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UNE RESPIRATION NÉCESSAIRE

Dans le document 50 ANS DE THÉORIES DU COMPLOT (Page 51-54)

se rattrape jamais et que qui veut gagner plus doit travailler plus.

S’arrêter, prendre des chemins de traverse, c’est perdre son temps.

Pourtant les agronomes vous expliqueront que la terre en ja-chère ne fait pas rien. Les physio-logistes vous diront que nous pas-sons un tiers de notre vie à dormir, ce qui ne signifie pas que nous ne faisons rien de tout ce temps-là. Le sommeil et le rêve, jachère de nos vies, nous construisent: ils ferti-lisent nos pensées dont plus tard, si le grain ne meurt, nous récolterons les fruits. Les congés sabbatiques sont les nécessaires parenthèses où enseignants et chercheurs s’éloignent de l’impératif quotidien du rendement et de la production pour préparer, ni tout à fait active-ment ni passiveactive-ment, le travail de demain.

Au moment de publier tels tra-vaux, tel livre ou article, de don-ner tel cours, qui se souvient de ce temps apparemment perdu? On se rappellera la frénésie de l’écri-ture et les longues heures au labo-ratoire, mais qui saura encore d’où est venu le germe mystérieux du début? Il ne s’agit pas de décrier la volonté de travail et l’éthique de la belle ouvrage; dans un monde tourné vers la productivité et la per-formance, il faut seulement se sou-venir que ni l’une ni l’autre ne sau-rait exister sans cette cogitation où tant de choses se passent.

L’uni-versité a besoin de travailleurs as-sidus et de désir de réussite, mais elle a aussi besoin que cette éner-gie puisse se renouveler pour ne pas tourner sur elle-même et pro-duire des résultats rabougris par la répétition et l’épuisement.

Les congés sont indispensables pour écrire des articles scienti-fiques et des livres, se former sur des techniques particulières, mais aussi pour mettre à jour les cours en fonction des développements de la recherche et de leur évalua-tion: une remise à plat impossible dans le courant de l’année. Le congé scientifique répond à cette exigence de respiration nécessaire aux enseignants et chercheurs pour préparer la suite de leurs travaux et la continuité de l’institution.

A la différence du moment de la production, celui de la jachère de-mande de la confiance: on ne peut en mesurer immédiatement le ré-sultat et être sûr de ce qui se passe dans la chimie de notre sol; mais on peut réunir toutes les conditions pour que le résultat arrive. Cette confiance est nécessaire à la per-sonne qui donne ainsi du temps au temps, mais aussi à l’institution qui lui permet de prendre ce temps.

Dans une université où le savoir vivant est de plus en plus protéi-forme et imprévu, il faut tenter le chemin de traverse, ce chemin dé-tourné, cette «perte de temps» où l’université a tout à gagner.  BORIS VEJDOVSKY

Maître d’enseignement et de recherche en Section d’anglais de la Faculté des lettres

C.F. RAMUZ

Pour fêter la fin de la publication des Œuvres complètes de Ramuz, Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann signent un magnifique album de photos, en grande partie inédites, de l’écrivain. Une façon aussi heureuse que pertinente d’écailler un peu l’image sévère et monolithique qui s’est imposée dans l’espace public.

TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

AUTREMENT

INSOLITE

Michel Simon et C. F. Ramuz, vers 1935. L’écrivain tient Zaza, le singe de l’acteur.

© Toutes les images sont tirées de

«Vies de C. F. Ramuz», publié chez Slatkine

Allez savoir ! N° 55 Septembre 2013 UNIL | Université de Lausanne 53

C.F. RAMUZ

«I

l n’y a pas de révélation tonitruante, ce n’était du reste pas notre but. Mais ce livre nuance, hu-manise. Il permet de voir de manière plus pré-cise quel grand effort Ramuz a fait toute sa vie pour se bâtir tel qu’il est devenu», tient à préci-ser d’emblée le professeur Daniel Maggetti, coauteur avec le responsable de recherche Stéphane Pétermann, du bel ouvrage illustré Vies de C. F. Ramuz, contenant des dizaines de photos inédites du grand écrivain, ainsi que de riches té-moignages de son travail.

Là est bien le cœur de cet ouvrage, superbe par ailleurs dans sa forme et sa plastique. La confrontation entre l’ico-nographie classique de Ramuz (à la posture rigide, aus-tère, et au regard perçant) et ces nouvelles images (sou-vent prises de manière spontanée, dans le cadre familial ou du moins privé, c’est-à-dire sans que l’intéressé en soit conscient) dévoile avec force ce travail de mise en scène constant. «Ramuz prend volontiers la pose», poursuit Da-niel Maggetti, directeur du Centre de recherches sur les lettres romandes. «Il est très conscient de son image, qu’il a construite, façonnée. Il a tellement bien réussi que celle-ci a fini par faire corps avec la manière dont on l’a perçu.»

Et d’émettre que ce phénomène explique notamment pour-quoi, dans la génération qui l’a suivi, il y a eu tant de réti-cences face à cette figure: «Ramuz était un auteur admiré, mais aussi écrasant. Pour faire simple: on n’éprouvait pas vraiment de sympathie à son égard…»

Ramuz l’écrivain un brin hautain a ainsi évincé Charles Ferdinand, «l’étudiant lausannois qui a suivi une

éduca-tion religieuse et fait des études de Lettres, le fils d’épi-cier qui s’est marié sur le tard, dont le frère, la sœur, et jusqu’à la femme et l’enfant, sont à peine mentionnés dans une production pourtant foisonnante, et dont la part autobiographique est loin d’être insignifiante», écrivent les auteurs. Le discours et l’imagerie officiels ignorent la présence d’une «mère prévenante», «l’attachement d’une petite sœur choyée», «l’épouse attentive aux soucis do-mestiques», la «fille qui est une perpétuelle source d’in-quiétudes», le «petit-fils qui émerveille son grand-père».

Qui savait que C. F. Ramuz tenait les comptes du mé-nage et rédigeait lui-même les avis pour trouver du per-sonnel de maison? Qui s’imagine l’homme exprimant sans détour sa tendresse aux siens? En découvrant, au tra-vers de ces photographies, ces nouvelles facettes pleines d’humanité, on s’interroge: se serait-on trompé sur sa personne? «On ne peut pas l’affirmer», répond Stéphane Pétermann, «mais certains aspects ont été passés sous silence. Volontairement ou pas, d’ailleurs.» Le spécialiste veut préciser d’abord que la recherche, dans les années 50-60, ne prenait pas les mêmes voies que maintenant.

On ne s’intéressait que peu à la perspective sociohisto-rique, de même qu’il faudra attendre les années 70-80 pour que certaines interprétations psychologiques soient avancées.

Si l’imagerie de l’artiste solitaire dévoué à son œuvre est fidèle à la biographie, on a préféré en rester là, en se contentant de la représentation de l’écrivain génial, en-fermé dans son monde et qui doit tout à son formidable

L’ÉCRIVAIN

A la table de travail de La Muette, à Pully, en 1943.

Photographie de Jean-Pierre Grisel.

© Ringier

Dans le document 50 ANS DE THÉORIES DU COMPLOT (Page 51-54)

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