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PERMANENT» ET CE RISQUE EST

Dans le document 50 ANS DE THÉORIES DU COMPLOT (Page 46-49)

RISQUEE

VOTE

Une démocratie directe peut se saborder elle-même.

© Christian Schwier/Fotolia.com

Allez savoir ! N° 55 Septembre 2013 UNIL | Université de Lausanne 47

conséquence, dans l’intérêt de tous, mieux vaudrait confier certaines questions politiques à une oligarchie compétente. Ce sentiment-là vient classiquement de la droite. Mais en Suisse, c’est plus compliqué. Tous les partis de droite défendent en principe la démocratie directe. Historiquement, tous ont d’ailleurs contribué à la construire. L’ancien PDC, les catholiques conserva-teurs, a le premier mis en avant l’initiative populaire et le référendum facultatif pour lutter contre les radicaux.

L’UDC et les mouvements agrariens sont plutôt favo- rables eux aussi à la démocratie directe. Mais au sein de ces mêmes partis, des voix détonent. A gauche, ceux qui demandent des limites au suffrage populaire se fondent sur d’autres arguments, pour lutter notamment contre l’UDC dont les objets d’initiative peuvent contre-venir, disent-ils, aux droits fondamentaux. Ces voix-là, on les entend un peu chez les socialistes mais surtout chez les Verts.

Quel impact ces opinions discordantes ont-elles  sur la réalité?

Difficile à mesurer car, pour l’instant, au niveau fédéral, les règles traditionnelles prévalent. Personne n’a réussi à faire passer l’idée, par exemple, d’un contrôle des ini-tiatives par le Tribunal fédéral ou par une cour spéciale d’invalidation. Mais à l’échelon cantonal, Vaud a accep-té un projet assez proche, permettant d’invalider cer-taines initiatives populaires, un contrôle a priori, c’est-à-dire avant la récolte des signatures, par le Conseil d’Etat.

Cet objet de vote a fait consensus dans tous les partis, hormis l’UDC, et représente une limitation assez claire des droits populaires. En Suisse allemande, plus atta-chée aux droits démocratiques, le même objet aurait eu du mal à passer.

On a malgré tout l’impression que le peuple est  convoqué toujours plus souvent aux urnes sur des  objets complexes ou parfois simplistes. Est-ce bon  pour la démocratie?

Le nombre et le rythme des consultations est sinusoïdal.

La tendance est à la hausse, c’est vrai, mais ne nous fo-calisons pas trop sur les chiffres. Dans les années 90, par exemple, les votes ont été statistiquement nombreux, mais certains objets ne faisaient pas débat. Toute une sé-rie d’objets portaient sur la révision de la vieille consti-tution. Au niveau fédéral, l’usage de la démocratie di-recte reste modéré en comparaison des cantons, voire de certains Etats américains comme la Californie, qui vote bien plus que la Suisse. Cela n’a rien d’inquiétant, au contraire. Je défends l’idée que c’est en votant que l’on apprend à voter. Plus on vote, mieux c’est.

N’y a-t-il pas une fatigue de l’électorat à la longue?

Je ne le crois pas. Tout dépend de l’importance des ques-tions posées. Dans le vote sur les minarets par exemple, le résultat m’a horrifié, mais qui peut nier que cette ques-tion a mobilisé les foules, y compris à l’étranger. La pro-position avait donc un sens politique. Certaines initia-tives sont formulées de manière un peu carrée, c’est vrai, mais avant son lancement, chaque initiative est scrutée par les juristes des partis ou des associations. Ailleurs dans le monde, les questions posées en référendum sont souvent beaucoup plus générales. Sur l’indépendance de l’Ecosse, l’an prochain, la question sera sans doute for-mulée ainsi – êtes-vous d’accord que l’Ecosse devienne un pays indépendant? – alors que les négociations d’in-dépendance n’ont même pas commencé. C’est un vote de principe. En Suisse, c’est le contraire. On négocie d’abord, par exemple, avec l’Union européenne, puis on soumet le texte au peuple. Depuis l’entrée de la Croatie dans l’UE, on ne va pas demander au peuple s’il est d’accord d’étendre les accords bilatéraux à ce pays, puis ensuite seulement, voir ce qu’on peut obtenir en négociant…

Les accords bilatéraux justement, voilà un objet  très complexe…

C’est vrai, mais même les négociateurs suisses ne les maîtrisent pas dans leur ensemble. Je pense toutefois que ces objets peuvent toujours être ramenés dans les débats populaires à des questions de principe relative-ment simples. Ce qui intéresse le peuple, ce n’est pas d’er-goter sur chaque virgule des centaines de pages de ces accords, mais bien d’interroger notre relation à l’Europe ANTOINE CHOLLET

Maître assistant à l’Institut d’études politiques et internationales.

Nicole Chuard © UNIL

Allez savoir ! N° 55 Septembre 2013 UNIL | Université de Lausanne 49 à travers des enjeux ciblés. Les syndicats, par exemple,

restent attentifs à la libre circulation et à la chute des barrières douanières qui pourraient menacer les condi-tions de travail en Suisse.

A vos yeux, il n’y a de vraie démocratie que directe?

Clairement oui. La démocratie doit être directe. Sur le plan historique, on peut facilement montrer que les pen-seurs qui ont réfléchi à l’instauration d’un nouveau ré-gime, à la fin du XVIe puis au XIXe siècle, ont privilégié un régime représentatif. Aux Etats-Unis, les Federalist Papers, le recueil d’articles pour promouvoir la constitu-tion américaine, son système d’élecconstitu-tion à étages et l’élec-tion indirecte du président, obéit sans ambiguïté à une logique oligarchique, visant à confier le pouvoir à un nombre réduit de personnes. Donc, pour moi, parler de

«démocratie représentative» est une sorte de paradoxe, une contradiction.

Les Etats-Unis, de ce point de vue, ne sont pas une  vraie démocratie?

Non, pas davantage que les Etats européens. Ce ne sont pas des démocraties directes à l’image des anciennes cités grecques, des cités-Etats italiennes du Moyen Age ou des cantons suisses les plus démocratiques. Aux origines du mot, la démocratie doit être directe, et mettre en avant trois principes qui selon moi font système: la liberté individuelle et collective, l’égalité des citoyens – et si possible d’autres personnes que les citoyens comme les étrangers, les prisonniers, les enfants – et enfin, la souveraineté populaire. Ces trois piliers démocratiques vont ensemble et il ne faut pas chercher à les hiérar-chiser. Il n’y a pas, comme le pensent les libéraux, une liberté individuelle qui primerait sur la souveraineté populaire. Pour autant, dans ce système, la majorité doit tenir compte des impératifs propres de la liberté et de l’égalité.

D’accord, mais concrètement, ces principes s’op-posent souvent. Comment résoudre cette difficulté?

Il y a toujours des tensions entre ces principes, c’est évident, mais on ne peut pas les résoudre en mettant un principe en avant au détriment des autres. Aucun ne doit prévaloir sur l’autre, et les solutions sont pour l’es-sentiel pratiques et non théoriques. Les problèmes qui se posent ne peuvent être réglés qu’au cas par cas. Cer-tains penseurs politiques ont voulu donner une priorité à l’égalité, d’autres, plus rares, à la souveraineté popu-laire, et cela peut déboucher sur l’oppression des mino-rités. Face à cette équation la théorie politique doit re-connaître ses limites. Prenons l’exemple du vote sur les minarets. Le débat, avant le vote, doit bien rappeler la liberté de religion et l’égalité entre les différentes com-munautés religieuses. Mais à la question de savoir qui

doit trancher en définitive, je reste sur ma position: c’est le peuple.

Une démocratie directe peut-elle se saborder elle-  même?

Oui, c’est possible. La démocratie athénienne, au Ve siècle av. J.-C., est morte d’une mauvaise décision populaire:

l’ambition de construire un empire en Méditerranée et de lancer l’expédition de Sicile qui l’a ruinée. Et cette décision finale incombait à l’assemblée des citoyens.

Rien ne garantit qu’une décision collective et démocratique sera la bonne. Lors de l’invasion de la Suisse par les ar-mées révolutionnaires françaises, par exemple, les Ligues grisonnes, l’une des régions les plus démocratiques, sont persuadées qu’elles vont pouvoir arrêter l’envahisseur…

et elles seront balayées… Jean-Jacques Rousseau, dans Le contrat social, écrit clairement que, dans ce système, les citoyens ont parfaitement le droit de mettre fin à leurs libertés. La démocratie est toujours risquée, et ce risque est permanent. Pour le prévenir, les limites juri-diques n’ont aucun effet. Le seul principe efficace est ce-lui de l’autolimitation, avancé par exemple par Cornelius Castoriadis (1922-1997). En clair, si une démocratie souveraine sait qu’elle peut tout faire, elle doit savoir aussi qu’elle ne doit pas tout faire. L’autolimitation est une idée très importante pour comprendre comment la dé-mocratie doit s’arranger avec ses propres risques internes.

Vous rappelez qu’une démocratie peut partir en  guerre et parfois se saborder. Mais pour négocier  la paix, pensez-vous qu’une démocratie directe soit  le meilleur système, en 1945 par exemple?

C’est une bonne question, mais convenons que les guerres du XXe siècle, en particulier les plus meurtrières, ont été menées dans des contextes non démocratiques et pour des intérêts non démocratiques, essentiellement écono-miques et militaires…

… Mais il y a aussi les aspirations des peuples à  disposer d’eux-mêmes. La Croatie en lutte d’indé-pendance avait bien des aspirations démocratiques  au sein de la Fédération yougoslave…

La Croatie peut-être, mais pas la Serbie de l’époque. Ce qui est compliqué dans les Balkans, de manière plus gé-nérale, c’est que les nationalités ne sont pas associées à des territoires délimités. Sur ce plan-là, c’est une des li-mites intéressantes de la démocratie. Si l’on comprend que la démocratie doit s’appuyer sur un peuple, elle doit toujours aussi être constituée territorialement.

… Il s’agit donc d’une nation?

C’est la grande question. Moi, je ne le pense pas. Il est pos-sible d’avoir une forme politique sur un territoire qui ne soit pas une nation.

«RIEN NE

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