprendre le dialecte du pays démontre son intérêt pour le contexte où il se trouve et attire par le fait même la sympathie de ses contacts et interviewés.

Ce qui constitue la principale lacune de nos entretiens est sans nul doute le fait que ceux-ci n’ont pas été enregistrés. L’enregistrement des entretiens n’était pas réalisable pour des raisons qui, selon nous, compromettaient la tenue des entretiens : le contexte du pays, encore marqué par la suspicion, la peur des interviewés d’être dénoncés ou de perdre leur emploi. C’est en fait l’expérience des premières entrevues qui a fait apparaître cette difficulté : la réticence de certains sujets à simplement nous accorder une entrevue, le refus des premiers sujets interrogés suite à notre demande d’enregistrement de l’entretien et l'inconfort créé par la suite.

Nous avons donc mené nos premiers entretiens avec une « prise de notes fébrile [...] en cherchant désespérément à suivre les propos de l’interlocuteur » comme le décrivent Beaud et Weber à propos des entretiens menés sans enregistrement (2003, 209). Un autre désavantage de l’entretien sans enregistrement est la difficulté à noter les signes non-verbaux (silences, rires, malaises, hésitations) essentiels pour l’interprétation de l’entretien (Beaud et Weber 2003).

4.2.2.2 Héritage dictatorial, soupçons et caractère essentiel de l’anonymat

En raison du contexte sociopolitique transitoire et pré-transitoire, les informations concernant l'État et ses différentes branches d'activité sont encore aujourd’hui peu transparentes, et les données peu accessibles. Dans un contexte politique houleux, où cadres et hauts fonctionnaires sont périodiquement limogés de façon arbitraire, où des épisodes de violence politique sont perpétrés à répétition et où les rumeurs éclatent et éclaboussent occasionnellement certains secteurs, tous sont craintifs pour leur sécurité et la préservation de leur emploi. Par conséquent, il n’est pas surprenant que les interviewés témoignent un inconfort ou même un refus à l'idée de mener une entrevue enregistrée.

La principale cause d'embarras à participer à une étude sur la gestion de l’eau en Tunisie s'explique par l'héritage d'un climat politique dictatorial qui a entretenu pendant quarante ans la culture de la peur. On doit considérer le fait que l'enregistrement et les signatures de consentement ne sont pas des pratiques courantes en Tunisie. Le respect de l'État des droits humains et civiques reste encore à être démontré et les Tunisiens en sont plus que conscients. Le

terrain de recherche a confirmé que la manière de procéder pour obtenir de l’information, des services, ou de l’emploi est le plus souvent par réseau de contacts, et c'est ce qui garantit la confiance.

Une doctorante tunisienne qui s'est entretenue avec des directeurs à la SONEDE dans le cadre de son mémoire nous a informé que cela peut prendre plusieurs rencontres avant de pouvoir établir une relation de confiance et de finalement en à venir poser les questions souhaitées.

4.2.2.3 Non-obtention du certificat d’éthique

Contrairement à la marche à suivre obligatoire dans le cadre de projets de recherche impliquant des êtres humains, nous n’avons pas mené nos entrevues conformément aux règles prescrites par le comité d’éthique en recherche de l’INRS. Pour les raisons mentionnées ci-haut, nous avions demandé une exemption de signature de consentement et d’enregistrement. L’exemption de signature nous a été accordée, sous condition qu’un consentement oral soit enregistré. Or, l’enregistrement est l’étape avec laquelle nous étions la plus inconfortable, tout comme c’était le cas pour nos interviewés. En effet, certains entretiens ont été particulièrement difficiles à obtenir. Deux de nos interviewés potentiels étaient même très réticents à nous accorder une entrevue : c’est l’effort acharné d’autres contacts qui est finalement venu à bout de les convaincre. Rappelons que nous interrogions des fonctionnaires d’un secteur au sein duquel des mises à pied arbitraires venaient tout juste de se produire. La précarité des emplois venant d’être prouvée, nous étions persuadés que les enregistrements auraient compromis la collecte de données. Selon nous, même pour ces interviews menés avec des spécialistes n’œuvrant pas au sein de la fonction publique, beaucoup d’informations auraient été tues, voire autocensurées sous enregistrement. Pour toutes ces raisons, nous avons conduit nos entretiens sans certificat d’éthique.

4.2.2.4 Révision de la validité des résultats obtenus et ajustements

Après six mois de terrain de recherche, bien que l’opérationnalisation de notre question de recherche sur les enjeux du secteur de l’eau potable ait permis de bien documenter notre objet d’étude, un problème méthodologique se posait. Nous n’arrivions pas à contrevérifier, ou à documenter davantage les pistes explorées lors des entretiens ou même dans certains écrits. Notre

ensemble de données, bien que très étoffé, était partagé entre des données au caractère soit trop « officiel » ou trop « officieux ». Parallèlement, l’information recueillie sur les insuffisances du réseau n’arrivait pas à expliquer pourquoi des conflits d'une telle ampleur sont survenus pendant l’été 2012 dans certains gouvernorats. En d’autres mots, il nous a semblé que les informations que nous détenions jusqu’alors représentaient peut-être trop partiellement la réalité que nous tentions d’observer. Données peu uniformes ou biais trop nombreux, pour éviter d’infléchir notre représentation globale du réel, nous avons souhaité assurer la validité interne de nos données à l’aide d’un deuxième ensemble de données.

Pour plusieurs chercheurs, la collecte de données constitue le moment fort de leurs travaux. Pour l’étude de cas, cela est peut-être encore plus vrai [...]. La première stratégie (qui aidera le chercheur à réduire l’influence de ses biais personnels et à approfondir son analyse du cas étudié) consiste à multiplier ses méthodes ou ses sources de mesure. Cette triangulation des données permettra au chercheur de combler les lacunes ou biais de chacune des méthodes ou des sources d’information dont il fera usage. (Roy 2009, 218)