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CHAPITRE 4 : La présentation des résultats

4.5 Pourquoi rester sur le droit chemin?

Cette question toute simple, pierre angulaire de ce projet, est pourtant fondamentale. Qu’est-ce qui, à leurs yeux, justifie de persévérer dans leur processus de réinsertion sociale ? À cette interrogation, les trois hommes à l’étude répondent ceci : parce que j’ai beaucoup trop à perdre aujourd’hui, parce que j’ai regagné la confiance et enfin, parce que j’ai vieilli.

4.5.1 La peur de perdre

L’un des thèmes les plus forts et les plus récurrents des trois entrevues, la peur de perdre semble être une motivation importante pour ces hommes participant à l’étude à demeurer sur le droit chemin. Maintenant qu’ils ont renoué avec leurs proches et qu’ils ont

crainte à l’idée de perdre à nouveau la confiance et la fierté de ceux-ci, comme ils le décrivent ici-bas :

Tranquillement, les portes se rouvrent en avant de moi. C’est facile perdre la confiance, c’est très dur la retrouver versus les autres. Et là, tranquillement pas vite, sont en train de reprendre confiance. Faque, j’essaye tranquillement... Ma conjointe qui reprend confiance en moi. Ça fait peur, c’est sûr et certain que ça fait peur, ça fait peur.

— Rolland

Ben asteure, j’y pense avant de faire de quoi. (Intervieweuse) : Pourquoi ? Pour pas perdre ce que j’ai. Là je suis toute en train de rebâtir là. J’ai du monde fier de voir que je veux m’en sortir — Charles

Pis des ex qui sont enseignantes, j’en ai une qui est avocate, y veulent même pas m’avoir sur leur Facebook parce que dans leur tête, je suis pas correct. Ben des notes de même, quand je publie ça sur Facebook, c’est les premières à venir « tagger like » pis c’est valorisant… C’est ça que je veux pas perdre. Y’a ça qui a changé aussi. — Charles

Aussi, perdre contact avec certains des membres de leur famille serait une conséquence bien réelle face à une éventuelle récidive criminelle. Que ce soit la famille dans laquelle ils ont grandi ou celle qu’ils ont bâtie avec leur conjointe, il semble que la perspective des pertes qu’ils pourraient subir sur le plan des liens familiaux pèse désormais davantage dans la balance que les bénéfices de la criminalité. Nous étayons ci-dessous quelques exemples reflétant la peur de perdre les liens sociaux advenant une nouvelle offense :

Maintenant il est trop tard. Je suis pu prêt à faire cette vie-là. Le jeu en vaut plus la chandelle. — Gino

Aujourd’hui ben ce qui a changé c’est, je veux pas perdre ce que j’ai au niveau de ma famille, au niveau de mes amis, au niveau de la qualité de vie que j’ai retrouvé.

— Charles

(Intervieweuse) Si vous retourniez là-dedans, comment elle réagirait ? Ah je la perds. C’est non discutable, c’est non discutable. Parce que je lui en ai déjà parlé. — Gino

(…), tu fais encore une niaiserie, tu vas encore tout perdre. — Rolland

Ces liens familiaux sont donc d’une grande importance pour ces participants, des liens qu’ils ne sont pas prêts à risquer. Un bris de leurs conditions de suivi en milieu ouvert ou la commission d’un nouveau délit peut signifier le retour dans le système judiciaire. Par

conséquent, ils risquent de perdre la confiance, voire tout contact avec leurs proches. Il semble que, depuis qu’ils ont rebâti des liens significatifs avec leur entourage prosocial, la peur de compromettre ces relations agit aujourd’hui comme inhibiteur aux comportements délictuels, le rapport coût-bénéfice penchant désormais vers la conformité.

4.5.2 La confiance regagnée

Encore une fois, il s’agit d’un thème récurrent à travers les entrevues. Le concept plutôt large de la confiance se rattache toutefois à des thématiques que nous avons précédemment explorées. D’abord, la confiance retrouvée en ses capacités de travail et en ses aptitudes scolaires crée un sentiment de fierté auquel les participants s’accrochent et cherchent à reproduire. Aussi, ces hommes voient peu à peu les membres de leur famille et leur conjointe reprendre confiance en eux et dans le fait qu’ils vont s’en sortir : ils veulent éviter à tout prix de décevoir à nouveau leur entourage. Enfin, ils regagnent graduellement confiance en eux, ce qui les amène à se voir sous un jour plus positif, à faire des choix plus sains et à persévérer dans leur cheminement de réinsertion sociale. Rolland parle ainsi de la confiance en lui qu’il a retrouvée :

Là aujourd’hui, j’ai confiance en moi, ça prit longtemps avant d’avoir confiance de dire : « je retournerais pas ». Parce que t’as ben beau te le dire, mais avant je me suis jamais prouvé. Tsé « là c’est fini les osties de sale y vont manger de la marde », mais je retombais toujours. Je suis mort, je suis sorti de prison le 1er août, je suis mort le 1er août, la même journée, overdose de drogues. Pis je m’étais dit avant, « c’est fini, c’est fini la drogue... » Un moment donné, tu finis par perdre confiance en toi-même, coudons tsé, pis je me croyais. — Rolland

Bref, il semble que les succès sur le plan occupationnel et social sont d’importants motivateurs à persévérer dans le parcours de ces hommes. Qui plus est, même à petite échelle, ces succès surviennent lorsqu’ils adoptent des comportements prosociaux, leur prouvant qu’ils sont capables et qu’ils sont quelqu’un, même en dehors du milieu criminel. Ceci pourrait venir les renforcer positivement dans leurs nouveaux choix de vie.

4.5.3 L’âge et la maturité

Questionnés directement sur la raison du changement qui s’est opéré en eux, certains ont répondu que c’est l’âge et l’écœurement. Leur parcours criminel étoffé apparait donc comme un facteur de risque de récidive, tout comme un facteur de saturation pouvant mener à l’arrêt des comportements délictuels. Charles est le plus explicite quant à la relation qu’il établit entre l’âge et le changement qui s’est opéré en lui. En effet, il affirme avoir gagné en maturité puisqu’il se sent plus responsable et en mesure de différer ses envies, comme qu’il l’exprime ici :

Faque y’a des sacrifices à faire, pis là ben, peut-être qu’en vieillissant la notion de plaisir immédiat est passée, en tout cas j’espère. Parce qu’asteure… Tsé vraiment prendre mes responsabilités pis m’occuper de moi. — Charles

De plus, dans le cas des hommes de notre étude, le vieillissement semble être corrélé avec la lassitude du milieu criminel. Les participants ont tous mentionné qu’ils n’en peuvent plus de ce mode de vie et de la violence qu’il génère. Nous avons regroupé les unités narratives qui étayent ce sentiment de lassitude :

J’pense que j’ai juste vieilli. Ouin, ça pis être écœuré. C’est pas quelque chose que j’ai commencé à l’âge de 23 ans. Comme je te dis, quand j’étais jeune mon oncle s’est fait tirer, mes trois frères ont toujours été là-dedans. Faque j’ai grandi dans ça. Malheureusement, 20 ans, 18 ans après… Tsé un gars s’écœure. — Gino

Je suis écœuré de la violence. Le monde me croirait pas là… Je dirais ça à mes chums dans la rue, y me diraient : « voyons esti, t’es-tu rendu fif ? C’est quoi qui se passe ? » Non je suis pu capable, c’est tout le temps du stress, de la pression, jouer à qui est le plus toff, tu sais jamais quand est-ce que tu vas en manger un mal placé qui va te rendre légume. — Charles

Faque je suis sorti ce coup-là, j’ai dit : « là, là, c’est la dernière fois, là j’en peux plus ». – Rolland

Bref, je suis plus à l’aise avec ça, pis qu’est-ce qui a changé, ben je suis juste écœuré de tout ça. Je finis ça cette ostie d’marde là de sursis. M’a rester avec un sale caractère, mais j’aurai pu de dossier judiciaire. — Gino

En somme, nos participants sont maintenant des adultes d’âge mature et par conséquent, ne ressentent plus autant l’attrait du milieu criminel, dont ils sont même « écœurés ». Le fait qu’ils emploient des expressions telles : « je suis pu capable », « j’en peux plus », nous laisse croire qu’ils ont épuisé leurs ressources — physiques et psychologiques —

et qu’ils ont atteint leur limite dans le milieu criminalisé. La violence, le stress et les répercussions judiciaires ne sont que quelques exemples d’éléments auxquels ils souhaitent aujourd’hui se défaire. Par ailleurs, notons que l’âge possède une qualité explicative plutôt limitée. En effet, bien que les participants y fassent référence pour expliquer leur changement, l’âge n’explique pas pourquoi, par exemple, ils ne sont « plus à l’aise avec ça ». Nous estimons que les éléments précédemment cités ont davantage de poids dans la compréhension de leur réinsertion sociale.