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LA RESPONSABILITÉ CIVILE

Dans le document Exécutif et judiciaire à Genève (Page 85-93)

1. LE PROBLÈME

1. Il est bien entendu exclu d'examiner ici l'ensemble des problèmes relatifs à la responsabilité de l'Etat cantonal qui justifieraient un volume entier pour eux-mêmes. On se bornera donc à prendre en considération le fait que les agents publics et les 1~onseillers d'Etat peuvent être poursuivis individuellement en responsabilité civile et qu'ainsi un juge peut être appelé à intervenir dans des affaires de ce genre. On relèvera les hypothèses où cette situation se produit et la procédure qu'elle implique. Notamment, comme en matière de responsabilité pénale, la question se posera de savoir si les membres des organes de l'Etat se trouvent dans une situation parti-culière par rapport aux citoyens en général.

2. Nous ne traiterons que de la responsabilité délictuelle des intéressés, faisant abstraction des problèmes que pose la responsabilité contractuelle de l'Etat qu'elle soit de droit public ou de droit privé. En effet, cette respon-sabilité ne paraît pas pouvoir être individuelle et concerner les conseillers d'Etat ou les agents publics ni impliquer la mise en cause de ces personnes directement par des tiers 1; au contraire elle suppose la responsabilité de l'Etat lui-même qui est partie au contrat.

II. LE DROIT FÉDÉRAL

3. Au plan de la responsabilité, la situation est aujourd'hui grandement simplifiée en ce qui concerne la responsabilité de la Confédération. En effet, selon la loi sur la responsabilité, et sous réserve de lois spéciales contraires, la Confédération répond seule vis-à-vis des tiers des dommages causés sans droit dans l'exercice des fonctions notamment par les conseillers fédéraux et les agents de la Confédération. Celle-ci a un droit de recours contre les intéressés s'ils ont causé le dommage intentionnellement ou par négligence

1 Sous réserve de la théorie de l'acte détachable; voir chapitre I paragraphe 7.

grave. Dès lors, la question d'une autorisation préalable à l'action en dommages-intérêts, comme on la connaît pour la responsabilité pénale, ne se pose pas.

III. LE DROIT GENEVOIS

4. Deux dispositions de droit fédéral et, par conséquent, prépondérantes sur le droit cantonal sont pertinentes en la matière. Il s'agit des articles 59 du code civil et 61 du code des obligations.

5. L'article 59 du code civil réserve le droit public cantonal quant aux relations juridiques des personnes morales de droit public cantonal. Cette réserve porte notamment sur la responsabilité de l'Etat pour les actes illi-cites commis par ses agents ou ses organes dans l'exercice de leurs fonc-tions 2 Il en résulte qu'à défaut de clause expresse du droit cantonal 3, l'Etat ne peut être recherché pour les actes illicites de ses magistrats ou de ses agents 4

6. L'article 61 du code des obligations soumet les fonctionnaires et employés publics à la responsabilité prévue par ce code lui-même 5 Cepen-dant, ce même article 61 autorise les cantons à déroger, par du droit public, au code des obligations, sauf si les actes illicites ont été commis dans l'accomplissement d'une activité qui se rattache à l'exercice d'une industrie 6 Il y a lieu de souligner que si l'article 61 du code des obligations ne mentionne que les « fonctionnaires ou employés publics », la jurisprudence a interprété ces termes comme visant aussi les membres d'une assemblée législative 7; la doctrine 8, quant à elle, a inclus, en outre, dans cette expression« quiconque exerce une activité conformément au droit public». Il en résulte qu'en l'absence de dispositions cantonales expresses, les agents publics et les magistrats peuvent être poursuivis individuellement s'ils commettent un acte illicite, au sens des articles 41 et ss. du code des obligations, dans l'exer-cice de leurs fonctions.

2 ATF 81 (1955) II 302 - Al/aman; 101 (1975) II 185 - P. et L. Ga11tscl1i.

3 Ou de droit fédéral: art. 42, 427, 955 CC et 6 LP.

4 ATF 81 (1955) II 303 Al/aman; 89 (1963) I 488 - Nyfeler; 79 (1953) II 433 Speziali; A. GRISEL, droit administratif suisse, 1970, p. 441; IMBODEN/RH1Now, Schweize-rische Verwaltungsrechtsprechung, 1976, n° 101/B/I/d.

5 ATF 90 (1964) II 278 Y.

6 L'hospitalisation dans un hôpital public n'est pas une activité relevant de l'industrie, voir ATF 102 (1976) II 47 - Veuve N.

7 ATF 31 (1905) II 718.

8 A. GRISEL, (note 4), p. 440, G. WERNER, le contrôle judiciaire à Genève, 1917, p. 63.

LA RESPONSABILITÉ CIVILE 85 7. Le législateur genevois a fait usage de la compétence que lui confère l'article 59 du code civil dans la loi sur la responsabilité civile de l'Etat et des communes dù 23 mai 1900. Cett1e loi prévoit que l'Etat répond envers les tiers du «dommage résultant... d'actes illicites commis soit à dessein, soit par négligence ou imprudence dans l'exercice de leurs fonctions par les magistrats qui le[s] représentent» (art. l) et du «dommage causé sans droit par leurs fonctionnaires ou employés dans l'accomplissement de leur travail, à moins qu'ils ne justifient avoir pris les précautions voulues pour prévenir ce dommage» (art. 2). Enfin, la loi soumet les actions résultant d'elle-même au code des obligations (art. 3). Le code des obligations s'applique, dès lors qu'il fait l'objet d'un renvoi par une loi de droit public cantonal, à titre de droit public supplétif 9Il nous paraît que cette référence aux règles générales du code des obligations figurant à l'article 3 de la loi sur la responsabilité a une portée limitée ne dépassant pas le cadre des actions prévues par cette loi elle-même. M. WERNER 10 affirme que le canton de Genève n'a pas fait usage de la faculté prévue à l'article 61 du code des obligations et qu'en consé-quence celui-ci s'applique seul - en tant que droit privé sans doute - à la responsabilité des agents publics. Il nous paraît en effet que le législateur genevois n'a pas utilisé cette faculté mais s'est borné - sous réserve de l'article 11 RSP examiné plus loin - à laisser s'appliquer les règles du code des obligations quant à la responsabilité des magistrats et des agents publics 11En outre, il est évident que la loi genevoise sur la responsabilité n'a pas exclu la responsabilité individuelle des fonctionnaires et des magis-trats mais s'est bornée à la doubkr d'une responsabilité de l'Etat lui-même.

8. Il en résulte donc qu'un tiers lésé peut s'en prendre aussi bien à l'Etat si les conditions de la loi sur la responsabilité sont réunies qu'aux fonction-naires, employés ou magistrats seulement dès que les conditions des articles 41 et ss du code des obligations sont réunies. Cette façon de voir est ren-forcée par le fait que l'article 11 RSP confirme la responsabilité directe envers les tiers des agents publics qui lui sont soumis. En outre, la juris-prudence et la doctrine genevoise 12 qui la cite admettent la responsabilité personnelle des magistrats qui forment un collège, que ces magistrats soient des juges ou des conseillers d'Etat 13

9 Par exemple ATF 81 (1955) II 304 - Al/aman; 79 (1953) II 432 - Speziali;

A. GRISEL, (note 4) p. 443; IMBODEN/RHINOW, (note 4) n° 101/1/B/c.

10 (Note 8), p. 62.

11 Dans ce sens, ATF 70 (1944), II 208 Dr Y.

12 G. WERNER, (note 8), p. 67 et 87.

13 G. WERNER, (note 8), p. 95 et ATF 79 (1953) II 435 sur la notion de magistrat.

9. Ce n'est point ici le lieu d'examiner en détail les conditions de la responsabilité de l'Etat, des magistrats ou des agents publics. Il suffit de constater que les conseillers d'Etat et les agents publics peuvent être action-nés en dommages-intérêts devant les tribunaux.

10. Contrairement à ce qui se produit dans certains cantons 14, le droit genevois actuel ne connaît aucune procédure d'autorisation préalable à l'introduction de l'instance civile en responsabilité. Il en résulte que les magistrats et agents publics ne semblent pas protégés contre des actions en dommages-intérêts parfaitement abusives. Cependant, dans les faits, cette protection existe puisqu'il sera rare qu'un tiers lésé recherche un agent public ou un magistrat plutôt que de s'en prendre à l'Etat lui-même dont la solvabilité paraît mieux assurée.

11. Si, toutefois, un magistrat ou un agent public devait être l'objet d'une action civile, le problème du secret de fonction se poserait. Le conflit entre l'intérêt à une administration complète et exacte de la justice et celui au maintien de ce secret devrait être résolu de la même manière qu'en ce qui concerne la responsabilité pénale.

12. On précisera cependant que si l'acte est ordonné par la loi, la consti-tution ou les devoirs de fonction et est conforme à ces textes et au principe de proportionnalité, il ne peut, en aucun cas, être illégal car la responsabilité civile ne peut être engagée sauf si la loi le prévoit expressément, pour des actes licites, du moins selon la doctrine actuellement admise en Suisse. En outre, en matière de faute, on doit se demander si la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la responsabilité des juges ne vaut pas aussi pour les magistrats membres de l'1~xécutif. A cet égard, dans son arrêt Speziali 16

le Tribunal fédéral a notamment déclaré: «Etant donné la position et la tâche du juge, la fréquente complexité des questions soulevées par les procès et les difficultés souvent très grandes de l'établissement des faits, on doit se montrer particulièrement exigeant en ce qui concerne la preuve de la faute ou de la négligence. Il importe en première ligne de distinguer les cas où le juge se rend coupable, par négligence, d'une violation flagrante des prescriptions claires ou impératives de la loi ou des devoirs primordiaux de sa charge, de ceux où il commet une simple erreur d'interprétation- ou d'appréciation. Dans les questions d'appréciation notamment, il ne peut y avoir faute que si le juge abuse manifestement de son pouvoir ... On peut se demander, il est vrai, si la nature des fonctions judiciaires n'exige pas que la responsabilité du juge ou celle de l'Etat, en raison de la faute du juge,

14 Voir, pour le canton de Fribourg, ATF 83 (1957) 1160- Meuwly et pour le Valais ATF 99 (1973) la. 301 Rossier.

16 ATF 79 (1953) II 437.

LA RESPONSABILITÉ CIVILE 87 soit en tout cas limitée à la faute grave. Car le juge doit trancher de façon définitive les litiges qui lui sont soumis. Toute loi de procédure prévoit un moment à partir duquel les jugements sont définitifs. Dès cet instant, ils ne peuvent plus être remis en question, sinon par la voie exceptionnelle de la révision. Il serait dangereux pour la sécurité du droit de permettre que les jugements définitifs soient précisément remis en question par le moyen indirect d'une action en responsabilité contre l'Etat ou contre le juge .... il serait dangereux également d'imposer au juge des exigences telles qu'elles risqueraient de paralyser son activité. De telle sorte qu'on doit se demander si la faute du juge ne devrait pas être limitée aux cas d'erreurs grossières et manifestes, comme pour l'avocat, le notaire ou le médecin ... Il n'est cepen-dant pas nécessaire de trancher cc~tte question, étant donné qu'en l'espèce il y a eu faute grave du juge».

13. Comme cette déclaration a été faite à l'occasion d'une affaire impliquant l'application de l'article 1 de la loi sur la responsabilité genevoise et que tant pour les juges que pour les magistrats de l'exécutif le droit genevois ne prévoit aucune dérogation expresse au code des obligations au cas où leur responsabilité personnelle est mise en cause, on ne voit guère pourquoi les juges bénéficieraient d'un régime différent de celui des conseil-lers d'Etat lorsque ceux-ci agissent comme des juges 16 ou agissent en qualité de gouvernants. D'ailleurs, dans un arrêt Meuwly 17, le Tribunal fédéral lui-même a déclaré: «Ainsi, l'opinion selon laquelle, en matière de justice administrative, les membres du Conseil d'Etat ne répondent que du dol et de la négligence grave ne se heurte à aucune disposition expresse de la loi.

De plus, elle se soutient par des arguments qui échappent au grief d'arbi-traire. Vu la complexité actuelle des affaires administratives, on ne peut équitablement rendre responsables magistrats et fonctionnaires de toute faute; décider autrement serait les entraver d'une façon insupportable dans l'exercice de leurs fonctions».

14. Quant aux agents publics, l'article 11 RSP ne leur impose une responsabilité envers les tiers qu',en cas d'intention ou de négligence ou imprudence graves. C'est dire que le RSP rejoint la jurisprudence du Tribu-nal fédéral quels que soient d'ailleurs les problèmes que soulève la validité de ce texte en soi et dans ses relations avec la loi sur la responsabilité 18On ne voit, au surplus, pas que les conseillers d'Etat, agissant comme

adminis-16 Voir, en droit fédéral, sur l'assimilation du Conseil fédéral à un juge JAA 1977/11, n° 35, p. 20 (commissions de gestion).

17 ATF 83 (1957) I 169; dans le même sens, pour le Valais, ATF 99(1973)1 a 301.

18 Le problème de savoir si l'article 11 RSP déroge ou non à la loi sur la responsabilité paraît se résoudre aisément si l'on admet que les deux textes ont un but différent. L'article 3 de la loi sur la responsabilité renvoie au CO pour les actions résultant de la loi elle-même

trateurs, puissent avoir une responsabilité plus grande que leurs subordon-nés 19

15. Il en résulte que, dans la plupart des cas, le secret de fonction n'aura pas à être levé et qu'il suffira que le défendeur au procès civil invoque, après y avoir été autorisé et sans en révéler nécessairement le contenu, l'ordre reçu de par la loi ou en vertu de la hiérarchie administrative et l'impossibilité ou la grande difficulté d'en reconnaître le caractère illicite, pour échapper à toute responsabilité en raison de l'absence d'acte illicite et de faute grave.

16. On mettra à part le cas du médecin-fonctionnaire qui cause un dom-mage dans l'exercice de ses fonctions. En effet, dans la mesure où il n'est pas soumis au RSP, sa responsabilité relève du code des obligations. Toutefois, elle n'est engagée que s'il agit avec légèreté ou en ignorant des choses qu'il devait savoir ou viole de façon impardonnable les règles de l'art 20Dans un tel cas, il va sans dire que le secret de fonction n'est pas plus applicable que lorsque le médecin agit à titre privé 21 Si le médecin-fonctionnaire est

contre l'Etat, alors que le RSP limite la responsabilité directe des agents publics, en déro-gation du CO conformément à l'article 61 de celui-ci. En conséquence, les deux textes sont pleinement compatibles, si ce n'est qu'il paraît que la responsabilité de l'Etat du fait de ses agents est plus large que celle des agents eux-mêmes envers les tiers. En revanche, dans la mesure où l'article 3 de la loi sur la responsabilité renvoie aussi à l'article 55, alinéa 2 CO qui prévoit un recours de l'employeur contre le travailleur responsable, l'article 11 RSP paraît y déroger en limitant ce recours aux cas d'intention ou de négligence ou imprudence graves. Ce problème n'a pas à être examiné ici (encore que l'arrêt MEUWLY

permette de répondre à cette objection).

En revanche, la question se pose de savoir si l'article 11 RSP déroge valablement au CO. La réponse est positive dans la mesure où cet article ne fait que reprendre un principe de droit fédéral exprimé dans l'arrêt Memvly précité par le Tribunal fédéral, principe qui serait dès lors applicable en vertu du droit fédéral, même en l'absence de texte cantonal exprès. La réponse est négative dans la mesure où le RSP n'est pas une loi ni un règlement pris en vertu d'une délégation car le Tribunal fédéral a, dans un arrêt Hutter (ATF 96 (1970) 1 218), interprété le terme« législation» figurant à l'article 61 CO comme ne pou-vant viser qu'une loi ou un règlement de substitution.

19 Pour l'assimilation des membres des autorités aux fonctionnaires en la matière, voir ATF 99 (1973) 1 a 298/9, Rossier.

20 ATF 70 (1944) II 209/10 -- Dr. X.

21 Dans un tel cas, la relation entre le médecin et son patient relève du seul droit privé (cf. ATF 82 (1956) II 325 -M), alors qu'elle est de droit public si le médecin-fonctionnaire agit en cette qualité. Le droit cantonal peut néanmoins s'il institue des règles sur l'activité privée d'un médecin-fonctionnaire engager la responsabilité du canton et créer un rapport d'usage relevant du droit public (ATF 102 (1976) II 52 - Veuve N); dans un tel cas, la responsabilité du médecin est celle d'un fonctionnaire. A Genève, il semble bien que la situation ne soit pas celle-ci pour les patients privés de l'hôpital dès lors que s'il existe un tarif officiel d'hospitalisation pour eux, les honoraires du médecin sont librement fixés, contrairement à la situation de i'arrêt Veuve N.

LA RESPONSABILITÉ CIVILE 89

soumis au RSP le secret doit être levé si les conditions des alinéas 2 et 3 de l'article 321 CP sont remplies; sa responsabilité est alors régie par le RSP.

On a ainsi affaire à une manière de dédoublement fonctionnel.

17. Il va, enfin, sans dire que s'agissant de la responsabilité civile des conseillers d'Etat et des agents publics pour des actes sans rapport avec l'exercice de leurs fonctions, le droit commun de la responsabilité civile s'applique.

CHAPITRE IV

Dans le document Exécutif et judiciaire à Genève (Page 85-93)

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