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A la suite de la présentation des concepts, du contexte et de la méthodologie de recherche, nous présentons les résultats de notre terrain. Etant donné le processus émergent et itératif de la recherche, nous ne présentons pas les résultats étude par étude mais l’interprétation qui a émergé à partir des allers-retours entre le terrain et la littérature, et l’analyse inductive des données, en relation avec les concepts liés aux dynamiques de marché, à la légitimité et aux catégories de marchés (dont les frontières et les prototypes) (Brunk et al. 2018; Humphreys et Carpenter 2018).

L’analyse des données fait émerger un ensemble de dynamiques liées à la visibilité. Nous découvrons comment les producteurs de la mode agissent en pratique pour augmenter la visibilité de la catégorie de marché de mode principal au détriment de la visibilité de la catégorie de marché adjacent de la mode grande taille. La visibilité est un facteur primordial de légitimité dans le marché de la mode. En effet, nous rappelons l’importance de l’image et de la visibilité, intrinsèques à la mode (cf partie 1, 1.2.1).

Nous mettons en évidence trois types de visibilités : la visibilité symbolique, représentée par des prototypes clairement définis (chapitre 1) ; la visibilité physique définie par la manière dont les managers mettent en lumière -ou pas- certaines tailles de vêtements plutôt que d’autres dans les espaces de vente (chapitre 2) ; la visibilité sociale comme conséquence de la visibilité symbolique et physique (chapitre 3).

Enfin, les résultats révèlent certaines pratiques à la frontière des deux catégories, utilisées pour renforcer la légitimité des entreprises du marché principal de la mode et pour étendre leur catégorie de manière invisible (chapitre 4).

Nous terminons ce chapitre en présentant une étude longitudinale sur le lancement et les débuts de la marque Violeta by Mango. Les résultats observés illustrent les notions de visibilités symbolique et physique pour cette marque (chapitre 5).

153 Avant-propos

Avant d’entrer dans le vif des résultats, nous souhaitons vérifier que les acteurs que nous avons interrogés et observés , représentent les différentes sources collectives et individuelles décrites dans la partie 1 sur la légitimité (Deephouse et al. 2017). Pour rappel, les sources sont des acteurs, observant consciemment ou inconsciemment des sujets de légitimité. Les auteurs distinguent des sources accordant la légitimité par des actions collectives versus des sources accordant la légitimité par des actions individuelles. Nous avons ainsi complété notre tableau théorique initial répertoriant les sources selon Deephouse et al. (2017), à l’aide des deux colonnes de droite dans le tableau suivant.

Au niveau collectif, l’Etat est ainsi représenté par le médecin interrogé, travaillant au Ministère de la Santé, ainsi que par l’institution Mairie de Paris, qui a organisé l’exposition observée, « Grossophobie, stop ! ». Les organisations sont représentées par l’ensemble des répondants travaillant dans la fabrication et la distribution de vêtements de mode. L’opinion publique est représentée par l’ensemble des répondants au détour de certains verbatims. Les médias sont représentés par une journaliste interrogée, ainsi que par les articles de presse collectés. Les mouvements sociaux se manifestent par exemple à travers le site MaGrandeTaille.com, s’adressant à une communauté surtout féminine et ronde ; cette association essaie de mettre en valeur sa communauté, et de la pousser à s’accepter (body aceptance), et d’agir au sein d’une société stigmatisante vis-à-vis du gros. Au niveau individuel, les individus sont représentés par chaque répondant interrogé et par les conversations que nous avons pu lire à la suite de certains articles. L’individu activiste est représenté par l’interview d’une répondante bloggeuse de mode Gaëlle, ainsi que par l’organisatrice du salon de la Pulp Fashion Week, Blanche. Enfin, nous avons deux répondants, Christelle, directrice de collections et Sandrine, PDG, qui représentent les individus dans l’organisation.

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LES SOURCES DE LEGITIMITE ET NOTRE TERRAIN

Comparé au tableau initial (partie 1, 2.1.2), nous avons distingué dans les sources de niveau collectif, les organisations de mode conventionnelle des organisations de mode grande taille.

QUI (QUELLE SOURCE) ACCORDE LA LEGITIMITE ? (d'après Deephouse & al, 2017)

SOURCE THEORIE NOTRE TERRAIN (entretiens+ presse) NOTRE TERRAIN ET LA LEGITIMITE

LES SOURCES DE NIVEAU COLLECTIF

L'ETAT ET SES

AGENTS Principale source de légitimité

Ministère de la santé représenté par Mikaël, médecin spécialiste de l'extrême maigreur et

grosseur ; l'institution Marie de Paris et l'exposition "Grossophobie, stop!"

Délégitimer les poids extrêmes (anorexie et obésité). En particulier dans le secteur mode, délégitimation réglementaire

de l'anorexie (au Journal Officiel le 5/05/2017). Légitimer les silhouettes rondes grâce à une exposition LES

ORGANISATIONS (mode conventionnelle)

endossement de la légitimité sous forme de relations organisationnelles formelles

Les acteurs travaillant dans l'éducation (Alicia, Raoul) et dans la production/distribution de vêtements de mode conventionnelle (Thierry, Emma, …)

Légitimité normative. Légitimer l'organisation en ayant recours à des prototypes légitimes pour s'adresser attirer des consommatrices légitimes. Délégitimer la catégorie de marché

adjacent (la grande taille). LES

ORGANISATIONS (mode grande taille)

endossement de la légitimité sous forme de relations organisationnelles formelles

Les acteurs travaillant dans la production/distribution de vêtements de

mode grande taille (Jérôme, Frida, …)

Légitimité normative. Légitimer l'organisation en imitant les organisations de mode conventionnelle (isomorphisme).

L'OPINION

PUBLIQUE reflète les valeurs sociales

L'ensemble des 39 personnes rencontrées en entretiens peut représenter l'opinion

publique

Légitimité culturelle-cognitive. L'opinion publique malgré quelques progrès peine à légitimer le Gros et donc la mode

grande taille.

LES MEDIAS lien particulier avec l'opinion publique

Cindy journaliste, représente les médias dans la mode. Bernard directeur achats, explique le lien entre les annonceurs (en

général de grandes marques conventionnelles) et médias. La presse lue.

Lien financier entre les organisations et les médias du secteur mode. Légitimité normative et culturelle cognitive entretenue

par les journalistes de mode.

LES MOUVEMENTS SOCIAUX & GROUPEMENTS

D'INTERETS

réclament la dé-légitimation de certains sujets. Leurs arguments apparaissent communément dans

les médias sociaux

Le site MaGrandeTaille.com (par exemple) propose des articles destinés à des lecteurs

souffrant de surpoids et d'obésité.

Le site propose de nombreux articles cherchant à normaliser l'image du gros, et à délégitimer tout acte de grossophobie.

LES SOURCES DE NIVEAU INDIVIDUEL

LES INDIVIDUS

Jugements rapides et naturels ; acceptation passive des indices de

légitimité. En cas de légitimité contestée, processus + actif

d’évaluation

Chacune des 39 personnes rencontrées en entretiens

Les discours vis-à-vis de la légitimité des grandes tailles sont indépendants du poids ou du statut (producteur,

consommateur, ...) des individus rencontrés.

LES INDIVIDUS ACTIVISTES

Ils réclament la légitimation de certains sujets et la délégitimation

de certains autres.Argumentent dans les médias sociaux

Les répondants activistes individuels sont assimilables en action aux mouvements

sociaux collectifs (Gaëlle bloggeuse, Blanche organisatrice de la Pulp

FashionWeek)

Ces activistes luttent pour obtenir une meilleure légitimité culturelle-cognitive dans le marché de la mode (cf Scaraboto &

Fischer 2013).

LES INDIVIDUS DANS L'ORGANISATION

Distinguer la légitimité évaluée individuellement / évaluée collectivement. Permet de développer un modèle de processus qui relie les niveaux micro et macro.

Certains répondants n'ont pas les mêmes valeurs de légitimité individuellement et collectivement (Christelle, Sandrine)

Bien que favorables individuellement à une meilleure légitimité culturelle-cognitive des grandes tailles dans les collections, Christelle et Sandrine en tant que directrices d'organisations adoptent une légitimité pragmatique collective allant à l'encontre de leurs valeurs individuelles sur la légitimité.

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Grâce à Deephouse et al. (2017) qui ont affiné les caractéristiques de la légitimité, nous identifions dans notre enquête, une situation de légitimité controversée (partie 1, 2.1.1.6) : l’Etat (représenté par un agent de la santé), les organisations de mode conventionnelle, l’opinion publique qui stigmatise encore le gros, les médias souvent dépendants des organisations de mode conventionnelle, remettent en cause la légitimité du surpoids de l’obésité et par extension, de la mode grande taille ; a contrario, des institutions, des organisations de mode grande taille, des individus activistes, cherchent à donner de la légitimité à la mode grande taille. Les sources antagonistes ne sont pas équilibrées : dans la première situation, les sources sont nombreuses et toutes collectives, alors que dans la deuxième situation, nous identifions des sources collectives moins nombreuses et des sources individuelles (consommatrices et activistes) éparses.

Notre recherche fait un focus sur les dynamiques de marché mues par ces différentes sources de légitimité. Ces sources de légitimité vont exercer un jeu de légitimité entre les deux catégories de mode : la mode conventionnelle et la mode grande taille.