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CHAPITRE 1 : La recension des écrits

1.6 La problématique

À la lecture des points mentionnés plus haut, plusieurs constats s’imposent. D’abord, contrairement aux études sur le milieu carcéral dont la popularité ne cesse de croître, le milieu ouvert, quant à lui, bénéficie dans une moindre mesure de cette attention de la communauté scientifique. Les programmes communautaires de réinsertion sociale, les agents de probation, ainsi que tout le contexte entourant les suivis de sentences de probation et de sursis ont été peu étudiés durant les dernières décennies. Au Canada, mentionnons toutefois les études portant sur le rôle des agents de probation dans le processus de changement chez la clientèle judiciarisée et sur la valeur des rapports présentenciels au Canada (Bonta et coll. 2005 ; 2011 ; cités dans Lalande, 2012). Il n’en demeure pas moins que les quelques études liées à ces thèmes sont anglophones et ont été majoritairement réalisées aux États-Unis (Sampson et Laub, 1993 ; Warr, 1998, Sampson, Laub et Wimer, 2006 ; Visher et coll., 2009), où le contexte pénal et sociétal diffère de celui des provinces canadiennes. En ce sens, le présent projet se démarque et apportera certaines pistes de réflexion propres à la réalité du suivi en probation au Québec.

D’autre part, la majorité des études portant sur la récidive criminelle et l’importance des circonstances de vie dans ces trajectoires utilisent une approche quantitative. En effet, les résultats sont basés sur des données provenant de différentes banques de données officielles. Des variables, telles la présence ou l’absence de comportements criminels sur une période donnée, ainsi que la présence ou l’absence de la relation de couple, sont mises en relation afin d’en dégager des corrélations significatives. L’approche quantitative se heurte toutefois à certaines limites. En ce qui concerne le désistement, ou l’arrêt des activités délictuelles, se fonder exclusivement sur les données officielles pose problème puisque, étant donné le chiffre noir de la criminalité, elles ne révèlent qu’une fraction des crimes commis par les individus. En effet, seulement 2 % des délits seraient judiciarisés (Farrall, 2004 ; Dufour, 2013). Bien que ces données soient de bons indicateurs du cheminement criminel général de l’individu, une analyse du discours du délinquant quant à sa criminalité en bonifierait certainement la compréhension. Ouellet (2010) contourne ce problème méthodologique en choisissant de mener des entrevues structurées avec des questionnaires du type auto révélés. La méthode des calendriers d’histoire de vie fut privilégiée puisqu’elle avait l’avantage de recueillir l’information précise recherchée, tout en assurant une meilleure fiabilité des souvenirs chronologiques des répondants. Les entrevues structurées laissent toutefois peu de place à l’expérience des acteurs et aux thèmes émergents, c’est-à-dire ceux qui ressortent naturellement du discours des participants sans être suggérés. En ce qui a trait au facteur présence ou absence de la relation de couple et à son rôle sur le désistement au crime, les résultats, comme mentionnés précédemment, sont très mitigés. La méthode quantitative utilisée dans ces études est critiquée, car elle ne permet pas de tenir compte de la qualité de cette relation ni de s’interroger sur les autres variables sous-jacentes, notamment le degré d’investissement dans la relation et les valeurs prosociales ou procriminelles de la partenaire (Kruttschnitt et coll., 2000 ; Segrin et Flora, 2001 ; Rhule-Louie et McMahon, 2007 ; Serin et Lloyd, 2009 ; Craig et Foster, 2013 ; Dufour, 2013 ; Tremblay et Ouellet, 2014). Il serait donc pertinent, dans le but de mieux rendre compte de la complexité des relations amoureuses, d’interroger les acteurs sous un angle qualitatif.

Depuis l’avènement du Plan d’action gouvernemental La réinsertion sociale des

personnes contrevenantes : une sécurité durable, 2010-2013, l’intérêt pour la réinsertion

sociale des personnes délinquantes connaît un engouement naissant au Québec. L’étude de Dufour (2013), portant sur le désistement au crime chez les sursitaires québécois, contourne les écueils précédemment cités en choisissant d’aborder la question sous un angle qualitatif. Tout en laissant une place au récit spontané des délinquants, les entrevues semi-dirigées étaient orientées sur différents thèmes tels les facteurs structuraux, les relations institutionnelles et le changement identitaire. La relation conjugale n’était donc pas abordée de front, mais devait plutôt émerger du discours du délinquant, ce qui ne fut pas le cas dans cette étude. En effet, très peu de participants ont mentionné leur relation maritale lors de l’entrevue. L’auteur explique ce constat en formulant l’hypothèse que les hommes québécois ont, de façon générale, plus de difficulté à exprimer ce qu’ils ressentent face à leur partenaire, par crainte d’affaiblir le regard porté sur leur masculinité (Dufour, 2013). En somme, l’étude n’aborde pas la question du rôle de la relation de couple sur la réinsertion sociale des délinquants de manière approfondie ni les processus sous-jacents à cette relation amoureuse.

Bref, il existe peu d’études qualitatives au Québec traitant spécifiquement de la perception des délinquants quant à la qualité de leur relation de couple, de leur expérience du suivi judiciaire sur leur relation ou sur la façon dont celle-ci agit sur le succès de la réinsertion sociale du délinquant. Aussi, la minorité des études qualitatives francophones traitant du rôle des relations amoureuses et familiales sur la réhabilitation du délinquant ne sont pas récentes (De Coninck, 1982) ou l’abordent dans un contexte de recherche beaucoup plus large (Dufour, 2013). Enfin, les sujets eux-mêmes, les hommes probationnaires, n’ont pas fait l’objet d’études publiées au cours des dernières décennies.

Dans le cadre de ce projet, la méthode qualitative sera donc privilégiée pour examiner en profondeur la place qu’occupe la relation de couple dans le processus de réinsertion sociale des probationnaires. Considérée comme étant la plus adaptée à la compréhension du processus de désistement criminel (Maruna, 2001 ; Dufour, 2013), cette méthode permettra d’accéder aux perceptions des participants à l’étude et de comprendre comment leur expérience amoureuse singulière s’insère dans leur parcours de vie. Ce projet s’avère donc pertinent au

point théorique puisque, d’une part, les écueils méthodologiques précédemment cités y seront contournés et, d’autre part, la qualité exploratoire de l’étude permettra l’émergence de nouvelles idées et de nouveaux thèmes, et ce, tout au long du processus de recherche. Ajoutons que pour les intervenants du milieu du service de la probation, cette étude se joindra à leur effort de favoriser la réinsertion sociale, car elle apportera des éclaircissements quant aux variables entourant les facteurs contributifs au changement. Enfin, il faut souligner que les participants tireront également profit de ce projet, car en partageant leur expérience, ils continueront à évoluer dans leur cheminement de réinsertion sociale : ils pourront exprimer librement leurs frustrations et être écoutés sans jugement ; ils prendront davantage conscience de leur vécu à travers leur récit narratif et finalement ; ils pourront activement prendre part à la société en contribuant à la recherche universitaire, leur renvoyant ainsi une image plus positive d’eux-mêmes.