• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : La présentation des résultats

4.4 Les autres éléments favorables à la réinsertion sociale

4.4.2 L’insertion dans un milieu de travail ou scolaire

Bien qu’ils n’aient pas été orientés vers ce sujet durant les entrevues, les trois participants ont parlé de leur situation sur le plan occupationnel. Le thème de l’emploi, auquel nous annexons l’école et les travaux compensatoires ou communautaires — même s’ils ne sont pas rémunérés, ils sont réalisés dans un cadre organisationnel qui contribue à l’acquisition de compétences professionnelles — est en effet récurrent dans leur discours et apparait comme étant un facteur contributif au maintien de la réinsertion sociale pour certains et même comme un point tournant dans la trajectoire criminelle de l’un d’eux. D’ailleurs, nous divisons ce grand thème en deux principales ramifications, soit le travail comme point tournant et le travail comme facteur contributif au changement. Sous ce dernier volet, nous regroupons les unités narratives qui font état de la priorisation de l’emploi et des avantages du travail.

A) Le travail comme point tournant

Dès le début de l’entrevue, Gino parle de sa carrière criminelle et de son exil au Manitoba. Sans même être questionné sur le sujet, la « maudite bonne job » qu’il a obtenu au là-bas est présentée comme étant un événement majeur dans son cheminement, car c’est à ce moment qu’il cessé tous ses agissements criminels. En effet, puisqu’il avait tout perdu après à son exil, il fut obligé de se rebâtir une vie et de travailler pour subvenir à ses besoins. Notons

que ce n’est pas banal lorsqu’un vendeur de drogues et voleur de coffre-fort dit qu’il a « travaillé pour son argent », ce qui, dans son cas, signifie qu’il faisait pour la première fois un travail légitime. Gino parle ainsi de son expérience :

Pis au Manitoba, j’ai trouvé une maudite bonne job, on m’a faite vraiment confiance. J’ai eu un camion de compagnie, je travaillais pour une sous-contraction. Faque je travaillais sur les autoroutes du Manitoba. Faque j’ai resté là longtemps, j’ai travaillé pour mon argent, j’ai changé de vie. Tsé, par la force des choses. Pis honnêtement, pas parce que je me suis levé un matin pis que je me suis dit « tsé chuis tanné là ». J’ai tout quitté au Québec pis je me suis ramassé avec rien. Fallait que… Je me suis rebâti avec de la confiance en moi, pis en travaillant, pis avec mes parents ça bien été. — Gino S’il semble évident que le fait d’avoir trouvé un emploi lucratif et valorisant pour Gino ait été un point marquant dans son parcours, il faut toutefois apporter certaines nuances. D’abord, celui-ci a fait le choix de partir dans le but d’échapper à la justice du Québec, non pas afin de s’amender de son ancien mode de vue. Aussi, le fait qu’il ait été en exil suppose qu’il était conscient d’être recherché (des mandats étaient d’ailleurs déposés contre lui) et par conséquent, qu’il devait faire profil bas et éviter d’avoir des problèmes avec la justice du Manitoba. De plus, comme il le mentionne, il ne possédait rien dans cette province. Nous supposons donc qu’il avait très peu de connaissances et que son entourage criminel était plus que limité. Sans contact avec le milieu et qui plus est, recherché, il est possible que Gino n’ait pas eu d’autres choix que de cesser ses activités délictuelles et de se tourner vers un emploi légitime.

B) Le travail comme facteur contributif

Se stabiliser sur le plan occupationnel apparait comme étant un objectif prioritaire chez tous les répondants, objectif qui, nous le verrons, contribue à leur réinsertion sociale. En entrevue, l’un d’eux l’énonce explicitement lorsqu’il affirme que l’école est pour lui le meilleur moyen de ne pas retomber dans le milieu criminel. Ajoutons qu’il est impératif pour certains de se trouver un emploi rapidement, car la précarité financière peut parfois les amener à choisir la facilité et ainsi, à commettre de nouveaux délits pour subvenir à leurs besoins. Pour un autre, la recherche d’emploi est une priorité, car le travail permet de se maintenir occupé durant la semaine. Nous avons regroupé ci-dessous des fragments du discours des participants concernant la priorisation de l’emploi ou de l’école :

(…), j’étais rendu euh… Comment on pourrait dire ça, pas asexué là, mais pas loin là, là. Tsé moins t’en as moins t’en veux. C’était pu ce qui primordait pour moi, c’était vraiment… Ce qui était primordial, c’était de retourner à l’école, mais je savais pas en quoi. — Charles

(…) j’ai beaucoup forcé quand je suis sorti l’année passée. J’ai ben, ben forcé. Je l’ai trouvé dur, j’ai travaillé dans toutes les jobines qui a pas, j’ai forcé pour travailler. – Rolland

J’en fais des sacrifices, mais c’est sûr, moi c’est mon école qui priorise, parce que l’école va m’éviter de retourner dans ma criminalité. Va me permettre de continuer ma vie dans le droit chemin pis pas retourner en prison. — Charles

(…), Ben j’avais toute des belles choses en avant de moi, je vais travailler, j’avais espoir, on va essayer de se forcer pour qui arrive de quoi de bien, on va essayer de vivre normalement (…). — Rolland

Faque ce qui est vraiment important, c’est de vraiment garder au moins un 40h semaine. — Gino

Outre le gain salarial, les participants tirent d’autres bénéfices de l’emploi et de l’école. Chez les participants qui semblent avoir le plus de lacunes quant à l’estime de soi (Rolland et Charles), nous trouvons un gain significatif de leur confiance en eux. Les encouragements des professeurs, tout comme les bons mots des responsables de paroisse, sont des sources de motivation à persévérer et contribuent à rehausser leur confiance en eux. Voici quelques extraits de leur discours :

Ben ouais, je veux savoir jusqu’où je peux me rendre tsé. Si je suis capable de me rendre à l’université, je vais y aller là, deux ans de plus pour avoir mon bac, je me suis renseigné. Si ça va ben au Cégep, je vais le faire. Va doubler ma paye, pis en plus, ça va fermer la gueule au monde, je pense. Tsé tout le monde qui a dit que : « Ouin Charles fera jamais grand-chose dans la vie », ben toutes les petites bolées au secondaire là, ben j’ai des meilleures notes qu’eux autres aujourd’hui. — Charles

Ça, ça m’a apporté en même temps, mes travaux compensatoires, une confiance en mes propres moyens, parce qu’y’a pu personne qui va me donner une chance de travail. – Rolland

Ça m’a redonné confiance en mes moyens que oui j’étais encore capable de travailler, oui j’étais capable de faire de quoi. Parce qu’un m’en donné c’est « ah non, ah non, ah non ! ». Tsé, ça fait tellement d’années que j’ai pas travaillé légalement. — Rolland

De cette confiance retrouvée, en ses capacités de travail et en ses aptitudes scolaires, découle un sentiment de fierté dont les participants s’accrochent avec énergie et tentent de reproduire. En ayant l’occasion de réaliser des choses concrètes et en constatant qu’ils y parviennent avec succès, ils gagnent en expériences pertinentes et en compétences, en plus de se sentir valorisés, comme qu’ils le décrivent ici-bas :

Yinke à matin, j’ai fait un examen, c’était en haut de 90. C’est sûr là ! En français, mes profs disent : « travailler avec toi, c’est comme du sucre à la crème. » C’est toutes des petits commentaires comme ça qui viennent consolider les choix que j’ai faits, qui me disent : « Charles, t’es pas un deux de pics là, t’es un gars qui est brillant pis sert toi en pour faire de quoi de bien dans la vie, ça va être plus valorisant. Tu vas être aussi valorisé, même plus que si tu faisais du mal ». — Charles

T’étais bon pour faire du mal, ben asteure, je veux savoir ce que je vaux. Tsé comme toi, tu vas à l’école, je vois tout le monde qui travaille icitte, y’ont toutes des bonnes jobs, leurs parents sont tout fiers d’eux autres, y’ont toute une belle vie stable, ben en tout cas, tu comprends ce que je veux dire. C’est ça que je veux. — Charles

Tsé asteure quand je suis fatigué ou cerné, c’est parce que j’ai étudié. J’me dis que je fais juste l’investir pour mon futur pis quand je vais chercher des grosses notes comme j’ai, je me dis que ça vaut la peine là. — Charles

Le fait d’avoir un emploi ou de suivre des cours permet aussi de maintenir un mode de vie stable et des habitudes saines : ces activités nécessitent une discipline de vie qui entre parfois en conflit avec des habitudes telles l’abus de substances illicites et les « virées » tardives. Par conséquent, afin de maintenir son emploi ou d’atteindre ses objectifs scolaires, le contrevenant est amené à réviser ses habitudes de vie. Nous avons regroupé ci-dessous les unités narratives se rattachant à l’importance de maintenir un mode de vie actif, axé sur l’emploi :

Là ces temps-ci, je travaille pas. Faque je pense que le sursis pis la probation, faut se garder ce mode de vie là. Moindrement que tu le perds là, tu tombes renfermé sur toi- même, c’est là que tu trouves ça dur. — Gino

Moi la mienne, quand j’ai eu mon sursis, j’avais ma job 45 h semaine. Pis à l’âge où ce que je suis rendu, je sors pu pis chuis rendu un gars relativement tranquille. À part les soupers par semaine, je rentrais travailler pis je m’en aller à la maison. Faque mon sursis me touchait pas super gros. Tsé c’est, j’suis très bien, je rentrais à la maison, ma routine habituelle. — Gino

Pis j’ai hâte d’avoir un emploi. Tsé l’emploi c’est pas juste une question monétaire, c’est un mode de vie. Faut ce mode de vie là, faut garder un emploi. Tsé, perd pas ton ouvrage, perd pas ce qui te fait lever le matin. Tsé asteure, je joue au PlayStation jusqu’à 2 h du matin pis je me lève y’é 13 h. Tsé j’ai pas… Tsé à l’âge de 15 ans je faisais ça. — Gino

Un autre gain notable de l’insertion dans un milieu professionnel ou scolaire est le fait de pouvoir y faire des rencontres prosociales. Rappelons que deux personnes significatives, dont les mots ont eu un impact positif certain chez Rolland et Charles, ont été rencontrées dans le cadre de la réalisation des travaux compensatoires ou communautaires. Au quotidien, cela leur permet aussi de socialiser et de développer un réseau de pairs prosociaux, comme nous le constatons dans les extraits suivants :

Moi quand je travaillais, même avec mon sursis, je voyais des gens tous les jours, ça me permettait de parler, ça me permettait de ci, permettait de ça. — Gino

J’ai pas le même réseau social non plus, j’en avais pas du tout à ce moment-là, mais aujourd’hui avec l’école, mes relations se développent pis je regrette pas. Je trouve ça génial. — Charles

À la lecture des éléments présentés, le travail volontaire, non volontaire ou académique s’impose comme un facteur qui contribue au cheminement vers la réinsertion sociale, car il permet au contrevenant de bâtir sa confiance en lui, de vivre des succès, de développer une routine saine de vie et de côtoyer des gens qui possèdent des valeurs prosociales. Aussi, dans un contexte où le délinquant est préalablement retiré de son milieu criminogène, le travail peut également être un point tournant dans sa trajectoire délinquante, l’aidant à se bâtir une nouvelle vie.