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LES ORDINATEURS ONT PRIS

Dans le document 50 ANS DE THÉORIES DU COMPLOT (Page 37-41)

LE CONTROLE

D

ans l’esprit du profane, le trader sans scrupules dont l’avidité est le seul moteur se trouve par-faitement incarné en la personne de Michael Douglas – ou plutôt de Gordon Gekko. Cet inves-tisseur, héros du film Wall Street (sorti en 1987), est prêt à tout pour gagner un maximum d’argent en un minimum de temps et ne s’intéresse pas une seconde à l’économie réelle ni au soutien à long terme des entre-prises. Mais voilà, il y a désormais une erreur sur le cas-ting: le trader qui, aujourd’hui, répond le mieux à cette description n’est pas un être humain, c’est un… ordina-teur. Le trading à haute fréquence (High-Frequency Tra-ding, HFT), appelé aussi trading algorithmique, a le vent en poupe: aux Etats-Unis, 60 à 70% des transactions sont opérées par une machine, à une vitesse et dans des vo-lumes qu’aucun être humain ne peut suivre. En clair, les ordinateurs sont en train de prendre le pouvoir à la Bourse.

Ce qui ne va pas sans gros risques.

Ordinateurs Bourse, une longue histoire d’amour Les ordinateurs sont capables évidemment de brasser des données chiffrées et des statistiques bien plus vite que des êtres humains. Ils ont donc été associés à la prise de déci-sion en finance et à la Bourse depuis leurs débuts, même si, comme le rappelle non sans ironie Michael Rockinger,

«l’analyse des modèles du passé ne permet pas de prédire le comportement futur d’un cours». La première – et dou-loureuse – prise de conscience dans le grand public de l’ap-parition des robots à la Bourse date du crash de Wall Street

en octobre 1987. «Ils avaient été programmés pour vendre les actions sitôt que leur prix passait en dessous d’un ni-veau plancher, se souvient le professeur de finance à la Faculté des hautes études commerciales de l’UNIL. Une ou deux ont baissé, les machines ont passé les ordres, et par effet de contamination, tous les cours ont chuté, tous les ordinateurs ont vendu en cascade.» Résultat: l’indice Dow Jones a perdu ce lundi 19 octobre 22,6% de sa valeur.

On s’en doute, les choses ont bien évolué depuis – les robots comme les programmateurs ayant atteint un plus haut degré de sophistication. Les machines ne se contentent plus d’exécuter des ordres basiques: des ma-thématiciens ou physiciens les utilisent pour faire tourner des algorithmes qui traquent les bonnes affaires à l’aide de stratégies quasi indécelables. Les robots ont donc pris le pouvoir en ceci qu’ils cherchent les opportunités et les réalisent sans qu’un humain n’ait à intervenir, et beau-coup plus vite qu’il n’est possible au cerveau, ou même à l’œil humain, de voir passer les choses.

Plus rapides que les humains

Car s’il est mené par des robots, le trading à haute fré-quence se caractérise aussi par une vitesse d’exécution spectaculaire: un homme a besoin de plusieurs secondes pour réfléchir, puis acheter ou vendre un paquet d’actions.

Un logiciel peut faire des millions d’opérations en 1 seconde.

Comme l’expliquent les auteurs de Krach Machine – Com-ment les traders à haute fréquence menacent de faire sauter la Bourse*, aujourd’hui c’est «la nanoseconde, un milliar-dième de seconde (qui) sert de référence aux horloges du négoce à haute fréquence (…) La Bourse NYSE Euronext permet à ses clients à haute fréquence de passer leurs ordres (…) 6756 fois plus vite que le clin d’œil.»

Face à une telle rapidité, un investisseur traditionnel n’a aucune chance. Outre le fait qu’il lui faut plus de temps pour repérer une bonne affaire, il suffit qu’il soit sur le point d’acquérir une action pour qu’un algorithme décèle ses intentions, l’achète une fraction de seconde avant lui, et la lui revende quelques dixièmes de centimes plus cher qu’il n’escomptait payer – sans même avoir compris ce qui vient de lui arriver. En multipliant ces quelques fractions de centimes par des millions d’opérations, ces logiciels ra-mènent vite des fortunes.

La vitesse, cet avantage compétitif

Dans ce contexte, celui qui peut passer un ordre le plus rapidement a un avantage indéniable sur ses concurrents.

C’est même le nerf de la guerre, avec bien sûr la création du bon algorithme. Pour gagner quelques nanosecondes, les entreprises leaders dans cette nouvelle industrie sont prêtes à payer très cher. Les auteurs de Krach Machine citent en exemple un câble actuellement posé dans l’At-lantique qui permettra de gagner environ 5 millisecondes dans les transactions entre Londres et New York pour la THIBAULT VATTER

Assistant diplômé au Département des opérations de la Faculté des HEC.

Nicole Chuard © UNIL

Allez savoir ! N° 55 Septembre 2013 UNIL | Université de Lausanne 39 modique somme de 250 millions de dollars. Alors que

l’on croyait que l’informatique permettait de dématéria-liser les contingences du monde réel, le trading à haute fréquence ressuscite des paramètres a priori obsolètes, comme la distance géographique. Quelle limite à cette course à la vitesse? «La vitesse de la lumière, contrainte physique, répond Michael Rockinger. Mais c’est complè-tement absurde…»

Et c’est souvent dangereux. L’exemple le plus souvent cité pour illustrer les risques du trading à haute fréquence est le Flash Crash du 6 mai 2010. Ce jeudi-là, le Dow Jones a perdu 1000 points, soit à peu près 10% de sa valeur en un grand plongeon, avant de se reprendre aux valeurs an-térieures, le tout en quelques minutes. Dans la dramatur-gie de la journée, le moment clé se limite à cinq minutes:

entre 14 h 42 et 14 h 47, l’indice a dévissé de 600 points.

A 15 h 07, retour à la normale.

Des valeurs descendent à zéro dollar

Que s’est-il passé exactement? Sans entrer dans les détails techniques, on peut dire que deux organes de surveillance de la Bourse américaine, la SEC (Securities and Exchange Commission) et la CFTC (Commodity Futures Trading Com-mission), ont eu besoin de cinq mois pour enquêter sur ces quelques minutes; les opérations sont tellement nom-breuses par seconde, et tellement compliquées, que même si elles sont traçables, les reconstruire dans l’ordre chrono-logique est incroyablement chronophage. Le rapport rendu souligne en tout cas la responsabilité du trading à haute fréquence. Même si les principaux concernés relativisent.

Ce qui est sûr, c’est qu’il a fallu éteindre les ordina-teurs durant 5 minutes puis les rallumer pour mettre un terme à cette dégringolade dénuée de tout fondement économique. «Et qu’un certain nombre de sociétés très établies, qui ne rencontraient ce jour-là aucune difficul-té économique réelle, ont vu leur valeur descendre à zéro dollar, se souvient Michael Rockinger. C’est le cas de Procter & Gamble ou Coca par exemple. Certes, ensuite, les cours sont remontés, mais il n’en reste pas moins que le potentiel de destruction de valeur est énorme.»

460 millions de dollars perdus en une demi-heure Les compagnies cotées en Bourse ne sont pas les seules à risquer gros. Les traders à haute fréquence peuvent eux aussi se retrouver en mauvaise posture. «C’est ce qui est arrivé à Knight Capital, qui a perdu plus de 460 millions de dollars en une demi-heure», raconte Thibault Vatter, assistant diplômé au Département des opérations de la Fa-culté des HEC. Le 1er août 2012, cette société financière ré-putée qui traitait à l’époque environ 10% des transactions sur le marché américain, a commencé à faire des choses bien étranges et erratiques aux yeux des autres traders.

«Ils ont acheté cher et vendu bon marché – bref des com-portements absurdes à rebours du bon sens», explique le

doctorant. La société a expliqué ses transactions farfelues par un «problème technique», sans entrer dans les détails.

Deux versions coexistent pour élucider ce mystère: un algorithme inabouti aurait été trop vite mis en fonction – il contenait des erreurs de code et serait à l’origine du dé-sastre. Autre hypothèse: un ancien algorithme, plus du tout à la page et rangé à la cave, en aurait été sorti par inadvertance et remis en fonction.

Comment rouler les éléphants de la Bourse

Si ces logiciels sont issus du monde virtuel, ils ont des conséquences bien réelles sur l’économie, comme le montre cet exemple. Cela dit, ici il s’agit d’un bug informa-tique – le risque est réel et les conséquences graves, mais c’est un accident. Cela ne touche pas à l’essence même du trading à haute fréquence.

Ce qui pousse nombre de spécialistes à se distancer de cette façon de jouer en Bourse, à l’instar de Michael Roc-kinger, ce ne sont pas seulement les bugs. Ce sont les stra-tégies mêmes que ces algorithmes appliquent. Un exemple avec les fonds de pension, soit l’argent de nos retraites.

Les gestionnaires de ces fonds adoptent toujours un com-portement très prudent et se greffent le plus souvent sur un indice. «Les mouvements de ceux que l’on appelle les éléphants de la Bourse sont très prévisibles: ils passent leurs ordres à heure fixe et adaptent leurs portefeuilles pour suivre les mouvements de l’indice», explique le spécialiste de l’UNIL. Nombre de logiciels sont donc paramétrés pour leur griller systématiquement la MICHAEL

ROCKINGER Professeur de finance à la Faculté des HEC.

Nicole Chuard © UNIL (archives)

politesse et leur revendre plus cher les actions qu’ils convoitent – ce qui diminue évidemment le profit des caisses de retraite. «Je n’ai rien contre le fait que nos étu-diants d’HEC souhaitent s’enrichir, mais tout est dans la manière: ce genre de manœuvres, ça n’est ni créatif, ni surtout éthique. C’est la raison principale pour laquelle nous n’enseignons pas le trading à haute fréquence à l’Uni-versité de Lausanne.»

Des mathématiciens et des physiciens plutôt que des économistes

D’ailleurs, notent les détracteurs de la robotisation de la Bourse, un des gros problèmes de cette industrie nou-velle mais florissante, c’est qu’elle est aux mains de spé-cialistes très pointus en statistiques, méthodes quantita-tives et autres compétences informatiques, mais qu’ils sont totalement dépourvus de toute culture économique.

«C’est un facteur aggravant, dans la mesure où ces gens ne comprennent pas à quoi devrait servir la Bourse, ce qu’est un investissement, et comment tout cela impacte des entreprises, des employés, des retraités, ou comment la réalité impacte aussi la valeur des actions», souligne Michael Rockinger.

Bref, ces gens souvent très jeunes, qui écrivent du code au kilomètre, font des algorithmes pour des courtiers comme ils travailleraient pour un fabricant de jeux vidéo.

«C’est vrai que beaucoup viennent des maths ou de la phy-sique, comme c’est mon cas», explique Thibault Vatter. Le jeune chercheur en est aux prémices d’une thèse qui de-vrait être consacrée à ce domaine. «C’est encore trop tôt

pour savoir dans quelle direction je vais aller, précise-t-il.

Mais j’ai bien conscience de mes lacunes en économie et je travaille à les combler, notamment en lisant énormément.»

S’il a lui aussi une approche scientifique et non pas de praticien face au trading à haute fréquence, il n’y voit pas que des défauts: «La très grande quantité de transactions passées a par exemple permis de faire baisser le prix des commissions. La très grande réactivité des machines par-ticipe en outre à faire le marché: les ajustements sont im-médiats, on peut donc dire qu’on est au plus près du vé-ritable prix. Enfin, si on prend le Flash Crash, certes les prix se sont effondrés très rapidement, mais ils se sont re-pris tout aussi rapidement. Enfin, comme on l’a vu avec la crise en 2008, les humains aussi font des erreurs. Donc, plutôt que de blâmer le trading à haute fréquence en soi, je poserais la question des objectifs que les humains leur allouent, et des moyens de surveillance.»

Peu de surveillance

Les transactions peuvent selon certains cas être cas-sées, par exemple quand il apparaît qu’il y a un problème technique. Mais la SEC a laissé assumer sa perte à Knight Capital en ne passant l’éponge que sur un nombre très res-treint des ordres absurdes passés, estimant que, après tout, si la société utilise un algorithme défectueux, c’est son problème. Au-delà de la question des bugs et de l’annula-tion possible de certaines ventes ou achats, les spécialistes sont nombreux à s’inquiéter de la quasi-absence de régula-tions dans un domaine plus qu’opaque: on constate des ré-sultats à la Bourse, mais personne ne sait vraiment ce qui se passe dans ces boîtes noires que sont les algorithmes des sociétés qui pratiquent le trading à haute fréquence.

«Parmi les pistes explorées, les plus fréquentes sont l’instauration d’une taxe Tobin, appliquée sur chaque tran-saction, qui rendrait moins attractifs les achats et reventes incessants dans des fenêtres temporelles inférieures à la seconde», détaille Michael Rockinger.

Thibault Vatter confirme la nécessité de mieux «mo-nitorer» en temps réel les risques, et suggère une autre piste: «Des spécialistes plaident pour l’instauration, à cer-tains moments ou pour des actions données, de périodes de latence, soit des interdictions de revente avant que ne s’écoule un temps X. On imagine par exemple un sys-tème de signalisation, avec feu rouge ou feu vert accolé à une valeur.»

Pour l’heure, ces mesures, comme d’autres types de ré-glementation, sont en discussion en Europe et aux Etats-Unis. Pour qu’elles aient un sens, il faudrait évidemment que toutes les Bourses les appliquent. Et mettre tout le monde d’accord, ça prend manifestement plus qu’une nanoseconde… 

* «Krach Machine, Comment les traders à haute fréquence menacent de faire sauter la Bourse». Par Frédéric Lelièvre et François Pilet.

Calmann-Lévy (2013), 232 p.

DÉSASTRE

Le 1er août 2012, Knight Capital Group Inc a perdu 460 millions de dollars en une demi-heure.

© Reuters/Brendan McDermid

Allez savoir ! N° 55 Septembre 2013 UNIL | Université de Lausanne 41

1998

envisagea l’hypothèse de véritables

canaux d’origine artificielle.»

L’auteur signale qu’il ne faut pas sourire de cette idée, car «l’obser-vation des planètes se faisait alors surtout à l’aide de lunettes de 20 à 40 cm d’ouverture […] La photo-graphie n’était pas encore répan-due et, de toute manière, les émul-sions lentes des plaques sensibles n’étaient pas idéales pour ce genre de travail; l’observation visuelle se prêtait mieux aux apparitions fugi-tives des détails des planètes, en rai-son de la turbulence atmosphérique.

Il y a cent ans, c’était l’œil de l’astro-nome qui devait surveiller l’instant fugace d’une accalmie et guetter le détail “vrai” au milieu d’un flou ar-tistique et tremblotant. L’attente et l’imagination facilitaient bien des interprétations, suscitaient même des visions.»

«[…] L’idée de trouver si près de nous une planète où la vie […]

avait reçu la caution de deux sa-vants, avait tout pour séduire de moins avertis et de plus imagi-natifs encore, à commencer par un astronome amateur fortu-né, l’homme d’affaires américain Percival Lowell. Il s’emparera de l’idée en 1894, la fera sienne jusqu’à la caricature et mourra vingt-deux ans plus tard en croyant mordicus au mythe qu’il avait contribué à créer et qui, pourtant, partait déjà en quenouille.»

Car «[…] malgré les efforts dé-ployés par les partisans des canaux, le scepticisme restait de mise dans la communauté scientifique, surtout de la part de vrais pros de l’astro-nomie qui, comme Barnard, dispo-saient des lunettes les plus puis-santes de leur temps, par exemple celle de 1 m d’ouverture de l’obser-vatoire de Yerkes.»

«Aux objections des contesta-taires, Lowell faisait une réponse imparable, explique Pierre North:

tout le monde, disait-il, n’a pas l’acui-té visuelle nécessaire pour discer-ner de fins détails planétaires. Les tisserands du conte d’Andersen, eux aussi, ne voyaient pas “les habits neufs de l’Empereur”, et pour cause puisque le souverain était nu; mais ils se taisaient pour ne pas passer pour des rustres...» […]

«Cette obstination chez Lowell et les adeptes de sa chapelle ne s’ex-plique que par la volonté de démontrer l’existence de la vie extraterrestre et probablement d’apaiser ainsi l’effroi pascalien devant “le silence éternel de ces espaces infinis”.» […]

«Les grands télescopes modernes d’abord, les sondes spatiales ensuite ont fait un sort à cette théorie; mais l’idée qu’il pût y avoir de la végéta-tion sur Mars, idée étayée par les changements de coloration saison-niers de grandes surfaces de la pla-nète, s’est maintenue jusque dans les années 1960.» 

A

ujourd’hui, la planète rouge nous semble familière. Une application pour mobile comme Mars Images permet d’en recevoir des photos tous les jours, prises sur place par les ro-bots Opportunity et Curiosity. Autant dire que la technologie rend tout à fait exotique à nos yeux «l’affaire des canaux» de Mars, qui passion-na le public dès la fin du XIXe siècle.

Dans l’édition de mai 1998 d’Allez savoir!, le journaliste Jean-Bernard Desfayes avait interrogé Pierre North, alors astronome à l’Institut d’astro- nomie de l’Université de Lausanne et aujourd’hui maître d’enseignement et de recherche à l’EPFL.

«Le terme “canal” à propos de Mars apparaît vers le milieu du XIXe siècle, en Italie, mais il désigne alors tout aussi bien des zones ca-ractéristiques et distinctes, comme Syrtis Major, que des lignes plus fines traversant la géographie mar-tienne. Le premier à y voir “des lignes régulières et rectilignes semblant suivre de grands cercles du globe martien” est Giovanni Schiaparelli, en 1877. L’“inventeur”

des “canali” n’est pas n’importe qui:

il dirige l’observatoire de Milan et ses travaux sur les comètes font autorité à l’époque. Schiaparelli, ex-plique Pierre North, pensait au dé-part qu’il s’agissait de formations géologiques; c’est seulement une vingtaine d’années plus tard qu’il

MARS

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